Ath Yenni est une confédération de sept villages, situés à 35 kms du chef-lieu de la wilaya de Tizi-Ouzou et culminant à 900 m d’altitude.
Perchés sur des collines et renommés pour leurs beaux bijoux berbères en argent, une passion plus qu’un métier des Ath Yenni, chacun de ces villages recèle un potentiel humain intellectuel et une histoire des plus atypiques. Même si cet artisanat est en déclin d’une année à une autre, puisque, de 450 artisans dans les années 1990, il ne reste que 250 artisans, actuellement, les Ath Yenni essaient, tant bien que mal, de redorer le blason de ce savoir-faire, en créant une association des bijoutiers, dans le souci de préserver et de promouvoir cet artisanat. Ath Yenni est parmi les premières localités à avoir disposé d’une école publique dès le 19ème siècle. Entouré d’Aïn El Hammam à l’Est, des Ouadhias au Sud, de Larbaa N’Ath Irrathen du nord et des Ouacifs au Sud, Ath Yenni est un carrefour des arts où se côtoient, au quotidien et tout au long de l’année, les travaux de recherche de Mouloud Mammeri et les chants traditionnels d’Idir et de Brahim Izri, entre autres. Pour ce qui est de l’origine du toponyme ‘’Ath Yenni’’, il n’est question pour le moment que d’hypothèses non confirmées. Yenni serait le nom de la première personne qui est arrivée et s’est installée dans la région. D’autres pencheraient pour la version suivante : Yenni viendrait du mot ‘’Yiwen’’ (un). Une autre hypothèse relie le mot ‘’Yenni’’ à la hauteur du lieu. ‘’Yenni’’ aurait la racine du verbe ‘’nni’’ (élever), d’autant plus qu’un proverbe, en vogue à Ath Yenni, évoque cette signification. «Mi urak-xdimeɣ ara akka, ihinekkmačči n At lqaɛaigenni !»
Les bijoux d’Ath Yenni et leur symbolique
Contrairement aux idées reçues, le métier de bijoutier et le savoir-faire qui le caractérise sont venus des Aït Abbas, du côté d’Ighil Ali, dans la wilaya de Béjaïa, nous dira Med Haouche. Pour argumenter, notre interlocuteur, qui est également président de l’association des bijoutiers d’Ath Yenni, nous sortira un poème du terroir : «Tufiḍ-d At Ɛebbasrsen, nutni s dduzan-nsen’’ (Tu as trouvé Ath Abbas, déjà descendus, avec leur matériel). Cet adage se dit quand une personne veut insinuer à une autre qu’elle était là avant elle. Le proverbe est employé beaucoup plus par les femmes de la région. Un bijou en argent représente souvent un symbole, il véhicule une morale et une identité en plus d’un imaginaire. La majorité des bijoux sont utilisés comme un moyen dans les règlements des conflits. C’est ainsi qu’on considère ‘’Taɛessabt’’ comme symbole de paix et de réconciliation mais aussi d’alliance entre les citoyens. La mariée, chez les Kabyles, porte souvent ce bijou comme gage de paix et de bien-être. ‘’Tabzimt’’, quant à elle, a une dimension émotionnelle. Elle est offerte à la jeune mariée par son mari à l’occasion de leur premier enfant. Elle symbolise à la fois la fertilité de la femme et de la nature. Quelques autres noms des différents bijoux : ameclux, amecbuk, ameqqyas, axelxal, taziba, tazlagt, tigeḍmatin, azrar, tixutam, taḥzamt.
La fausse monnaie et la mosquée turque
A une époque, plus ou moins lointaine, les habitants d’Ath Yenni fabriquaient des armes mais également de la fausse monnaie, non pas dans le but de trafiquer mais pour inonder le marché et saborder l’économie turque. Les Turcs exigeaient des autochtones des impôts des plus insurmontables. Voulant régler le problème à l’amiable, le Dey d’Alger leur proposa des grandes parcelles de terres agricoles dans la Mitidja. L’essentiel était que les habitants cessent de produire de la fausse monnaie. Ceux-ci ayant perçu la proposition comme une insulte, répondirent par une exigence démesurée, difficile à satisfaire. Ils demandèrent au Dey de déplacer la montagne de Djurdjura vers la Mitidja. Car, lui diront-ils, ils ne pouvaient pas se passer de cette vue magnifique que leur offrait la montagne, notamment au lever du jour. Sur ce, une autre proposition fut avancée et un terrain d’entente fut trouvé. Une mosquée a été érigée à Ath Yenni en contrepartie de l’arrêt de la fabrication de la fausse monnaie.
Des mythes et des légendes…
Taourirt Mimoun. D’après certains vieux de la localité le village fut frappé par la peste à une certaine période. Il y avait tellement de morts que les habitants ne savaient plus à quel saint se vouer et s’accrochèrent à tout-venant. Un homme descendit un jour à la rivière où il trouva un vieillard aux pieds nus et à la barbe blanche. Une discussion fut alors engagée sur la maladie. Le vieillard proposa ainsi ses services et la légende dit que depuis cet instant la peste a disparu. Et pour récompenser ce ‘’guérisseur’’, on donna au lieu où s’était propagée la peste le nom de ‘’Taourirt Mimoun’’.
Pourquoi le nom Tigzirt (île) pour une colline
Le mot Tigzirt veut dire en kabyle une île, et pourquoi, donc, donner un nom pareil à un village situé au pied d’une colline ? D’après notre source, lorsqu’on regarde ce village de loin, il ressemblerait à une île, d’où le choix de ce nom. La majorité de ses habitants sont venus d’Ath Ouacif sous la protection du Saint Sidi Ali Ouyahia. Pour choisir ce lieu, on dit que le Saint a jeté sa canne, et là où elle tomba, il construisit une mosquée. Et c’était le début du peuplement de cette localité.
L’expression At Tmura
Le mot ‘’Ath Tmura’’ est employé régulièrement par les habitants d’Ath Yenni avec un glissement sémantique péjoratif qui est devenu un stéréotype ces dernières années. Or, le sens original du mot est tout autre. ‘’ L’expression ‘’At tmura’’ désigne les fellahs, les gens qui travaillaient la terre par opposition aux bijoutiers qui sont sur place au village. A la longue, le sens a pris une autre tournure. On désigne par cette expression tous les habitants qui ne sont pas d’Ath Yenni. Elle véhiculerait un certain complexe de supériorité de la part de quelques-uns vis-à-vis des habitants des autres villages de la Kabylie. «Je tiens à m’inscrire en faux et à dissiper cette idée reçue qui entoure ces propos et qui sème une certaine zizanie en Kabylie», nous dira M. Boughareb.
Hocine Moula