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Publié le 28/12/2021 à 9:00
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L’euro aura même réussi à lisser notre langage. Par son introduction, le 31 décembre 2001 à minuit pile, l’euro a définitivement supplanté notre bon vieux franc. Mais avec lui, c’est aussi un certain art du langage bien français qui a été jeté aux oubliettes. Terminés ces échanges sur la place du marché à se demander combien de briques vaut cette voiture tant désirée, terminée la conversion en « boules » pour évoquer le dernier tirage du Loto… À la place, « euro », simplement « euro », partout, tout le temps. La fadeur langagière aurait-elle eu la peau de notre argot ? Petit lexique de ces mots disparus avec l’apparition de l’euro, mais aussi de ceux qui résistent (voire émergent) malgré la monnaie unique. Avec l’éclairage de Mathieu Avanzi, maître de conférences en linguistique française à la Sorbonne.

  • Briques :

Cette unité monétaire d’un autre temps, on la retrouve dans un film du même temps : Les tontons flingueurs, film de 1963. « À cinq cents sacs par mois, rien que de loyer, ça fait six briques par an », calcule l’un des personnages. Plus qu’un simple mot d’argot, la brique représente une somme d’argent bien précise : 10 000 francs. Ou, pour les plus anciens d’entre nous, un million d’anciens francs.

  • Patates :

La seule façon (ou presque) d’entendre quelqu’un convertir une somme d’argent bien précise en « patates », c’est encore de visionner à nouveau “Les trois frères”, classique cinématographique des Inconnus. « 100 patates ! 100 patates ! », répète Didier Bourdon, tout heureux du pactole qui pourrait être le sien. Une somme non négligeable, puisqu’il s’agit d’un million de francs.

  • Bâtons :

Vous avez bien dû entendre votre grand-père parler d’une affaire à vingt bâtons. Aujourd’hui, le mot n’est plus du tout utilisé, pourtant le bâton – lui aussi – a connu une valeur particulière sur le marché de l’argot. Un bâton, c’est un million de francs. Le bois n’a jamais eu une si grande valeur que sous le franc.

  • Bottes :

Une botte n’est pas simplement une chaussure qui enferme le pied et la jambe. C’est aussi un mot qui permet de parler d’une certaine somme d’argent. Cette fois, il ne s’agit pas d’une unité monétaire, mais plutôt d’une quantité de billets (qu’il s’agisse de francs, d’euros, ou de livres sterling). Pour une botte, comptez 100 billets.
L’avis de l’expert :
« Ces mots sont directement liés aux francs ou aux anciens francs, plus qu’à l’argent ou à une somme quelconque. Dès que la transition d’une monnaie à l’autre est intervenue, ces mots ont disparu quasiment immédiatement. Du moment où nous avons changé de monnaie, nous avons tout de suite changé de langage. En général, l’argot suit une évolution naturelle et n’a pas besoin d’un changement sociétal pour se transformer. Mais pour ce qui est de l’argot de l’argent, le phénomène est différent, beaucoup plus brutal ».

  • Balles, boules :

« T’as pas cinq balles ? ». Nul doute que l’un de vos amis, connu depuis toujours pour se noyer dans les galères et l’improvisation permanente, mais aussi pour son hygiène approximative, vous pose régulièrement cette question. Pourtant, ce mot a une longue histoire. Selon le dictionnaire du français non conventionnel de Jacques Cellard, paru en 1980, le mot « balle », utilisé pour définir une somme d’argent, est apparu dès le XVIIe siècle. Une longue histoire qui se poursuit.

  • Kopeck, rond :

Au-delà d’avoir été une monnaie véritablement utilisée dans les pays de l’ancienne Union soviétique (équivalant à un centième de rouble), le kopeck est devenu un mot employé couramment par nous autres français pour désigner un sou. Le plus souvent, il sera lâché de façon dédaigneuse pour dénigrer un objet de piètre qualité et de faible valeur : « Ça ne vaut pas un kopeck ». Utilisez-le dans les allées d’un vide-grenier, effet garanti. Son pendant français est à trouver du côté de « Rond ». « Je n’ai pas un rond », étant la phrase idéale pour refuser un apéro avec une connaissance encombrante.

  • Blé, thune :

Longtemps utilisé comme monnaie d’échange, le « blé » constitue aujourd’hui un mot renvoyant à la richesse, au fait de jouir d’une somme conséquente. « T’as du blé, toi ! », peut-on par exemple dire à une personne au porte-monnaie bien rempli (attention cependant à ne pas confondre avec « fauché comme les blés » qui ne produira pas le même effet chez votre interlocuteur). Dans le même registre, le mot « thune » s’est également maintenu. Utilisé au XIXe siècle pour désigner une pièce de cinq francs, il désigne aujourd’hui plus globalement « l’argent ». La preuve de sa bonne forme ? L’utilisation récente par Angèle, chanteuse belge de 26 ans particulièrement populaire, dans son titre “La thune” : « Tout le monde il veut seulement la thune, et seulement ça, ça les fait bander ».
L’avis de l’expert :
« Les mots “balles” et “boules” ont un temps disparu. Avec l’apparition de l’euro, ces deux mots se sont fait oublier avant de finalement revenir en force. Le phénomène est explicable ainsi : les adultes de l’époque l’utilisaient en l’associant au Franc (100 balles représentant 100 francs). Le franc ayant disparu, ils ont abandonné ce mot. Mais aujourd’hui, les millénials lui redonnent vie en l’associant à l’euro. Ce sont deux mots à la valeur fluctuante. Pour ce qui est de “blé”, “thune”, “kopeck” ou “rond”, leur légitimité n’est pas directement liée à une monnaie. Ils sont des synonymes d’argent. C’est ce qui leur permet de subsister à travers les âges ».

  • Moula, Lové :

Ces trois mots ont la même origine : la culture urbaine. Les amateurs de rap français les entendent certainement régulièrement. Moula, tout d’abord, dérivé de « moola », terme d’argot américain, signifie tout simplement « fric ». Lové (prononcé parfois « Love »), pour sa part, s’il a la même signification, a des origines manouches (« lov » signifiant « argent » en romani). Un terme au pic de sa popularité mais que nos rappeurs utilisent depuis un certain temps, de Kool Shen (“Two Shouts IV My People”, 2005) à Disiz (“Auto-Dance”, 2012).
L’avis de l’expert :
« L’argot se renouvelle seul au fil du temps. Les mots connaissent au départ une fonction cryptique, ils vivent dans un cercle restreint, puis ils quittent leurs “propriétaires” pour devenir des mots qui traversent les catégories et évoluent en autre chose que de l’argot, ce qui semble se produire ici ».
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