Plus d’un million de personnes ont manifesté contre la réforme des retraites jeudi 19 janvier. Plus question pour les ministres de nier l’ampleur de la mobilisation, mais pas question non plus de reculer sur les…
Plus d’un million de personnes ont manifesté contre la réforme des retraites jeudi 19 janvier. Plus question pour les ministres de nier l’ampleur de la mobilisation, mais pas question non plus de reculer sur les…
Huile de tournesol, moutarde… L’année 2022 fut marquée par de nombreuses pénuries alimentaires. Quelles sont les prévisions pour l’année 2023 ? On fait le point sur les produits qui pourraient bientôt…
Le déploiement croissant des voitures radars privées suscite le courroux de bon nombre d’automobilistes. Pourtant, certains lieux sont épargnés par ce nouveau type de contrôleurs. On fait le point.
Le célèbre trio, formé de Pascal Légitimus, Didier Bourdon et Bernard Campan, est populaire auprès des Français. À cette occasion, Planet vous propose d’en savoir plus sur les compagnes des Inconnus.
Les dessinateurs de presse sont nombreux à partager leur art sur Twitter pour commenter l’actualité avec leur humour grinçant. Voici notre petite sélection de la semaine.
Par Rédaction, le 07/11/2016
“Fais-nous donc un petit sourire, ça ne mange pas de pain !” disait grand-mère quand elle me voyait triste. Cela ne coûte rien et peut faire plaisir ou rapporter un petit quelque chose, tel est en effet le sens actuel de cette locution familière, plus ou moins équivalente de “si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal”.
L’allusion au pain que l’on mange est évidemment une métaphore de l’argent que l’on dépense, par nécessité, le pain étant la base de l’alimentation. L’expression était déjà mentionnée par Furetière (1690), mais avec une signification plus négative puisqu’il y est question de choses sans intérêt : “On dit aussi, des papiers et autres choses inutiles qu’on garde, cela ne mange point de pain.”
Gaston Esnault (1965) nous apprend que manger du pain rouge, c’est “vivre d’assassinats”, comme dans cet extrait d’Eugène Sue : “Il m’a fait observer que s’il ne mangeait pas de pain rouge, il ne fallait pas en dégoûter les autres […]” (Les Mystères de Paris, première partie, ch. XII, 1842).
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Défaut impardonnable pour grand-mère qui savait économiser jusqu’au moindre bouton de culotte (il faut dire qu’elle était couturière et que sa grosse boîte en fer où elle gardait des boutons de toutes tailles, de toutes formes, de toutes couleurs et de toutes matières était un véritable coffre aux trésors !) : “Comment ! Il ne te reste plus rien de l’argent de poche que ta mère t’a donné ! Tu es un vrai panier percé !”
Être (un) panier percé, c’est donc “dépenser sans compter” et ce, depuis Saint-Simon (1675-1755) qui en fait l’une de ses expressions favorites : “Ce cardinal était un panier percé qui, avec de grands biens, de grands bénéfices, et les premières charges de la cour de Rome, y était méprisé par le désordre de ses dépenses, de ses affaires, de sa conduite et de ses mœurs […]” (Mémoires, tome cinquième, ch. XII, 1710).
Ce panier percé est à rapprocher du tonneau des Danaïdes qui, n’ayant pas de fond, se vide à mesure qu’on essaie de le remplir. L’expression eut auparavant une autre signification, notée comme vulgaire chez Antoine Oudin (1640) : “Il est sot comme un panier percé, c’est un grand badin.” L’image est ici celle du cerveau qui ne parvient à s’imprégner de rien. Par une métaphore voisine, panier percé a aussi qualifié celui qui oublie tout ou qui ne peut garder un secret. Toutes ces significations sont chez Philibert-Joseph Le Roux (1735).
Au sens propre (si l’on ose dire !), il s’agit d’un ustensile si souillé qu’on ne peut le saisir par aucun bout. Au sens figuré, c’est un individu acariâtre au caractère si détestable qu’on ne sait comment l’aborder. C’est en ce sens que grand-mère disait (rarement et à voix basse) de quelque connaissance peu fréquentable : “C’est un bâton merdeux.”
