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Plusieurs îles ioniennes affirment être la patrie d’Ulysse, le héros d’Homère. Pour en avoir le cœur net, notre GEO a mené l’enquête.
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“Il est un port dit de Phorcys, le Vieillard de la Mer, dans la campagne d’Ithaque; les deux falaises qui s’avancent et embrassent le port en s’abaissant vers lui le protègent des vents violents et de la houle de l’extérieur.” Dans la baie encaissée de Vathy, la mer est d’huile et Homère pourrait encore écrire ces lignes de L’Odyssée. Sur la jetée, quelques pêcheurs taiseux, assis sur un banc, contemplent l’horizon. Un peu plus loin se dresse la statue d’un guerrier antique casqué, les reins ceints d’une guenille. Un grand-père désigne la sculpture à Télémaque, son petit-fils : « Ulysse était très sage et malin », lui dit-il. Est-ce bien ici, sur Ithaque, que les Phéaciens, marins de la mythologie, ont déposé le héros de retour en son royaume à la fin de son épopée? Ici, peu en doutent : nous sommes bien au pays du roi rusé.
Cette île à la forme allongée, montagneuse et sauvage, à l’ouest de la Grèce continentale, peuplée de 3 200 habitants, n’est pas la plus facile d’accès. Aujourd’hui comme au temps d’Ulysse. Trois heures et demie de bateau depuis Patras, le port principal du Péloponnèse, lui-même à trois heures de route d’Athènes, sont nécessaires pour rejoindre ses eaux cristallines, qui, l’été, attirent des skippers du monde entier. Ce n’est pas non plus la plus touristique de l’archipel des îles ioniennes puisqu’on lui préfère volontiers Zante ou Corfou.
Ceux qui débarquent à Vathy sont souvent des universitaires venus participer à une conférence sur Homère. Ou des amoureux du récit épique, désireux d’admirer de leurs propres yeux les paysages décrits dans l’un des plus grands chefs-d’œuvre de la littérature mondiale. « 90% des visiteurs viennent à Ithaque pour l’Odyssée, estime Christina Costeris, propriétaire d’un hôtel de Vathy aménagé dans un ancien pressoir à olives. Mais nous ne voulons pas devenir un Disneyland, nous voulons proposer autre chose : des randonnées, des sorties en mer, un art de vivre et des plaisirs simples ! ».
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Qui pose le pied à Ithaque rencontre pourtant les héros d’Homère partout. Les habitants s’y nomment volontiers Ulysse, Télémaque ou Iphigénie… Les noms Odysseus (Ulysse en grec), Calypso, ou Pénélope sont peints sur la coque des caïques, petits bateaux typiques dans cette partie de la Méditerranée et les enseignes des restaurants. Dans les boutiques de souvenirs, figurines, porte-clés et tasses à l’effigie des héros de l’Antiquité pullulent. Mais au-delà du marketing, l’amour de la poésie d’Homère reste étonnamment vivace. Les cafetiers, les chauffeurs de taxi ou les marins sont capables d’en réciter des tirades entières et en grec ancien devant le visiteur ébahi. “Les gens d’ici vivent avec l’Odyssée, explique Andromaque Paizis, secrétaire du Centre d’études homériques. Ils sont fascinés par Ulysse au point d’en oublier l’histoire plus contemporaine, les combattants de l’indépendance du XIXe siècle ou les résistants de la Seconde Guerre mondiale. L’Odyssée est un poème, mais les descriptions d’Homère sont précises. Et lors des séminaires que nous organisons, les universitaires sont émus de retrouver les endroits dépeints dans le récit. Je me souviens d’une Japonaise qui a fondu en larmes en découvrant la couleur de la mer telle que le poète l’avait décrite.”
