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Non réglementé, l’usage des crypto-monnaies laisse place à un flou sur le plan judiciaire. Les tribunaux sont confrontés à un phénomène nouveau, technique et non encadré. Sondés par Médias24, des avocats, experts en droit des crypto-monnaies, estiment qu’un cadre légal est désormais nécessaire au Maroc, malgré les difficultés relatives à sa mise en place. Détail.
Le 24 janvier 2022 à 14h03
Non réglementé, l’usage des crypto-monnaies laisse place à un flou sur le plan judiciaire. Les tribunaux sont confrontés à un phénomène nouveau, technique et non encadré. Sondés par Médias24, des avocats, experts en droit des crypto-monnaies, estiment qu’un cadre légal est désormais nécessaire au Maroc, malgré les difficultés relatives à sa mise en place. Détail.
En 2021, 2,4% des Marocains étaient en possession de crypto-monnaies, selon une étude de la société de paiements cryptographiques Triple A, qui classe le Maroc en tant que 24e utilisateur mondial de monnaie cryptographique. Pourtant, cet usage n’est pas encore réglementé dans le pays. Il est même considéré comme illégal selon un communiqué de l’Office des changes daté de 2017.
Mais l’absence d’une réglementation dédiée laisse place à un flou sur le plan judiciaire ; les tribunaux sont soumis à un phénomène nouveau, non encadré et technique.
Joints par nos soins, des avocats experts en droit des crypto-monnaies estiment qu’un cadre légal est désormais nécessaire au Maroc, ne serait-ce que pour lutter contre la cybercriminalité qui profite des avantages de la monnaie virtuelle. Mais aussi pour saisir les opportunités socio-économiques de son usage.
Un cadre légal nécessaire mais difficile
Contacté par nos soins, Me Mourad Elajouti, avocat au barreau de Casablanca, estime que “le Maroc a beaucoup à gagner en encadrant juridiquement l’usage des crypto-monnaies”. Cela permettra de “positionner le pays sur ce marché très lucratif”, mais aussi “d’éviter que les détenteurs de portefeuille de crypto-monnaie n’aient recours à des circuits dangereux pour échanger leurs avoirs. Ce qui pourrait “priver notre pays de ces flux de monnaies, mais aussi de potentiels investissements”.
Dans le même sens, Me Zineb Naciri-Bennani, avocate inscrite aux barreaux de Paris et de Casablanca, affirme que “la réglementation des crypto-monnaies, qui prennent de plus en plus de place, est urgente”.
“De plus, certains Marocains utilisent cet outil dans leurs transactions. Ceci nécessite de maîtriser le risque, qui est la principale inquiétude : celui de l’utilisation des crypto-monnaies dans des activités criminelles”, poursuit l’avocate.
Me Iliass Segame, avocat au barreau de Casablanca, également contacté par Médias24, met en exergue les mêmes éléments : la prolifération exponentielle des échanges de crypto-monnaies au quotidien, la nécessité d’un cadre légal, les avantages et les risques des crypto-monnaies, etc.
Néanmoins, Me Segame souligne que “l’exercice d’une régulation risque de se confronter à la clarification de la nature même de la crypto-monnaie : s’agit-il d’un jeton numérique, d’un actif ou d’une marchandise virtuelle, d’une cybermonnaie, ou bien d’une monnaie réelle ? Aucun consensus n’existe autour de la terminologie pour décrire la crypto-monnaie, celle-ci varie d’un pays à un autre”.
Aussi, selon Me Segame, une régulation stricte des crypto-monnaies signifie “faire obstacle, en quelque sorte, à ses aspects les plus attractifs”. “Il serait difficilement envisageable, pour les gouvernements, d’opérer un contrôle des blockchains. Surtout que les marchés de cryptomonnaies à l’international échappent aux institutions financières du fait de la décentralisation, principal avantage de cette technologie”.
Autre problématique : la difficulté d’exercer un contrôle ou de prononcer des sanctions à l’encontre des plateformes financières décentralisées, qui ne disposent pas d’un siège au sein du pays à l’origine de la réglementation.
Par ailleurs, Me Iliass Segame estime que “le fait d’interdire l’accès aux sites internet de ces plateformes, qui ne seraient pas conformes à cette règlementation, s’avère tout aussi infructueux. De telles mesures peuvent aisément être contournées au moyen des VPN (Virtual Private Network). De ce fait, plusieurs pays préfèrent tout simplement interdire l’usage des crypto-monnaies”.
“En revanche, il serait opportun de mettre à jour les législations relatives à la lutte contre la corruption, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme”, suggère l’avocat.
De son côté, Me Zineb Taj, avocate au barreau de Casablanca, considère opportune, mais non urgente, la régulation d’une telle monnaie.
“Pour beaucoup de Marocains, la monnaie demeure palpable et scripturale (…). Cela dit, pour éviter les dérives, il serait opportun d’encadrer l’utilisation et la circulation de la monnaie virtuelle (…). Une réglementation dans ce sens devra tenir compte de l’évolution du digital, de l’aspect fiscal, bancaire et financier, mais aussi des nouvelles technologiques et libertés informatiques”, indique Me Taj, soulignant que “diverses problématiques peuvent découler du vide juridique actuel”.