L’expression a ensuite évolué pour désigner toute situation si délicate, tout problème si épineux qu’on ne sait comment les appréhender. Le bâton en question a peut-être été l’accessoire principal d’un jeu d’enfants, celui que cite Rabelais au chapitre XXII de Gargantua (1534), entre “pet en gueulle” et “brandelle”, parmi quelque deux cent vingt autres auxquels s’adonnait le fils de Grandgousier : “Guillemin, baille my ma lance.”
La règle de ce jeu est donnée par l’abbé François Guyet (1575-1655) dans l’une des nombreuses notes qu’il écrivit en marge de son Rabelais : “On bande les yeux à l’un de la troupe, lequel on traite de Chevalier. En cet état il commande à son Écuyer, soit Guillemin ou Robin, de lui bailler [tendre, ndlr] sa lance. ‘Attendez, Monsieur’, répond l’Écuyer, ‘je vous l’agence’. L’Écuyer disant ensuite à son Maître qu’il lui présente effectivement une lance : dans le temps que Monsieur le Chevalier ouvre la main pour empoigner cette lance, son Écuyer lui met en main un bâton qu’il a pris le loisir d’enduire de m… à l’endroit que l’autre doit toucher.”
On voit ici que “Guillemin” est construit sur l’ancien verbe guiller, “tromper, attraper”, également à l’origine de “guilledou” [“courir le guilledou”, c’est être volage, ndlr]. Est-ce la véritable origine du bâton merdeux ? Une autre possible source est évoquée dans certaines pages de littérature pornographique qui, pas plus que le bâton en question, n’est à mettre entre toutes les mains, par exemple :
“Oh ! par ma foi, moi qui suis sans culture / J’appelle un con un con, et dis sans bouffissure / Qu’un vit de bougre est un bâton merdeux […]”
(L’Odissée en raccourci, in Origine des puces, 1793.)
Quand on sait que “bougre” (déformation de “bulgare” datant du XIIe siècle) fut un surnom donné aux sodomites, on comprend l’allusion graveleuse.
“Ces deux-là, ils sont cul et chemise !” En disant cela de deux personnes qu’elle connaissait (mais évitait de fréquenter), grand-mère n’en soulignait pas seulement la proximité, l’inséparabilité, mais aussi la coupable complicité, l’indécence du mot cul devant nécessairement donner à la phrase un tour péjoratif.
Dès 1640, Antoine Oudin nous fournit une expression approchante : “Ce n’est qu’un cul et une chemise. Ils sont toujours ensemble ; ils ont de grandes intelligences” et Fleury de Bellingen, en 1656, en emploie une autre : “[…] elle a ajouté que c’estoient deux culs dans une chemise ; c’est à dire deux intimes et parfaits amis, qui semblaient avoir un même esprit, un même sentiment, et une même inclination” (L’Étymologie ou Explication des proverbes françois, XXVIII).
“La religion était à ses yeux un conte de bonne femme, prolongé pendant des siècles, et la théologie, un attrape-nigauds.” Le monarchiste Léon Daudet s’exprime ainsi à propos d’Émile Zola dans Quand vivait mon père (1940). Zola pensait donc que la théologie était un leurre, propre à duper les benêts, ce qui ne manque pas de sel quand on sait l’origine biblique de nigaud.
Alors qu’il est à Jérusalem, Jésus est questionné par un pharisien, chef des juifs, nommé Nicodème : “Jésus lui répondit : En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu. Nicodème lui dit : Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère et naître ?” (Jean, III, 2-4.) Nicodème devient disciple de Jésus. Après la crucifixion, c’est lui qui aide Joseph d’Arimathie à ensevelir le corps du Christ.
Est-ce parce qu’il pose à Jésus des questions plutôt naïves que Nicodème est assimilé à quelqu’un de borné ? Dans les milieux populaires, Nicodème aurait été prononcé Nigodème. Ainsi serait-il à l’origine de nigaud, apparu dès le XVIe siècle. Une autre hypothèse fait de nigaud un doublet de niais. Le premier sens de niais est en effet “pris au nid”, l’étymologie latine étant nidicare, “nicher”.
“Bien sûr nous eûmes des orages…” Quel couple peut se vanter de n’en avoir jamais eus ? Orage ou brouille passagère, le résultat se traduit bien souvent par une soupe à la grimace, l’image étant celle d’un repas pris en face d’un visage revêche : celui de votre conjoint dont la moue renfrognée traduit l’inimitié.
