Deux arrêts de la Cour de justice tirent des conséquences inédites liées au retard important ou à l’annulation d’un vol : l’un juge que le passager peut exiger le paiement de l’indemnisation prévue par le droit de l’Union dans la monnaie nationale du lieu de sa résidence ; l’autre énonce qu’en cas d’hébergement des passagers à l’hôtel consécutivement à l’annulation, la compagnie n’a pas à répondre des fautes de l’hôtelier.
Dans deux arrêts du 3 septembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), appliquant le règlement n° 261/2004 du 11 février 2004 sur les droits des passagers aériens, tire des conséquences inédites de l’annulation ou d’un retard important (supérieur à trois heures) d’un vol.
1. Le premier arrêt (aff. C-356/19) aborde la conséquence la plus répandue liée à l’annulation (ou plutôt ici au retard important) d’un vol relevant du champ d’application du règlement 261/2004 (tel était bien le cas, puisqu’il s’agissait d’un vol d’un pays tiers à l’Union européenne vers la Pologne, qui entre dans le champ d’application de ce règlement en application de l’article 3, § 1er, b) de celui-ci) : l’obligation, pour la compagnie aérienne, d’indemniser le passager, prévue par l’article 5, § 1er, c), dudit règlement. Se posait ici la question de la devise dans laquelle doit intervenir l’indemnisation. Dans la plupart des cas, la réponse est évidente : c’est l’euro, car le passager qui sollicite une indemnisation réside dans un État de la zone euro. Mais il peut arriver qu’il réside dans un État non membre de l’Union européenne, ou encore dans un État membre ayant conservé sa devise d’origine. Sur ce point, le règlement est silencieux.
En l’occurrence, la passagère dont le vol a subi important pouvait prétendre à une indemnisation d’un montant de 400 €, au titre de l’article 7, § 1er, du règlement 261/2004 (vol vers un pays de l’Union européenne compris entre 1 500 et 3 500 km). Avant d’être indemnisée, elle a cédé sa créance à Delfly, société établie en Pologne. Cette dernière a saisi une juridiction polonaise (un tribunal d’arrondissement de la ville de Varsovie), pour qu’elle ordonne à la compagnie aérienne (également polonaise) de lui verser la somme de 1 698,64 zlotys polonais (PLN), qui, en application du taux de change fixé par la Banque centrale de Pologne à la date d’introduction de la demande d’indemnisation, équivalait à 400 €. La compagnie aérienne a alors tenté d’obtenir le rejet de la demande d’indemnisation au motif notamment que celle-ci avait été exprimée, contrairement aux dispositions du droit national, dans une monnaie erronée, à savoir en PLN et non en euros.
La juridiction polonaise a décidé de saisir la Cour de justice par la voie préjudicielle. Elle a cherché à savoir si, conformément au règlement 261/2004, un passager, dont le vol a été annulé ou a subi un retard important, peut demander le paiement du montant de l’indemnisation visée dans ce règlement dans la monnaie nationale ayant cours légal au lieu de sa résidence, de telle sorte que le règlement s’oppose à une réglementation ou à une pratique jurisprudentielle d’un État membre prévoyant que la demande formée à cet effet par un tel passager ou son ayant droit sera rejetée au seul motif que celui-ci l’a exprimée dans cette monnaie. La CJUE rappelle tout d’abord que l’objectif principal poursuivi par le règlement 261/2004 consiste à assurer un niveau élevé de protection des passagers. Il s’ensuit que les dispositions octroyant des droits aux passagers aériens doivent être interprétées largement. Selon elle, le fait de subordonner le droit à indemnisation pour les préjudices que constituent les désagréments sérieux dans le transport aérien des passagers à la condition que l’indemnisation soit payée au passager lésé en euros, à l’exclusion de toute autre monnaie nationale, reviendrait à restreindre l’exercice de ce droit et méconnaîtrait, dès lors, l’exigence d’interprétation large. Elle conclut que le règlement 261/2004, et notamment son article 7, § 1er, « doit être interprété en ce sens qu’un passager, dont le vol a été annulé ou a subi un retard important, ou son ayant droit, peut exiger le paiement du montant de l’indemnisation visée à cette disposition dans la monnaie nationale ayant cours légal au lieu de sa résidence, de telle sorte que ladite disposition s’oppose à une réglementation ou à une pratique jurisprudentielle d’un État membre prévoyant que la demande formée à cet effet par un tel passager ou son ayant droit sera rejetée au seul motif que celui-ci l’a exprimée dans cette monnaie nationale ». Le règlement de l’indemnité doit donc ici intervenir en PLN.
