Ces derniers temps, Bank Al-Maghrib n’a eu de cesse de mettre en garde les Marocains contre les risques inhérents à l’achat et à la détention de crypto-monnaies. Pourtant, ces mises en garde demeurent inaudibles.
 
 Rappelons que selon l’étude réalisée en 2021 par le Global Cryptocurrency Adoption Index, le Maroc serait classé 24ème utilisateur mondial de crypto-monnaie.

Quant au volume d’échange de bitcoins par les Marocains, il aurait atteint les 6 millions de dollars US durant la même année.
L’essentiel des utilisateurs marocains correspond à un profil de jeunes âgés entre 20 et 30 ans, qui par-delà les cyber-monnaies, pratiquent généralement du trading sur le Forex en tant qu’amateur ou amateur averti.
Mais que dit la loi à ce sujet ?
 
 
Au fait rien, et c’est là où le bât blesse. Mais c’est quand même interdit. A la marocaine ai-je envie de dire. Puisque les autorités, en l’occurrence l’Office des changes, ont à travers un communiqué en 2017, décrété cette interdiction à travers un cheminement juridique tortueux, en invoquant l’article 339 du code pénal qui stipule que : «La fabrication, l’émission, la distribution, la vente ou l’introduction sur le territoire du Royaume de signes monétaires ayant pour objet de suppléer ou de remplacer les monnaies ayant cours légal, est puni de l’emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 500 à 20.000 dirhams».
 
 
Or, première question. Bien que le terme «monnaie» soit adossé à «crypto» dans le cas du bitcoin, de Ethereum ou encore de Luna, peut-on cependant du point légal parler de monnaie ?
 
La réponse est compliquée. Car usuellement, est qualifié de monnaie tout signe monétaire émis par une institution légale dans le cadre d’une souveraineté politique. Soit autrement dit, toute monnaie est par définition adossée à un Etat dont elle est l’une des principales missions et droit régalien. Cependant, le concept même de crypto-monnaie a été pensé de manière à échapper à toute tutelle et à toute territorialisation. Une forme d’anarchisme monétaire revendiqué. Anarchisme pas au sens de chaos mais au sens politique du terme, autrement dit «ni Dieu ni maître».
 
 
De ce point de vue, ces crypto peuvent être qualifiées d’instrument d’échange universel, mais très difficilement de monnaie et encore moins de devise. Autant interdire l’or dans ce cas, puisque sa valeur est universelle et ne dépend d’aucune souveraineté politique.
 
Mais le fait est qu’en invoquant l’article 339 du code pénal pour les interdire, l’approche des autorités relève davantage du «Qiyas» et du «Fiqh» que du  droit objectif, qui doit répondre à un critère essentiel, celui de la «clarté de la loi».
 
Ainsi, avant de combattre les crypto-monnaies, commençons peut-être déjà par combattre les crypto-lois.
 
 
Deuxième problématique, l’argument de la protection des consommateurs.
Car depuis quand protège-t-on les gens en les menaçant, voire en les mettant en prison ? 
De même, l’argument de la très forte volatilité des «crypto» et le risque important de pertes financières me semblent difficilement tenables. Rappelons que c’est le propre même des marchés financiers en général que d’être volatiles. Ira-t-on au nom de la protection des particuliers jusqu’à leur interdire d’acheter des actions en Bourse ?
 
Enfin, comment justifier l’argument de la protection des consommateurs face à de grandes pertes, quand une société anonyme organise depuis 1962 dans un cadre légal des loteries et des paris sportifs ? Car ce n’est pas en mettant la mention «jouez responsable» que les gens vont le faire. On a probablement tous vu un jour ou l’autre dans certains kiosques, des pères de famille pauvres, placer les quelques deniers qui leur restent dans des paris de foot, au lieu de les mettre dans le panier de leurs enfants. Combien de familles ont été ruinées au Maroc par cette pratique légale ? Peut-être davantage que par les crypto-monnaies.
 
Ajoutons à cela qu’au Maroc, il existe encore un contrôle des changes, et que la dotation électronique en devises, longtemps plafonnée à 10.000 DH/an, vient récemment d’être rehaussée à 15.000 DH. 
Autrement dit, le maximum que peut perdre un Marocain résidant au Maroc dans les crypto-monnaies est 15.000 DH par an. Ça peut faire mal mais il n’y a pas mort d’homme.
  
 
Troisième et dernière problématique, l’argument du financement d’activités illégales (trafic de drogue, terrorisme,…).
Là encore l’argument semble bancal. Puisque plus un moyen de financement est combattu par la loi, plus il devient opaque et difficilement contrôlable. C’est le propre même du «Dark Web» par exemple que d’être opaque et efficace pour le financement des activités illégales.
Le meilleur moyen de lutter contre le financement de ces activités demeure la légalisation et par conséquence la transparence. Car rappelons-le, la majorité des détenteurs de crypto-monnaies au Maroc ne sont point des mafieux, mais des particuliers très souvent jeunes.
 
Par conséquent, à moins d’envoyer des milliers, voire des dizaines de milliers de nos jeunes en prison, je ne vois pas comment cette interdiction pourrait être crédible. En attendant, c’est l’arbitraire et la confusion la plus totale qui s’applique au nom de la loi dans un esprit théologique du «Qiyas».
 
 
Mais loin de moi l’idée de faire l’apologie, ni d’ailleurs de diaboliser les crypto-monnaies, l’essence de mon discours réside dans un désir de transparence, de clarté, de cohérence et de pédagogie. 
 
 
Traiter les citoyens marocains comme des adultes en les mettant en garde contre les risques par une pédagogie qui respecte leur intelligence, me parait infiniment plus productif que de les infantiliser en brandissant systématiquement la menace de la prison.
 Le réflexe sécuritaire se doit tôt ou tard de céder la place au réflexe pédagogique et préventif.

 
Par Rachid Achachi, chroniqueur, DG d'Arkhé Consulting

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