Selon Me Taj, il s’agit, entre autres, de la “facilitation de l’évasion fiscale”, de “l’anonymat des transactions sur les plateformes de dark web pour l’acquisition de produits ou services illégaux”, ainsi que la facilitation du “blanchiment de capitaux de façon détournée et anonyme”.
“Les infractions à la réglementation des changes sont spécifiques aux comptes bancaires détenus à l’étranger”
Comme le rappelle Me Naciri-Bennani, “l’Office des changes considère l’utilisation des crypto-monnaies comme étant une infraction à la réglementation des changes, alors que Bank Al-Maghrib s’est contentée de mettre en garde les citoyens quant à son utilisation, en raison de l’absence de réglementation et l’absence de protection du consommateur”. Ces prises de position suffisent-elles à faire appliquer des sanctions ? 
Au Maroc, quelques décisions judiciaires ont été prononcées dans des affaires impliquant l’utilisation de Bitcoin, dans le cadre desquelles s’est posée la question du fondement légal d’une éventuelle sanction.
“Le droit pénal marocain prévoit le principe, à valeur constitutionnelle, de légalité des délits et des peines. Dans une décision datant de 2018, la cour d’appel de Marrakech a considéré que le juge pénal n’est pas autorisé, s’il est confronté à des actes que le législateur n’a pas incriminés, à condamner l’accusé par analogie avec des actes similaires. Dans cette affaire, la cour d’appel a relaxé les personnes poursuivies”, indique Me Naciri-Bennani.
De plus, les interdictions en vigueur ne portent pas sur les monnaies virtuelles, mais sur les monnaies ayant cours légal. C’est ce que souligne Me Mourad Elajouti en évoquant “l’article 339 du Code pénal sur lequel se basent les tribunaux marocains pour incriminer cette activité”.
Cet article dispose que ”la fabrication, l’émission, la distribution, la vente ou l’introduction sur le territoire du Royaume de signes monétaires ayant pour objet de suppléer ou de remplacer les monnaies ayant cours légal, est punie de l’emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 500 à 20.000 DH”. Mais selon Me Elajouti, “ces dispositions ne peuvent être applicables dans le cas de monnaie virtuelle”.
“Les infractions à la réglementation des changes sont spécifiques aux comptes bancaires détenus à l’étranger. Ces dispositions ne peuvent s’appliquer aux détenteurs de monnaie virtuelles, puisqu’il ne s’agit pas de devises identifiées mais d’une monnaie virtuelle convertible”, précise Me Elajouti. Il déplore par ailleurs le vide juridique qui laisse place à des “décisions judiciaires contradictoires”, dans un “domaine très technique, auquel nos juges ont besoin d’être formés”.
Pour sa part, Me Segame estime que “l’absence d’un cadre légal rend l’application de la justice étatique particulièrement difficile à bien des égards. Mais au-delà de l’absence de réglementation de la crypto-monnaie, les utilisateurs des plateformes sont susceptibles de s’exposer aux aberrations les plus injustes”.
Aussi, la responsabilité des plateformes financières décentralisées “n’est pas aisée à engager dans la mesure où certaines organisations de ce type, à l’image de leur système décentralisé, ne disposent pas d’un siège social”, souligne Me Iliass Segame.
“Par ailleurs, certaines plateformes prévoient, en cas de contentieux, la compétence de centres d’arbitrage internationaux au sein de leurs conditions d’utilisation, rendant ainsi l’accès à la justice plus difficile, les procédures arbitrales internationales étant particulièrement onéreuses”, ajoute-t-il.
“Aucun pays africain ne considère les crypto-monnaies comme légales”
Si certains pays apprivoisent la monnaie virtuelle, tel le Salvador où “le Bitcoin est devenu, depuis juin 2021, un instrument de paiement permettant à ce pays de devenir le premier à légaliser cette monnaie virtuelle“, comme le souligne Me Zineb Taj, le Maroc, lui, se joint à la tendance régionale.
Selon Me Iliass Segame, “le rapport 2021 du Global Legal Research Directorate (GLRD) indique que 9 pays ont expressément interdit l’usage des crypto-monnaies (Maroc, Algérie, Tunisie, Égypte, Irak, Qatar, Oman, Népal, Chine) tandis que 34 pays (dont 19 pays africains) ont implicitement interdit son usage”.
Le continent semble unanime, puisque, selon Me Elajouti, “aucun pays africain ne considère les crypto-monnaies comme étant légales, bien que certains comme le Nigeria, le Ghana ou encore l’Afrique du Sud aient initié des projets de création de leur monnaie digitale de banque centrale (MDBC), un actif numérique émis par une banque centrale libellée dans l’unité de compte officielle de celle-ci, et qui peut être échangé de pair à pair, de façon décentralisée”.
“En tout état de cause, la maîtrise des enjeux spécifiques aux crypto-monnaies, et à la blockchain en général, requiert, au Maroc, une ouverture aux nouveaux usages qui s’imposent malgré tout. Le Maroc gagnerait à adopter des approches réglementaires et régulatrices qui iraient au-delà d’une focalisation sur la dimension spéculative des crypto-monnaies pour se saisir de nombreuses autres opportunités qu’offrent ces actifs numériques, en particulier dans le contexte socio-économique actuel”, conclut Me Elajouti.
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