Dans l’arsenal de sanctions infligées à la Russie pour son attaque de l’Ukraine, la communauté internationale souhaite assécher la possibilité pour le pays de faire du business en dollars et en euros. Une manière de l’isoler économiquement.
Il s’agit dans le même temps de viser au portefeuille les oligarques russes et leurs familles qui tiennent l’économie du pays et “qui ont personnellement profité de la politique du Kremlin et (qui) devraient partager la douleur” de l’Ukraine, a ainsi expliqué Joe Biden.
Pour autant, l’efficacité de ces sanctions pourrait être diluée par l’ancrage de plus en plus fort des cryptomonnaies en Russie. Le pays occupe en effet la 2ème place sur 154 pays en matière d’utilisation des cryptomonnaies, juste après l’Ukraine et avant le Venezuela.
Plus de 17 millions de Russes, soit environ 12% de la population totale, sont propriétaires de crypto-monnaie, selon les données de la passerelle de paiement TripleA basée à Singapour. Ils possèdent plus de 2 billions de roubles (22,9 milliards de dollars) de cryptomonnaies, selon un récent document gouvernemental.
“Le volume de transactions en cryptomonnaie en Russie en 2019-2020, par rapport à la population et à la taille de l’économie, était très élevé”, constate la Banque centrale, l’estimant à 5 milliards de dollars.
Sur le papier, l’idée est simple: contourner les interdictions des occidentaux en commerçant en bitcoin ou dans un autre crypto-actif de manière décentralisée. Un principe déjà exploité à grande échelle par le Vénézuela ou la Corée du Nord.
“Ni les dictateurs ni les militants des droits de l’homme ne rencontreront de censeur sur le réseau Bitcoin”, explique à Bloomberg Matthew Sigel, responsable de la recherche sur les actifs numériques chez le gestionnaire d’investissement VanEck.
Les cryptoactifs offrent en effet de nombreux atouts, la technologie blockchain permet de garder les transactions anonymes. De quoi leur permettre d’acheter des biens et des services et à investir dans des actifs en dehors de la Russie, tout en évitant les banques ou les institutions qui collaborrent avec les Etats-Unis et leurs alliés européens pour surveiller et retracer leurs transactions.
Contrairement aux devises classiques, qui doivent passer par des institutions tierces capables de les suivre, de les geler ou de les bloquer, les cryptomonnaies peuvent potentiellement être envoyées d’une personne directement à une autre, quelles que soient les sanctions gouvernementales ou autres restrictions.
“Si deux personnes ou organisations veulent faire des affaires l’une avec l’autre et ne sont pas en mesure de le faire par l’intermédiaire des banques, elles peuvent le faire avec Bitcoin”, explique de son côté Mati Greenspan, fondateur et directeur général de Quantum Economics. “Si une personne fortunée craint que ses comptes ne soient gelés en raison de sanctions, elle peut simplement détenir sa richesse en Bitcoin afin d’être protégée contre de telles actions.”
De plus, ils peuvent choisir des échanges de cryptomonnaie qui ne sont pas basés dans des pays qui imposent des sanctions et qui ne doivent donc pas nécessairement respecter les réglementations.
Pour autant, si acheter ou faire du business en crypto sembler permettre de contourner les sanctions, tous les actifs détenus en crypto ne sont pas toujours facilement convertibles en monnaies fiduciaires via des échanges centralisés, selon les experts.
Dans le même temps, les gouvernements ont également les moyens de limiter l’usage des cryptos ou de le réglementer sévèrement. Exemple avec le gouvernement canadien qui s’est penché sur des comptes en crypto actifs appartenant à des camionneurs qui recevaient des fonds pour soutenir leurs blocages des passages frontaliers entre les États-Unis et le Canada.
Et des sociétés se devenues les spécialistes du traçage d’échanges ou de tentatives de conversion en monnaies fiduciaires. A l’image de FTX fréquemment sollicitée par les forces de l’ordre de plusieurs pays. Exemple avec l’arrestation de deux personnes liées au piratage Bitfinex de 2016. Le gouvernement américain a pu suivre l’activité de certains portefeuilles et, par conséquent, geler les comptes dès qu’ils ont été convertis en monnaies fiduciaires.
Enfin, et c’est une question centrale pour les oligarques russes qui seraient tentés de s’appuyer sur les cryptoactifs, comment va évoluer le statut du bitcoin en Russie?
En février, la Banque centrale russe planchait sur une interdiction totale des cryptoactifs accusés de destabiliser l’économie et d’être schématiquement une arnaque. Mais après l’intervention du Kremlin, le projet pourrait prendre une autre tournure en faisant des bitcoins et consorts l’équivalent de devises étrangères.
Les récents événements et la pluie de sanctions frappant la Russie pourraient accélérer cette normalisation pour le plus grand bonheur des entreprises et des oligarques russes.
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