L’expression ne semble pas remonter au-delà du XXe siècle et l’idée de repas en a progressivement disparu, celle d’accueil hostile étant seule conservée. Une autre, un peu plus ancienne, nous parle de “soupe aux larmes” mais, plus que de l’hostilité, c’est de la tristesse qu’elle exprime :
“Londres est maintenant détestable, poursuivit Reggie avec un grand sérieux. Je n’aime pas, vous savez… La guerre… Partout à Londres, c’est comme une soupe aux larmes” (Francis Carco, Les Innocents, 1916). Ajoutons que celui qui mange la soupe à la grimace doit aussi souvent “dormir à l’hôtel du cul tourné” [dormir dos à dos dans le lit, pour un couple fâché, ndlr], la guéguerre conjugale étant ainsi pleinement consommée.
C’est la manifestation d’un agacement, d’une irritation extrême. Datée de 1901 (dans L’Argot au XXe siècle d’Aristide Bruant, à Colère), l’expression se mettre les nerfs en pelote fait partie de toute une liste où le mot nerfs au pluriel est associé aux notions d’exaspération, d’excitation, etc. :
Taper sur les nerfs, “énerver, irriter”, (1816, porter sur les nerfs dans L’Hermite de Guyane d’Étienne de Jouy), un paquet (ou une boule) de nerfs, “personne très nerveuse”, avoir les nerfs à fleur de peau, “être irritable”, être sur les nerfs, “éprouver une grande tension nerveuse”, autant d’états qui peuvent mener à la crise de nerfs (1825, dans la Physiologie du goût de Brillat-Savarin) au cours de laquelle on doit passer ses nerfs sur quelqu’un pour espérer retrouver son calme, etc.
Grand-mère disait cela de certain fils ou gendre qui n’avait pas assez de caractère pour s’opposer aux volontés et caprices de sa femme : “Ce grand nigaud se laisse mener par le bout du nez !” Mener quelqu’un par le bout du nez, c’est, au sens figuré, le conduire sans effort là où on veut aller : pas besoin de l’attacher, juste le saisir par son appendice nasal !
L’expression existait déjà à la Renaissance sous une forme très proche, mener par le nez : “[…] quand vous êtes tous ensemble, vous vous laissez mener par le nez à tels de qui chacun de vous à part ne voudrait pas prendre le conseil en ses privées affaires.” (Jacques Amyot, Caton le censeur, in traduction de Vies des hommes illustres de Plutarque, XV, 1559-65.)
Le bout du nez supplante le simple nez dès 1807 dans un compte-rendu de Il Podesta di Chioggia, opéra d’Orlandi : “Il est amoureux de Rosine, sa servante, qui se moque de lui et le mène comme un sot, par le bout du nez” (Mémorial dramatique, ou Almanach théâtral, pour l’an 1807).
“Après tout, fais comme tu veux ; moi, je m’en bats l’œil !” Ainsi se traduisait tout le dépit de grand-mère quand on refusait de suivre ses conseils. Aurait-elle été plus vulgaire qu’elle aurait dit : “Je m’en tamponne le coquillard !”, le coquillard étant un dérivé argotique de “coquille”, métaphore pour désigner l’anus. S’en tamponner le coquillard est donc synonyme de “s’en torcher”.
Pourtant (mais grand-mère l’ignorait) s’en battre l’œil fait allusion à la même partie de l’individu : Le Roux, par exemple, nous précise que l’œil est une image “pour le trou du fondement, l’anus” et il compare S’en battre l’oeil à “S’en battre les fesses”.
La Fontaine et La Champmeslé ne devaient pas mieux que grand-mère saisir le sous-entendu en faisant dire à Blaise Bouvillon : “Je m’en bats l’œil. Suis-je un comédien ? Qu’un autre fasse mieux” (Ragotin ou Le Roman comique, IV, VII, 1684). Aujourd’hui, encore plus vulgairement, on se bat (toujours virtuellement) une autre partie anatomique quand on prétend se moquer de quelque chose, ou l’on dit, toujours avec autant de finesse, qu’on n’en a rien à secouer.