A la belle saison, des excursions proposent d’emmener les touristes sur les traces d’Ulysse. Etapes obligées : la grotte de Loizos, où auraient été découverts des objets indices de son passage, le musée archéologique de Vathy, celui du village de Stavros… Et surtout la pièce maîtresse du parcours, censée constituer la preuve absolue que l’actuelle Ithaque correspond bien à l’île sur laquelle régnait Ulysse (et du même coup la réalité historique du héros, qui n’a pourtant jamais été démontrée). Pour la trouver, il faut gagner le sommet de la colline de Pilikata, dans le nord de l’île. Au bout d’un chemin étroit bordé d’oliviers, une pancarte indique “École d’Homère”. L’endroit, ceint d’un grillage, est accessible en poussant une porte fermée par un simple loquet. Les chèvres et les moutons ont pris possession des lieux, au milieu des vestiges : un banc en pierre massif, un escalier et des murets, les ruines d’anciennes salles. L’Ecole d’Homère, donc ?
Ce nom ne repose sur aucune réalité historique. C’est un pope qui avait surnommé ainsi le site au tout début du XIXe siècle. Les premiers archéologues, britanniques, à avoir travaillé ici ont adopté l’appellation sans se poser de questions. Par la suite, plusieurs chantiers de fouilles menés au cours du XXe siècle ont mis à jour une vaste construction de trois étages et un puits datant de la fin de l’âge du bronze. La structure du bâtiment semble similaire à celle d’autres édifices royaux comme ceux de Mycènes, dans le Péloponnèse, qui connut son apogée à la même époque. De là à imaginer qu’il s’agissait du palais qu’Ulysse, “l’homme aux milles ruses” qui quitta pour aller combattre les Troyens ravisseurs d’Hélène, il n’y avait qu’ un pas. Que franchirent Athanasios Papadopoulos et Litsa Kontorli, archéologues et époux, en 2010, alors que la crise économique interrompait leurs recherches. Des conclusions hâtives, trop peu étayées par des éléments scientifiques, et aussitôt relativisées par de nombreux spécialistes et le ministère de la Culture grec.
Pour sa part, Giannos Lolos, professeur d’archéologie préhistorique à l’université de Ioánnina actuellement en charge des fouilles, préfère rester prudent. «Nous réexaminons tous les artefacts retrouvés sur place, notamment les céramiques, dit-il. Il y en a peu de l’époque mycénienne durant laquelle est supposé avoir vécu Ulysse [XVII au XIIe siècle av. JC]. Beaucoup datent des périodes hellénistique [IVe au Ie siècle av. JC] et romaine [Ie siècle av. JC-Ve siècle après JC], plus récentes. Ce qui est sûr, c’est que ces bâtiments étaient d’une grande importance et qu’ils comportaient un lieu de culte. Mais qui était honoré ? Pour le savoir, nous avons besoin de poursuivre les recherches… Il reste beaucoup à découvrir à Ithaque !»
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Professeur de littérature à Vathy, Spiros Kouvaras comme tant d’autres ici, s’est pris de passion pour Ulysse. Au point de reprendre des cours d’archéologie à l’université, au grand regret de son oncle qui préférerait qu’il l’aide pendant son temps libre à la récolte des olives. Intarissable sur le sujet d’Ulysse, le quinquagénaire fait également partie d’un comité municipal chargé de la sauvegarde du patrimoine homérique. «Nous cherchons à valoriser les sites antiques et les musées abandonnés depuis la crise économique de 2010», explique-t-il.
Aux quatre coins d’Ithaque, vestiges et collections périclitent, faute de moyens. Sur le mont Aetos, à l’ouest du port de Vathy, l’acropole d’Alalkomenai, dont la partie la plus ancienne date du IVe siècle avant JC, n’est accessible qu’après une ascension au milieu des arbustes et des chèvres. Là encore il faut tout imaginer, les panneaux d’explications sont décrépits. Même constat dans le musée du village de Stavros, dans le nord de l’île, où une rénovation s’impose. Selon Spiros Kouvaras, il regorge pourtant de pièces démontrant que son île et la patrie d’Ulysse ne font qu’une. Ces fameuses preuves ont été découvertes en contrebas du village, dans une grotte cachée au bout d’une plage de galets blancs.
