Dans Les hommes préfèrent les blondes (1953), Marilyn Monroe sous les traits de Lorelei Lee, évoque la fiabilité et la permanence des diamants dans la mythique chanson “Diamonds are a girl’s best friend” (1949):
 
Men grow cold as girls grow old
And we all lose our charms in the end
But square cut or pear shaped
These rocks don’t lose their shape
Diamonds are a girl’s best friend
 
Lorsque les femmes perdent leur beauté et que les hommes s’en vont, les diamants restent à leur côté dans leur beauté éternelle. Ils sont le signe d’un amour passé et forment un gage financier. Ils sont le plus fidèle et le meilleur ami d’une femme.
 
Les diamants et les bijoux en général sont-ils les meilleurs amis des femmes? Comment sont-ils utilisés en littérature? Qu’est-ce qu’ils signifient? Quelle est leur symbolique?
 
Dans de nombreux textes de la littérature classique indienne, il est question de bijoux et d’ornements féminins. Leur fonction symbolique varie, mais ils sont le plus souvent liés à la sexualité et au statut de la femme qui les porte. Au travers des bijoux, il est possible de reconnaître une grande dame, une épouse ou une ascète, dans une fonction plus ou moins parallèle à celle des cheveux ou du vêtement. Dans la narration, ils peuvent aussi bien représenter la chasteté d’une épouse que son infidélité. Ils peuvent signifier la disponibilité sexuelle d’une femme ou représenter une monnaie d’échange.
 
Parfois, ils sont au centre de la narration comme dans la pièce de théâtre du célèbre poète sanskrit Kalidasa (4ème siècle), Shakuntala au signe de reconnaissance (Abhijñānaśākuntalam), dans laquelle un anneau sert d’objet de mémoire et permet l’identification de l’héroïne comme étant l’épouse du roi.
 
Shakuntala est une jeune femme dont le roi Dushyanta tombe éperdument amoureux un jour qu’il va chasser dans la forêt. Il décide de s’unir à elle et lui offre un anneau gravé à son nom. Peu de temps après, perdue dans ses pensées à rêver de son bien-aimé alors que celui-ci s’en est retourné à sa cour, elle en oublie de procéder aux hommages à un sage de passage. Vexé, celui-ci la maudit et assure que l’homme dont elle rêve perdra son souvenir et qu’il ne le retrouvera qu’à la vue d’un bijou. Enceinte, Shakuntala se met en route pour rejoindre son époux et se présente à la cour. Subjugué à nouveau par sa beauté, le roi ne se souvient pourtant pas de l’avoir épousée:
Solitaires, bien que je m’absorbe en moi-même, je ne me souviens pas d’avoir épousé cette femme. Quand il est visible qu’elle porte un enfant, comment la recevrai-je si je soupçonne qu’alors je ne serais son époux que de nom?[1]
Alors que Shakuntala touche son doigt afin de présenter à son époux l’anneau qu’elle porte, elle réalise avec stupeur que celui-ci n’y est plus. Il a glissé au fond d’un étang alors qu’elle y faisait ses ablutions. Le roi Dushyanta et Shakuntala ne se retrouveront que des années plus tard, alors que le roi reconnaîtra son fils en le voyant jouer. Il s’était souvenu de son amour pour Shakuntala lorsque l’anneau lui fut ramené par un pêcheur qui l’avait trouvé dans le ventre d’un poisson. [2]
 
Dans le Ramayana, dont il a été question dans un précédent article, les bijoux de Sita sont aussi utilisés à plusieurs endroits du récit pour l’identifier en tant qu’épouse de Rama, pour prouver sa fidélité ou pour signaler son enlèvement par Ravana. De même, dans Le Petit chariot de terre cuite (Mṛcchakaṭikā) de Shudraka (3ème siècle), des bijoux sont échangés à plusieurs reprises. Dans Ratnāvalī, pièce attribuée au roi Harsha (7ème siècle), la princesse est identifiée grâce à son collier de perles.[3]
 
