Publié le 05/03/2022
Jenn Meeus
On y a combattu César et les Allemands, on y exploite les forêts depuis trois cents ans, on y a accueilli résistants et enfants. Ce qui s’apparente à une énigme en est bel et bien une : rares sont ceux qui, en dehors de ses enceintes de bocages verdoyants jalousement gardés par les charolaises, connaissent le Morvan.
L’allure lente. C’est une terre à la longue mémoire dont la rudesse n’a d’égale que la dureté du granit qui compose son socle. Pour percer ses mystères, rien de mieux que de l’arpenter au pas, en suivant l’intuition vive des ruisseaux qui foulent les caillasses. Seule cette allure lente qui se laisse le temps de l’aventure permet d’entrevoir et d’approcher les bêtes sauvages. Celles qui émeuvent et qui fascinent parce que, d’entre toutes, ce sont celles qui sont restées profondément libres.
Le clown blanc. La liberté se trouve d’abord sur les rives du lac des Settons, loin de l’agitation du village, où Michel Paupert, clown blanc à la retraite, fait tonner ses saxophones et ses clochettes. Jeune adulte, il travaillait en tant que cheminot à la SNCF et se rendait certains soirs à Paris pour chanter dans les cabarets et cafés-théâtres, avant de reprendre le train au petit matin.
Sa passion pour la musique et le spectacle l’a mené sous les chapiteaux de Gruss et du Cirque d’Hiver Bouglione, pour lesquels il effectue encore des remplacements. « La retraite, je ne la connais pas et ne la souhaite pas, être clown c’est pour la vie », dit-il avec une pointe de nostalgie. Pour le temps où il arpentait les rues parisiennes avec son ami L’Auguste. Pour le temps où tous deux jouaient et faisaient la manche devant Fauchon, un soir de Noël, place de la Madeleine, entre deux représentations. « C’est qu’il fallait le payer le costume, 1.200 francs ! Et je ne l’ai jamais lavé ! Quand on joue dans une cage, entouré de dix tigres blancs, on ne change pas de shampoing ni de mousse à raser ! »
Sous une mélodie enjouée et colorée, Michel Paupert revêt ses facétieuses grimaces. Il joue pour la faune et la flore, accompagné de fauves imaginaires. Être clown, c’est pour la vie.
Savoir troubler. En contrebas du bourg de Gâcogne, au bout du chemin que l’on appelle la route des Souhaits, d’autres sons familiers rivalisent. Là se dandinent et grappillent d’adorables cochons aux teintes cuivrées comme une forêt de feuillus à l’automne. En poussant davantage la porte de la ferme, l’on peut lire une citation de René Char : « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience ».
C’est le leitmotiv de Muriel Petitdent et de Pascal Fichot, paysans de l’Huis Dupin. Qu’elle soit terre d’accueil, pour elle, ou terre d’aïeuls, pour lui, ils la défendent bec et ongles. Certifiés bio depuis 2003, tous deux pratiquent la polyculture élevage et la vente directe de caissettes de viande bovine et porcine à la ferme depuis quinze ans.
Une offre qu’ils ont étoffée au printemps 2020 avec l’arrivée d’autres producteurs et artisans locaux prônant, tout comme eux, circuits courts et respect de l’environnement. Chaque samedi matin voit fleurir des étals de viandes… auxquels s’ajoutent, de temps à autre, quelques notes de musique jouées par la troupe itinérante de l’Ambulans Théâtre. Pour Muriel et Pascal, « la révolution passe par l’agriculture et la culture », qu’elle s’exprime dans la lutte pour créer ou maintenir des filières courtes ou dans le fait de faire jouer une pièce de théâtre dans leur stabulation. Dans la cour de leur ferme naissent, comme des jumeaux inséparables, spectacles et combats.
Sortir la culture des enceintes institutionnelles sacralisées, c’est aussi ce que s’évertue à faire un collectif d’artistes en Morvan. Tantôt à bord du camion d’alimentation générale culturelle, tantôt à pied, comédiens, chanteurs et musiciens s’assemblent de façon programmée ou improvisée.
Une bassine et des gants. Ainsi, les places de Chiddes, Roussillon-en-Morvan, Poil et Larochemillay ont été le décor de spectacles et de carnavals où les artistes ont crié haut et fort le caractère essentiel de leurs métiers. « Vive les trucs vivants ! », pouvait-on lire sur les pancartes. De vie, le numéro de Chloé Bosc n’en manquait pas. En un tour de chant poétique, la chanteuse, affublée d’une bassine et de gants en plastique, a interprété La Vie en ros e, d’Edith Piaf, en langue des signes. Captant l’attention des badauds avec la grâce et la vivacité des hirondelles, conférant aux ruelles un aspect magique.
Un cabinet de curiosités. La beauté niche aussi sur les hauteurs de Montigny-en-Morvan. A l’abri de deux anciens bâtiments de ferme, encerclés des disques argentés de la Monnaie-du-pape, se trouvent Mathieu Witmondt et son cabinet de curiosités. Botaniste en Guyane pendant plusieurs décennies, ce corsaire aux allures de Viking, qui répète souvent qu’il « n’aime vraiment pas l’hiver », a rapporté une myriade d’objets, de trésors et de plantes qu’il chérit dans ses serres. C’est le paradis des curieux qui « ont le droit de regarder partout », scande Mathieu avec malice.
Au pays des étoiles. C’est vers le ciel que les yeux doivent s’égarer pour y voir l’une des plus belles surprises morvandelles. À l’heure où la nuit vient taquiner les collines, où le ferronnier d’art d’Ouroux-en-Morvan bat encore le fer tant qu’il est chaud (il faut préciser qu’il s’appelle Lumiere), les étoiles éclatent partout en de formidables bouquets. Et par temps clair, il est bien commun de se laisser entièrement envoûter par elles. Certaines brillent davantage, mais chez toute, la vie y résonne aussi intensément. 
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