Me voyait-elle faire les cent pas, l’air malheureux, désœuvré et perdu, que grand-mère tenait aussitôt à me consoler : “Tu erres comme une âme en peine ! Viens là me raconter ton chagrin.” L’expression connut un certain succès tout au long du XIXe siècle : “[…] et comme il faudrait probablement qu’il soit toute la journée à son bureau, à son atelier ou à sa boutique, je serais comme une pauvre âme en pendant son absence ; je me forgerais mille chimères” (Eugène Sue, Les Mystères de Paris, tome III, ch. IX, 1842-43).
Ne croyez pas qu’âme en peine qualifie métaphoriquement celui dont les pensées sont moroses. Elle désigne l’âme d’un défunt qui, ayant péri de ce qu’au Moyen-Âge on appelait la malemort (mort violente ou mort par suicide), continue d’errer dans le monde des vivants. Encore répandue dans certaines campagnes, cette croyance recommande prières et rituels pour que ces malheureux revenants soient enfin libérés.
Le refrain d’une chanson de Brassens fait irrévérencieusement référence à ces âmes errantes :
“Le bon Dieu me le pardonne, c’était un peu vrai. / Qu’il me le pardonne ou non, / D’ailleurs, je m’en fous, /J’ai déjà mon âme en peine : / Je suis un voyou”
(Je suis un voyou, 1954).
La toile cirée était l’indispensable accessoire des repas. On en recouvrait la table avant de mettre le couvert. Le reste du temps, la toile cirée attendait debout dans un coin de la cuisine, enroulée autour de son manche à balai.
Il est clair que si rien n’y attachait, taches de vin ou de sauces en disparaissant d’un simple coup d’éponge, un pet projeté à sa hauteur ne pouvait qu’y glisser rapidement, aussi insaisissable que l’image qu’il suscite. Ce pet qui glisse sur une toile cirée symbolise donc l’éphémère, tout ce qui disparaît en un clin d’oeil sans laisser la moindre trace.
L’expression s’est peut-être construite à partir d’une autre métaphore sur le pet : déchirer la toile, allusion non à la transparence mais au bruit (déchirer la toile s’est aussi employé pour un bruit de fusillade). Me revient alors en mémoire la plaisanterie d’un oncle qui, à chacune de ses flatuosités sonores, s’écriait : “N’en déchirez pas tant, je n’en veux qu’un mètre !”
L’expression fait allusion aux grandes pincettes que l’on utilise pour déplacer braises et bûches dans une cheminée plutôt qu’aux petites pincettes de chirurgie ou de laboratoire. Elles permettent de tisonner sans se brûler. Au sens figuré, n’est pas à prendre avec des pincettes toute personne répugnante tant d’un point de vue physique que moral, tout individu au caractère si détestable qu’il vaut mieux ne pas s’en approcher et encore moins le toucher.
La locution fut d’abord employée à l’affirmative, prendre avec des pincettes signifiant “traiter avec beaucoup d’égards, de prudence, de réserves, de circonspection”, soit dans un sens positif pour une personne éminemment respectable, soit dans un sens négatif si l’on fait référence à quelqu’un de susceptible.
Assortie de la négation, l’expression devient une hyperbole : la personne ou la situation est telle que même la plus grande précaution (les pincettes) se révélerait inutile. En ce sens, on la trouve dès 1809 : “M. de Livry nous avait appris dans un de ses précédents ouvrages, que le monde n’était pas bon à prendre avec des pincettes” (Jacques Bathélemy Salgues, Variétés, chronique de Paris in Mercure de France, 1809).
Ou née de la dernière pluie. Grand-mère avait cette réplique quand on mettait son savoir en doute ou que l’on tentait de lui en faire accroire. Sauf dans les pays arides ou en période de grande sécheresse, la dernière pluie est nécessairement récente, tombée de fraîche date. Elle symbolise donc la nouveauté, l’inexpérience et, par voie de conséquence, la jeunesse, l’innocence et la naïveté.
Ne pas être tombé de la dernière pluie, c’est donc être un vieux de la vieille, pouvoir agir ou parler en connaissance de cause : “[…] ils vont se fourrer dans des endroits dont vous n’avez pas idée. Je ne suis pas tombé de la dernière pluie, vous savez. Laissez-moi parler, ne vous en faites pas” (Jean Giono, Le Hussard sur le toit, 1951). L’expression est synonyme de ne pas être né d’hier ou de la dernière couvée.