En 1868, Dimitrios Loizos, sentant le sol se dérober sous ses pieds, découvrit cette cavité qui désormais porte son nom. A l’intérieur, des tessons de poteries et les restes de tripodes, des vases rituels à trois pieds. Ce n’est que dans les années 1930, que Sylvia Benton, une archéologue britannique, y mit à jour douze autres de ces récipients en bronze ouvragé. «A la fin de son périple, Ulysse cache un trésor dans la caverne des Nymphes, dont treize tripodes, cadeau des Phéaciens, rappelle Spiros Kouvaras. Dans la grotte de Loizos, aujourd’hui inaccessible au public en raison d’éboulements à répétition, on a également découvert une céramique représentant des nymphes». Des pièces de monnaie des III et IVe siècles avant JC sur lesquelles figurent le profil d’Ulysse et la mention “Itha”, désignant Ithaque ont également été mises à jour. Et un fragment de poterie du I-IIe siècle avant notre ère portant l’inscription ΕΥΧΗΝ ΟΔΥΣΣΕΙ, « prière à Ulysse ». Que le héros ait été célébré ainsi à grands frais, même tardivement après son règne supposé, dans de grands centres panhelléniques comme Olympie ou Delphes n’aurait rien de surprenant. Mais ici, dans cette caverne-sanctuaire perdue sur une petite île de l’ouest de la Grèce, n’est-ce pas la confirmation que le vainqueur du cyclope Polyphème a vécu ici ?
Les îles voisines le contestent en tous cas. Elles sont plusieurs à se revendiquer, elles aussi, le titre de patrie d’Ulysse. Corfou, par exemple, dans le nord de la mer ionienne, où les touristes se précipitent pour admirer l’impressionnant Rocher d’Ulysse qui serait, d’après la légende, son navire transformé en pierre par Poséidon. Leucade, à une quarantaine de kilomètres au nord d’Ithaque, fait valoir qu’elle est plus proche du continent, ce qui correspond à une indication d’Homère. Dans l’espoir d’y découvrir le palais du «fils de Laërte, dont les ruses sont fameuses partout», l’archéologue allemand Wilhelm Dörpfeld fouilla à partir de 1901 tous les recoins de l’île. Il s’épuisa dans cette quête et mourut sur place en 1940 à l’âge de 86 ans sans avoir trouvé son graal.
Mais la rivale la plus importante – ne serait-ce que par sa superficie, dix fois supérieure à celle d’Ithaque – est Céphalonie, à seulement quelques kilomètres à l’ouest. Une tombe mycénienne d’une grande importance y a été découverte près de Poros, au sud-est de l’île. Pour certains, il pourrait s’agir du lieu où repose Ulysse. En 2005, dans son ouvrage Odysseus Unbound (Ulysse libéré, non traduit en français), l’écrivain britannique Robert Bittlestone développe une thèse qui en a ravi plus d’un ici : l’Ithaque d’Homère n’était pas l’Ithaque d’aujourd’hui, mais la péninsule de Paliki, autrefois une île, séparée du reste de Céphalonie par un canal maritime, plus tard comblé à la suite d’un tremblement de terre. A Sami, l’un des quatre ports de Céphalonie, l’archéologue Melpomeni Andreatou, qui a participé à la scénographie du musée archéologique inauguré en août dernier, laisse transparaître un léger agacement. « Je suis originaire de Céphalonie, et je comprends que certains voudraient entendre qu’ils sont les héritiers d’Ulysse, dit-elle. Mais nous, les archéologues, nous sommes déjà très contents avec toutes les richesses trouvées sur l’île ! Dès que nous fouillons un terrain dans cette région, nous exhumons des trésors ! »
A Ithaque, le maire de Vathy, Dionysis Stanitsas, dénonce des manoeuvres de récupération de la part de ces îles pour appâter les touristes. «Nous, nous ne sommes pas motivés par l’appât du gain, assure-t-il. Grâce à de nouveaux fonds du ministère de la Culture grec et de l’Union européenne, nous avons relancé les fouilles dans le nord et commencé la construction d’un nouveau musée qui permettra aux visiteurs de découvrir l’histoire de l’Odyssée au travers de vidéos et de vestiges exhumés sur l’île ». Les touristes rencontreront-ils l’Ulysse chanté par le poète aveugle ? Rien n’est moins sûr. Voilà trois mille ans que le roi rusé file entre les doigts de tous, hellénistes, archéologues, ou simples passionnés. Et que l’humanité poursuit sa quête, à la recherche de la fabuleuse Ithaque.
➤ Article paru dans le magazine GEO, n°518, d’avril 2022.
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