La poésie amoureuse, tournée vers la description des émotions du couple, utilise aussi ce symbole. Dans ce poème d’Amaru (7ème siècle), il est question des bracelets que l’épouse reçoit lorsqu’elle se marie et qu’elle ne peut plus porter lorsque son mari s’en va:
Mes bracelets ont pris la route,
Mes larmes, amies chères, me quittent sans arrêt,
Ma fermeté a pris congé,
Mon esprit a choisi de prendre de l’avance,
Mon bien-aimé a décidé de son départ :
Tout fuit en même temps.
Si tu dois t’en aller, ma vie,
Pourquoi perdre l’escorte de tes chers amis?
Au contraire, la jeune femme se pare de tous ses bijoux, lorsqu’elle s’en va rejoindre son bien-aimé:
A ton sein le collier sonne
A ta hanche galbée chantent les rangs de pierres
A ta cheville tintent les anneaux de perles ;
Si tu vas chez l’amant en frappant le tambour,
Innocente, à quoi bon jeter alentour
Ces regards effrayés?[4]
 
Selon les prescriptions adressées à l’épouse dans le livre 4 du Kamasutra (4ème siècle), celle-ci doit en effet laisser de côté et ne plus porter certains de ses bijoux lorsque son mari est absent:
Quand il est parti en voyage, elle ne porte que des bijoux qui ont une signification et un pouvoir religieux,
se voue à des jeûnes dédiés aux dieux, attend des nouvelles et gère la maisonnée. [5]
 
[1] Citation (p. 1120) tirée de “Śakuntalā au signe de reconnaissance”, in Théâtre de l’Inde ancienne, sous la direction de Lyne Bansat-Boudon, Paris : Editions Gallimard, 2006, p. 1061-1157.

[2] Cette histoire et de nombreux autres mythes orientaux et occidentaux, anciens et modernes, impliquant des bijoux sont analysés dans l’ouvrage de l’historienne des religions Wendy Doniger, The Ring of Truth and Other Myths of Sex and Jewelry, New York : Oxford University Press, 2017. Cet article est partiellement basé sur cette brillante étude.
[3] Ces deux pièces de théâtre sont également traduites dans Théâtre de l’Inde ancienne.
[4] Poèmes tirés de Amaru. La Centurie. Poèmes amoureux de l’Inde ancienne, traduit par Alain Rebière, Paris : Gallimard, 1993, p. 39 et 37.

[5] Extrait tiré de Kâmasûtra, de Wendy Doniger et Sudhir Kakar (traduit en français par Alain Porte), Paris : Editons du Seuil, 2007, p. 254.
 