“Dépêche-toi, grand-mère, nous allons être en retard. — Du calme, je ne peux pas aller plus vite que la musique.” L’expression m’a toujours semblé incohérente car enfin, la musique ne va vite que si l’on joue allegro, vivace, presto ou prestissimo. Si l’on joue grave, lento ou adagio, la musique va lentement !
Sans doute faut-il alors comprendre que l’interprète ne doit pas vouloir jouer plus vite que ne l’indique le tempo, qu’il ne doit surtout pas presser. Aller plus vite que les violons est une expression équivalente : “Un moment, je ne peux pas non plus aller plus vite que les violons ; j’étais bien sûre qu’aussitôt arrivé ce serait pour me faire partir” (Henri Monnier, Un Voyage en chemin de fer in Les Bourgeois de Paris, 1854).
Voilà une locution bien pratique pour marquer l’insistance, la répétition, l’excès, l’outrance, l’insupportable. Elle est généralement suivie du verbe exprimant l’action reproduite à gogo :
“Les ouvriers n’ont pas été très discrets, et vas-y que j’te tape ! Vas-y que j’te cloue ! Vas-y que j’te scie !” – “Ils se sont encore battus comme des chiffonniers. Et vas-y que j’te frappe ! Vas-y que j’te morde ! Vas-y que j’te tire les cheveux !”
Le “te” est explétif (on pourrait s’en passer), mais il est emphatique (intensif) et renforce donc l’expression. Vas-y que j’te a fini par se suffire à lui-même, devenant elliptique : “Elle lui a sorti un chapelet d’injures. Et vas-y que j’te !”
Le sou est indétrônable dans le langage populaire, bien qu’en tant que monnaie officielle il ait disparu depuis plus de deux cents ans. Les nombreuses expressions qui le contiennent en sont la preuve (voir (…) il lui manque toujours cent sous pour faire un franc). Propre comme un sou neuf en fait partie.
Au XIXe siècle, on a d’abord dit simplement propre comme un sou : “Je ne l’ai jamais vu si bien mis que ce jour-là. Il était propre comme un sou” (Victor Hugo, Les Misérables, livre onzième, ch. III, 1862). L’image est, bien sûr, celle, reluisante, d’une pièce de monnaie récemment frappée.
La nouveauté, implicite dans l’ancienne forme (une pièce mise en circulation depuis longtemps ayant troqué son brillant contre un aspect terne, voire noirci), devient rapidement explicite dans la seconde moitié du XIXe siècle : “L’unique rue qui le compose est impeccablement droite, propre comme un sou neuf, avec deux ruisseaux, s’il vous plaît, et deux trottoirs” (Verlaine, Lettre à Lepelletier du 4 octobre 1862).
“Il y a belle lurette qu’ils ne se parlent plus !” disait grand-mère d’un couple de voisins, fâchés depuis des lunes. Cette belle lurette-là est bien antérieure à celle dont Marcel Gottlieb fit la fiancée de Gai-Luron, son personnage de bande dessinée. On trouve déjà une Belle Lurette, personnage d’une opérette éponyme de Jacques Offenbach représentée en 1880 au théâtre de la Renaissance, peu de temps après la mort du compositeur.
Dans il y a belle lurette, belle lurette est une déformation de “belle hurette”, altération régionale de “belle heurette”, comprenons “belle petite heure”. L’expression est donc un euphémisme puisqu’elle signifie “fort longtemps”. Elle apparaît en 1841 dans Un monsieur et une dame, comédie-vaudeville de Xavier, Duvert et Lauzanne : “Et prêt à partir avec mon nourrisson qui l’a retenu il y a belle lurette !” (Scène X.) On trouve, dans le département de l’Yonne, la forme contractée bellurette.
L’expression a été revivifiée en 1962 par Claude Nougaro dans sa chanson Le Jazz et la Java : “Il y a de l’orage dans l’air, il y a de l’eau dans le gaz entre le jazz et la java.” L’image est celle de l’eau qui éteint la flamme du fourneau et, faisant fuir le gaz, risque aussi de provoquer l’explosion.