II. Le second arrêt (aff. C-530/19) concerne un litige entre une compagnie aérienne et l’un de ses clients au sujet d’une demande de dommages et intérêts introduite par ce dernier en réparation des dommages qu’il avait subis dans l’enceinte d’un hôtel dans lequel la compagnie l’avait hébergé à la suite de l’annulation de son vol. Pour rappel, en application de l’article 9, § 1er, b), du règlement 261/2004, en cas d’annulation de vol, les passagers se voient offrir gratuitement un hébergement à l’hôtel, notamment au cas où « un séjour d’attente d’une ou plusieurs nuits est nécessaire ». En l’occurrence, une passagère disposait d’une réservation pour un vol de Majorque (Espagne) à Vienne (Autriche), lequel devait être réalisé par une compagnie aérienne autrichienne. À la suite de l’annulation de ce vol, ladite réservation a été modifiée et le départ de Majorque a été reporté au lendemain soir. En raison de cette annulation, la passagère s’est vu offrir, par la compagnie, un hébergement gratuit dans un hôtel local. Malheureusement, au cours de son séjour dans cet hôtel, la passagère, qui se déplace en fauteuil roulant, est tombée et a été grièvement blessée après que les roues avant de son fauteuil roulant sont restées coincées dans une rigole transversale d’un chemin.
Elle a introduit une demande de dommages-intérêts contre la compagnie aérienne devant une juridiction autrichienne. Il a fait valoir devant cette dernière que l’accident s’était produit dans l’enceinte dudit hôtel et que le personnel de l’exploitant de ce même hôtel avait agi avec négligence en n’ayant ni retiré ladite rigole transversale ni sécurisé celle-ci. Sa demande est rejetée au motif que le transporteur aérien était uniquement tenu de fournir un hébergement, le règlement n° 261/2004 du 11 février 2004 sur les droits des passagers aériens ne prévoit aucune responsabilité pour les dommages consécutifs à la prétendue négligence du personnel de l’hôtel dans lequel un hébergement est offert en vertu de ce règlement. Saisie par voie préjudicielle, la Cour de justice confirme la solution : l’article 9, § 1er, sous b), du règlement 261/2004 doit être interprété en ce sens que l’obligation incombant, en vertu de cette disposition, au transporteur aérien d’offrir gratuitement aux passagers qui y sont visés un hébergement à l’hôtel n’implique pas que ce transporteur soit tenu de prendre en charge les modalités d’hébergement en tant que telles. Elle ajoute que le transporteur ne saurait être tenu, sur le fondement de ce seul règlement, de dédommager ce passager des préjudices causés par une faute commise par le personnel dudit hôtel.
La solution adoptée est a priori peu conforme à l’objectif du règlement 261/2004 visant à « garantir un niveau élevé de protection des passagers » (consid. 1). La CJUE en fournit pourtant l’explication. La clé de voûte du règlement 261/2004 réside dans le fait que ce dernier fait bénéficier lesdits passagers de mesures réparatrices « standardisées et immédiates » (CJUE 10 janv. 2006, aff. C‑344/04, spéc. pt 86). Compte tenu de cet objectif, une interprétation de l’article 9, § 1er, b), du règlement « selon laquelle le transporteur aérien devrait lui-même, sous sa responsabilité, prendre en charge les modalités d’hébergement des passagers concernés ne saurait être admise, dès lors que les opérations nécessaires pour mener à bien une telle prise en charge dépassent le cadre du système d’assistance standardisée et immédiate, sur place, que le législateur de l’Union a entendu instaurer au bénéfice des passagers » (pt 27). En d’autres termes, le dommage intervenu dans le cadre de l’hébergement est nécessairement individuel – il dépend notamment de l’état physique de la victime – et ne se prête pas à une réparation forfaitaire, qui est le système prévu par l’article 7, § 1er, en cas d’indemnisation en cas d’annulation ou de retard de vol. Néanmoins, il est peu douteux qu’une action en réparation puisse être exercée par la victime contre l’hôtelier. Mais, compte tenu de l’absence de lien de droit entre eux, celle-ci repose nécessairement sur un fondement délictuel. En pratique, cette action devrait être exercée par l’assureur (ou la caisse de sécurité sociale) de la victime, lequel, après avoir indemnisé cette dernière, sera subrogé dans ses droits.
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