Image du bandeau: https://www.youtube.com/watch?v=bfsnebJd-BI
Nadia Cattoni est titulaire d’un doctorat ès Lettres de l’Université de Lausanne, qu’elle a poursuivi par des recherches postdoctorales à Paris et Venise. Ses publications portent principalement sur les langues et littératures indiennes. Ses nombreux voyages en Inde et ses intérêts personnels la poussent également à explorer d’autres formes d’art et à s’investir dans des projets culturels. www.tchatak.com
Oui très intéressant votre article ou chronique . mon vocabulaire est banal . Mais en voyant la bibliographie à la fin ça m a fait mal car le monde est construit par les ouvriers et les employé es de petites conditions alors que les intellectuel l es façonnent le monde par des lectures des écrits des concepts et aussi des inventions ….mais le dur travail est toujours effectué par les gens en bas de la pyramide sociale principalement déterminée par le milieu dans lequel l on naît et aussi les études qu on fera ou qu on ne fera pas . Dommage que les intellectuel le s s occupent l esprit et que les autres s usent , je pense à l Usine -monde que sont l Asie , l Afrique , les Amériques du Sud et Centrale , et aussi les gens du bas de la pyramide sociale de l Occident qui sous prétexte qu ils n ont pas fait d études ont commencés à travailler plus tôt et finiront plus tard avec des salaires de misères j eus voulu un monde où il est possible facilement de passer du dur travail.à des réflexions et recherches de l esprit . J aime la culture mais quand elle se fait au détriment des gens qui sont exploités la culture devient comme indigeste ….rappel les rdvous de locarno festval vip …entre eux entre autres …..je ne dis pas que les auteures et auteurs et chercheuses et chercheurs exploitent mais elles et ils confortent un système qui avec non pas la grève sur ou du climat mais BIEN À CAUSE DU CLIMAT QUI SE METTRA EN GRÈVE DE LA VIE SUR TERRE FINIRA PAR S ARRÊTER COMME DIT SYSTÈME D INJUSTICE MULTIPLES liés aux privilèges des gens aisés matériellement et qui sont des trésors de culture ….j aurai aimé être l être humain qui va mourir de faim la prochaine minute …..
Phrase tirée d un poème disparut datant de 1996 ou 7
“Enfant un bien trop grand mot pour de la chair gisant sur le sol
do ré mi fa sol la si do
musique mortuaire
Pour les enfants des ghettos de partout . ”
Merci pour votre apport j ai aimé .
Mes respectueuses salutations .
Philippe Rime
Ce fut un régal de vous lire merci ?bas chère Madame
Ce fut aussi pour moi inculte une découverte merci
Bonjour,
Merci beaucoup pour votre lecture et vos commentaires. Vous avez raison, le monde de la culture et celui de la recherche sont souvent élitistes, pas toujours facile d’accès et parfois ignorants du travail effectué par d’autres couches de la société. Les textes cités dans cet article appartiennent à l’élite dont vous parlez puisqu’il s’agit d’une littérature produite dans les cours royales de l’Inde ancienne. L’historien-ne est confronté-e à ce problème de manière directe. En effet, les textes qui ont été préservés au cours des siècles sont ceux qui ont bénéficié du soutien de cette élite. Les autres ont pour la plupart du temps été perdus.
Cependant, je voudrais apporter quelques nuances pour tenter de répondre à votre sollicitation. La première est que des blogs tels que celui-ci permettent, je l’espère sincèrement, de faire communiquer entre eux des mondes différents. Étant gratuit, ce format donne l’occasion à tout un chacun de s’informer sur une culture qui lui est peut-être très étrangère, de commenter, de poser des questions ou d’apporter un éclairage, comme vous l’avez fait. La deuxième est que les chercheurs-ses sont conscient-e-s de ce problème et qu’un grand effort est fait à ce niveau pour que les voix historiques autres que celles des élites soient étudiées, analysées, comprises et surtout considérées. Elles sont des plus importantes puisqu’elles permettent de lire l’histoire autrement et apportent un éclairage nouveau sur notre passé. Ce sont les voix des classes sociales moins favorisées, des anonymes, mais aussi les voix des femmes. Par exemple, je travaille aussi sur des écrits de femmes, justement pour cette raison. Il y aussi un courant important, parmi d’autres, dans la recherche sur l’Inde qui travaille sur la littérature dalit, c’est-à-dire les textes produits par cette classe de gens considérée comme en-dehors de la société indienne que l’on appelle parfois intouchables et qui au travers de la littérature, racontent leur vie et l’histoire qui est la leur. Enfin, je voudrais juste ajouter que si dans certaines sociétés, il est, comme vous le soulignez, difficile de passer d’un milieu à l’autre, ce passage peut se faire de manière un peu plus aisée en Suisse. Dans mon cas, je suis la première de ma famille à avoir fait des études universitaires. Je suis issue d’un milieu éduqué mais plutôt ouvrier et mes familles paternelles et maternelles sont issues de l’immigration. Des ponts sont possibles, je veux l’espérer et j’y travaille à mon échelle.
