Un an seulement après la sortie de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band (1967), véritable révolution musicale planétaire, les Beatles battent de l’aile. Sans Brian Epstein, leur manageur historique et influent imprésario, décédé d’une overdose en août 1967, John Lennon, Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr sont orphelins.
Epstein était leur socle commun, leur ciment. John résume l’amplitude du choc : « Soudain, nous devenions nos propres manageurs, nous avions toutes ces décisions à prendre… On avait toujours assumé la responsabilité de tout ce qu’on faisait, mais il y avait toujours cette “figure paternelle”. »
Le groupe britannique l’ignore encore, mais le délitement guette. La sortie, à l’automne 1968, du mirifique White Album, pourtant élaboré dans une tension extrême, laisse encore augurer du contraire, prouvant l’inventivité artistique et le génie expérimental des « Fab Four » en 30 titres (dont les classiques Back in the U.S.S.R., Helter Skelter et Revolution 1). Mais les dessous de l’enregistrement révèlent des musiciens au bord de l’implosion.
Tout commence à l’arrivée, en 1966, de Yoko Ono, artiste japonaise, dans le giron et même l’intimité de Lennon. Inséparables et fusionnels depuis l’été 1968, John et Yoko mettent à mal le fonctionnement démocratique des Beatles, rendant impossible, notamment par leur consommation effrénée de drogues, toute communication. Le ver est dans le fruit.
« C’est pas facile de vivre à quatre pendant des années comme on l’a fait. A la seconde où je l’ai rencontrée, ça a été la fin des copains. Mais il se trouve que les copains en question étaient connus et n’étaient pas seulement les mecs du bar du coin… », reconnaîtra Lennon.
Le couple fait paraître son premier album onze jours avant le White Album. En posant nus sur la pochette de Two Virgins (de face au recto, de dos au verso), les deux tourtereaux suscitent forcément plus de commentaires – et aussi de sarcasmes – que les Quatre Garçons dans le vent.
A l’été 1968, John Lennon et Yoko Ono posent nus sur la pochette de «Two Virgins», le premier album du couple. (Illustration Stéphane Trapier pour Le Parisien Week-End)
Surtout, l’omniprésence de Yoko Ono en studio pendant la genèse du neuvième album des Beatles met profondément à mal l’harmonie du groupe. « Quand l’un de nous fait quelque chose, les autres sont aussi impliqués », admet Ringo Starr.
« Tout le monde semble paranoïaque, sauf nous deux, qui sommes amoureux », lui répond John. Et Paul de renchérir : « Quand elle parle des Beatles, elle dit juste “Beatles”. Elle nous enlève même notre article défini ! »
La combinaison 4 + 1 rend l’atmosphère de plus en plus électrique. Le 22 août, Ringo, pourtant la bonne pâte de la bande, quitte ses comparses en pleine séance d’enregistrement de Back in the U.S.S.R. Revenu après deux semaines d’absence aux studios EMI d’Abbey Road, à Londres, il retrouve sa batterie couverte de fleurs par John, Paul et George.
En août 1968, Ringo Starr quitte une séance d’enregistrement tendue. A son retour, sa batterie est couverte de fleurs. (Stéphane Trapier pour Le Parisien Week-End)
Mais le mal est fait, plus profond que les principaux intéressés ne l’imaginent. Le 22 novembre 1968, sort donc The Beatles, plus communément appelé White Album (ou « Double Blanc » en France) à cause de sa pochette immaculée, au succès triomphal mais à la gestation pénible, comme l’atteste le morceau Revolution 9, un collage de plus de huit minutes de boucles et d’effets sonores expérimentés par John et Yoko sous l’emprise de substances illicites.
La pochette blanche, avec le nom du groupe gravé en relief, réalisée par l’artiste britannique Richard Hamilton, n’est pas innocente dans la période trouble et agitée que traversent les Beatles. Comme s’il s’agissait de faire table rase du passé.
Parfaitement conscient de la crise interne que traversent les Beatles, Paul McCartney impose à ses partenaires d’enchaîner avec un nouveau disque enregistré dans des conditions live pour retrouver la ferveur d’antan. Histoire de retisser les liens, Paul leur propose même de filmer en continu les sessions de studio.