Claude Duneton (2001) explique l’expression par un incident se produisant fréquemment dans les années 1920-1930 quand le gaz de houille, chargé de vapeur d’eau, arrivait irrégulièrement jusqu’au réchaud des ménagères. L’eau et le gaz n’ont jamais fait bon ménage, pas plus que mari et femme quand, à force de disputes, le ciel conjugal tourne à l’orage. C’est bien alors le ménage qui menace d’exploser. Une autre expression, issue d’un même contexte ménager, véhicule une idée semblable : “Le torchon brûle.”
Ou gnognote. On trouve même au début du XIXe siècle : nioniote. En mettant l’expression à la forme négative, grandmère nous faisait ainsi comprendre qu’elle appréciait les choses à leur juste valeur : “Dis donc, ce petit vin rouge, c’est pas de la gnognotte !”
Le redoublement du “gn” évoque le gnangnan, le néant, ce qui est tout autant niais que nié, donc ce qui équivaut à rien. Une gnognotte fut d’abord, dans le centre de la France, une “niaiserie”, une “bagatelle” (Hippolyte-François Jaubert, Glossaire du Centre de la France, 1855) ou, en Saintonge, un “mauvais bonbon dont on amuse, abuse les enfants” (Pierre Jonain, Dictionnaire du patois saintongeais, 1869).
En matière de termes régionaux, on trouve aussi en Savoie gnognoler, “être indécis”, à rapprocher de niougne, “fille sotte et lente”. Autant de mots onomatopéiques pour dire l’inanité.
C’était une rengaine de notre enfance : nous surprenait-elle en train de nous chuchoter à l’oreille quelque secret supposé inavouable dont elle se sentait injustement exclue que grand-mère s’écriait d’une voix réprobatrice : “Pas de messe basse sans curé !” Sans doute ne savions-nous pas alors qu’une messe est dite “basse” quand elle est non chantée.
Elle s’oppose à la grand-messe ou messe haute. Parce que le prêtre ne fait qu’y réciter des prières en tournant le dos à l’assistance, celle-ci peine à le comprendre, ayant ainsi la désagréable impression d’être exclue de la célébration.
On pense au conte de Noël d’Alphonse Daudet où le chapelain, impatient de profiter du réveillon, “se rue sur son missel et dévore les pages avec l’avidité de son appétit surexcité”, rendant ses prières encore plus inaudibles : “Entre le clerc et lui, c’est à qui bredouillera le plus vite. Versets et répons se précipitent, se bousculent. Les mots à moitié prononcés sans ouvrir la bouche, ce qui prendrait trop de temps, s’achèvent en murmures incompréhensibles” (Les Trois Messes basses in Les Lettres de mon moulin, 1870).
Dire des messes basses a donc pris le sens figuré de “parler à une seule personne, en aparté et en chuchotant”. Celui qui se livre à la chose, évidemment considérée comme impolie, ne peut qu’appeler la réprobation d’autrui, voire de son confident.
On connaît l’anecdote d’Alexandre le Grand qui, de passage à Corinthe, voulut rendre visite à Diogène de Sinope dont la réputation était parvenue jusqu’à lui. Arrivé devant le tonneau où le philosophe prétendait vivre comme un chien, Alexandre, qui aimait la philosophie pour avoir été l’élève d’Aristote, se fit grand seigneur : “Demande-moi ce que tu veux, dit-il au vieil homme, et tu l’auras.”
Diogène répondit simplement : “Ôte-toi de mon soleil !” On peut se demander qui, des deux personnages, faisait vraiment de l’ombre à l’autre. Si Diogène avait vécu de nos jours, la repartie aurait pu être : “Bouge de là ! Tu n’es pas transparent” ou encore : “Eh ! Ton père n’est pas vitrier !”, plaisanterie bienvenue pour faire comprendre à un enquiquineur qu’il est dans notre champ visuel, l’espèce de ces fâcheux qui se croient seuls au monde n’étant malheureusement pas en voie d’extinction.
Les textes de cet article sont des reproductions de certains chapitres du livre Inoubliables expressions de grand-mère, de Jean Maillet, publié aux Éditions de L’Opportun.
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