Merci encore pour cette discussion.
@ M. Philippe Rime
« Bijou », définition Le Robert : 1. Petit objet ouvragé, précieux par la matière ou par le travail et servant à la parure. 2. Ouvrage d’une grande beauté de détails.
L’article de Madame Cattoni s’ouvre sur ces deux brèves définitions du Robert, au-delà de la « parure »… J’ai estimé utile de les citer pour « ouvrage précieux par le travail », parce que loin de chez nous des gens ayant un niveau de vie pauvre fabriquent leurs bijoux eux-mêmes dans des matières ordinaires, dont certains parmi les plus authentiques rejoignent les vitrines du musée ou de la boutique d’objets d’art. Ceci pour dire que ce sont aussi les sentiments qui donnent sa valeur au bijou, et que si celui-ci est synonyme de culture, d’amour ou d’attachement, les riches n’en ont pas l’exclusivité par le pouvoir de leur portefeuille. Les bijoux contemporains s’évadent de la notion ancienne de valeur matérielle, les piercings en sont une bonne illustration : Plus que parure, ils sont liés à une image de soi, un serment, comme cadenassés pour ne jamais être perdus… Alors soyez sans soucis, les inégalités que vous dénoncez, les précieux discours intellectuels à côté du dur travail des manuels, et la punition du ciel que vous attendez pour que justice soit faite…c’est vous qui en faites une affaire de fric.
Merci pour ce commentaire. J’ai aussi pensé au tatouage en écrivant cet article…Les gens se font de plus en plus tatouer une chevillère ou leur anneau de mariage par exemple. C’est intéressant de voir que le symbole semble ressenti comme encore plus fort, puisque incrusté dans la peau. Il n’est pas possible de l’enlever…ou de le perdre.
“Diamant” me fait toujours penser au James Bond et sa musique lançinante, “Diamonds for ever”
et aussi à “Diamonds of Blood “, sans doute le meilleur film de Di Caprio!
(le mkg est fait de manière diablesque)
Peut-être ne reste-t-il plus qu’à inventer le diamant capable de couper les plafonds de verre, en Inde, ici et ailleurs?
Oui, le diamant nous amène vers de nombreuses références! Merci pour celles-ci…
Magnifique texte. J’ai fait um petit voyages à m’imaginer reine et sentir le plaisir des bijoux et diamants. Félicitations
Merci pour votre lecture et votre commentaire.
Je pense que toutes les femmes qui rêvent d’être reine ont été princesses. Elles ont été aimées très fort au début de leur vie, et s’en souviendront toujours. Les parents qui prennent dans leurs bras leur fillette : « Ma princesse !.. » Puis ils lui offrent un premier petit bracelet qu’elle montrera aux personnes rencontrées, et que vont-elles lui dire ? « Oh le beau bracelet ! » Ils pourraient lui dire aussi : « Que tu es jolie avec ton bracelet… » Et on lui donnera à lire des contes de fées si l’on ne craint pas qu’elle s’identifie à une princesse douce et heureuse plutôt qu’un chevalier fort et vaillant. Nous les adultes savons depuis toujours que la vie n’est pas un conte de fées, mais un rêve gardé en soi. Et dans notre vingt et unième siècle on veut maintenant tout casser dès la première scolarité ! À travers cette tempête, je suis certain que les bijoux ne perdront jamais leur signification originelle, les femmes « femmes » n’arrêteront pas de les désirer, les choisir ou se les faire offrir en éprouvant chaque fois les mêmes émotions.
C’est un très belle article qui lie la puissance du bijoux et celle de la femme, d’autres cultures comme la cultures orientales, africaines et créoles transmettent cette relation éternelle entre femmes et bijoux. Cela me fait penser également à cette chanson de Shirley Basset : Diamonds are forever pour le film de James Bond qui porte le même nom.
Bonjour,
Merci pour votre commentaire et votre référence. J’aime aussi beaucoup les bijoux! Mais vous ne m’en voudrez pas, je ne l’ai pas publiée, la publicité n’est pas autorisée sur ce blog. Merci de votre compréhension.
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