Sous le nom de code « Get Back », le tournage débute en janvier 1969. Mais la magie n’opère plus. George Harrison abonde : « On a fini par craquer sous la pression. Et, au lieu de se serrer les coudes, on a commencé à se déchirer. »
Le 30 janvier, les Beatles, qui ont arrêté les tournées depuis fin août 1966 à cause des excès de la Beatlemania et de l’hystérie de leurs fans, les empêchant même de s’entendre sur scène, jouent à Londres sur le toit de l’immeuble Apple Corps, la société qui gérait la marque The Beatles.
Cela restera leur dernier concert, finalement interrompu par la police londonienne. Les images des quatre musiciens cheveux au vent font le tour du monde et seront incorporées au film, finalement intitulé Let it Be (1970).
Le remplacement de Brian Epstein, qui s’ajoute à la faillite en cours d’Apple Corps, constitue un autre point de crispation au sein du quatuor. Il traduit surtout la mésentente croissante entre John et Paul. Un homme cristallise particulièrement leurs dissensions : Allen Klein, un avocat new-yorkais à la réputation sulfureuse et recommandé par Mick Jagger à Lennon.
McCartney songe, lui, à Me Lee Eastman, qui n’est autre que le père de sa future femme, Linda. Cet épisode est révélateur du dialogue de sourds entre les deux leaders. Comme souvent, c’est John, en l’occurrence soutenu par George et Ringo, qui a le dernier mot.
En février 1969, Allen Klein devient ainsi le nouveau manageur des Beatles, mais l’épisode laisse des traces. « Allen Klein en rajoutait, c’était horrible, se rappelle Linda McCartney. John avait Klein d’un côté et Yoko de l’autre, qui lui montaient la tête à propos de Paul. »
« Abbey Road » sort en Angleterre le 26 septembre 1969. Un album devenu mythique. (Stéphane Trapier pour Le Parisien Week-End)
Les Beatles retournent en studio pour repousser la séparation inéluctable, en adoucissant leurs divergences avec la musique. Durant l’été 1969, ils composent et enregistrent un autre futur classique de leur discographie, Abbey Road. Le producteur George Martin, souvent surnommé « Le Cinquième Beatles », résume l’ambiance générale : « Ça a été un disque très gai; on savait tous que ce serait le dernier. »
Et Ringo Starr d’ajouter : « Peu importent les problèmes que chacun pouvait avoir au niveau individuel, quand on écoute la musique, on sent que tout le monde s’était investi à 1 000 %. » Le titre de la chanson d’ouverture en dit long sur leurs intentions : Come Together (Rassemblez-vous), écrite par John Lennon et arrangée par Paul McCartney.
Plus frappant encore, l’avant dernier morceau de l’album s’intitule The End, comme un point final à l’aventure insensée des Beatles. Le 26 septembre 1969, paraît Abbey Road, dans sa célèbre pochette où George, Ringo, Paul et John traversent un passage clouté.
Début 1970, Allen Klein et John Lennon demandent au producteur Phil Spector de réarranger les chansons de l’album Let it Be dans le dos de Paul McCartney. Pour ce dernier, c’est la goutte qui fait déborder le vase des rancoeurs et des non-dits.
De son côté, John Lennon passe son temps à se lamenter : « Yoko m’a donné la force intérieure d’examiner de plus près mon autre mariage. Celui avec les Beatles, qui était beaucoup plus étouffant que mon mariage domestique. C’est moi qui avais monté le groupe, c’est moi qui l’ai dissous. C’est aussi simple que ça. »
A l’extérieur, l’illusion demeure jusqu’à une interview donnée par McCartney pour l’envoi à la presse de son premier disque solo. Le 10 avril 1970, un titre barre la une du quotidien britannique Daily Mirror : « Paul quits The Beatles. » Pas besoin de traduction, la nouvelle est sans appel et définitive.
Le 10 avril 1970, la presse britannique annonce que Paul McCartney quitte les Beatles. Son départ signe la fin du groupe. (Stéphane Trapier pour Le Parisien Week-End)
Le retentissement, mondial. Un mois plus tard, la sortie de l’album Let it Be et la projection du film du même nom font figure d’épitaphe pour le groupe. Le 31 décembre 1970, l’épilogue se déroule dans un tribunal de Londres, où Paul McCartney a assigné ses trois anciens acolytes pour séparer ses droits et liquider l’empire The Beatles. Mais le mythe des « Fab Four » reste intact, pour l’éternité.
La plupart des citations sont tirées de « Paul McCartney : Many Years from Now . Les Beatles, les sixties et moi », de Barry Miles (Flammarion, 2004), et du DVD The Beatles Anthology (Apple Corps Ltd/EMI, 2003).
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