La livre turque semble en perdition. Depuis son pic majeur de janvier 2015, à 0,38 euro, sa valeur a fondu de 63% face à la monnaie unique, à 0,14 euro. Et la débâcle s’est accélérée ce mois-ci, en raison de la récente passe d’armes entre Donald Trump et Recep Tayyip Erdogan. Le président américain a doublé les droits de douane sur l’acier et l’aluminium turcs, arguant que la dépréciation continue de la livre turque conférait un avantage indu aux exportations du pays. Une annonce choc qui a fait chuter la monnaie. En réaction, Erdogan a exhorté ses concitoyens à changer leurs dollars et leurs euros pour soutenir le cours de la livre.
Un coup d’épée dans l’eau, les investisseurs jugeant que l’homme fort du pays, réélu en juin avec un pouvoir renforcé, s’immisce beaucoup trop dans la politique monétaire de la banque centrale turque. Au vu de sa politique plus que laxiste, elle semble inféodée à Erdogan, partisan de la croissance à tout prix et ennemi déclaré des taux d’intérêt… La dérive autoritaire d’Ankara fait écho à des développements similaires dans d’autres pays, dont la Pologne, où “cette dérive semble s’accentuer”, juge Murray Gunn, responsable de la recherche chez Elliott Wave International, acteur de référence de la recherche marchés basée sur l’analyse technique. Il estime que le zloty, la devise du pays, pourrait bien connaître un sort comparable à celui de la livre turque au cours des prochaines années. Voici pourquoi.
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“La colère gagne du terrain, sur notre planète. C’est particulièrement vrai à la périphérie de l’Europe, où des pays comme la Turquie et la Hongrie sont gouvernés par des dirigeants intolérants et ne supportant pas la contestation. Et après une longue dégradation du climat social, la ‘révolution populiste’ a débouché sur l’élection de gouvernements aux programmes radicaux en Italie et en Pologne”, relève cet économiste de formation et ex-gérant de fonds.
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A Varsovie, Prawo i Sprawiedliwość (Droit et Justice), le parti actuellement au pouvoir, est d’idéologie conservatrice et eurosceptique. “Une de ses politiques est de remanier le système judiciaire en contraignant les juges à partir tôt à la retraite. Le but de Droit et Justice est d’accroître son influence sur l’appareil judiciaire, a dénoncé l’Union européenne. Et le 13 août, l’UE a multiplié les menaces d’action en justice contre Varsovie, qui reste intransigeante en la matière”, rapporte Murray Gunn. Il juge que la Pologne a très probablement pris le chemin d’un “isolement à l’échelle internationale”.
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Sur le front des devises, la paire euro/zloty (EUR/PLN) a fluctué pendant de longues années entre les bornes de 4,60 et 3,82. Et ce, au sein de ce que les analystes techniques appellent une ‘figure de consolidation’. Dans le cas présent, il s’agit d’un ‘triangle’ formé par des obliques – l’une descendante, l’autre ascendante – reliant les pics et les creux majeurs inscrits par l’EUR/PLN. “Le graphique de l’EUR/PLN suggère que le zloty pourrait se voir administrer le même traitement que la livre turque. Une consolidation pluriannuelle a pris fin début 2018. On dirait que l’EUR/PLN est en train d’entamer un fort mouvement haussier (de long terme, voir graphique ci-dessous, NDLR) – soit une forte chute du zloty face à la monnaie unique -, qui devrait aller de pair avec une rupture des relations internationales avec Varsovie”, juge Murray Gunn.
Evolution de la paire euro/zloty (EUR/PLN) et analyse technique
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Pour autant, au-delà de cette vue à long terme, l’analyse des fondamentaux économiques milite plutôt en faveur d’une (légère) appréciation du zloty face à l’euro au cours des six prochains mois, jugent Nordine Naam et Julien Castelain, stratégistes devises chez Natixis. Ils voient la paire EUR/PLN tomber à 4,26 d’ici trois mois, puis 4,24 un trimestre plus tard (un objectif situé un peu en deçà du plancher du mois d’août, sur la monnaie unique), contre 4,28 à l’heure où nous écrivons ces lignes. Et ce, après avoir déjà chuté de près de 3% depuis le pic de juillet.
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Il faut dire que la croissance économique polonaise demeure robuste, quoiqu’en léger ralentissement. “Au deuxième trimestre, la croissance du PIB s’est révélée en léger repli, à 5,1%, contre 5,2% au premier. La consommation du secteur privé a poursuivi son rebond entamé il y a maintenant deux ans, tandis que le taux de chômage s’aventure vers des plus bas historiques, à 5,9% en juin”, souligne à cet égard Natixis. Après un bond de 4,6% du PIB en 2017, “l’économie polonaise devrait croître de 4,5% cette année et 3,5% en 2019”, renchérit Grzegorz Sielewicz, économiste à la Coface.
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“L’inflation est légèrement en hausse au mois de juillet, à 2%, toujours dans la fourchette cible de la banque centrale polonaise (2,5%, plus ou moins 1%). Avec une inflation qui se stabilise dans la borne basse de sa fourchette cible, la banque centrale a laissé ses taux directeurs inchangés lors de sa dernière réunion le 11 juillet. La récente déclaration de la ministre des finances évoquant un déficit budgétaire qui devrait se réduire à 28,5 milliards de zlotys en 2019, contre 41,5 milliards prévus en 2018, va permettre au zloty de se renforcer davantage à court terme”, explique Natixis.
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Reste qu’à plus long terme, le zloty pourrait perdre du terrain face à la monnaie unique, la politique monétaire de la banque centrale polonaise devant progressivement diverger de celle de la BCE, qui sera de moins en moins accommodante, “entre la fin du QE (long programme de rachats d’actifs massifs mis en oeuvre par l’autorité monétaire de la zone euro, NDLR) en décembre prochain et un premier relèvement du taux directeur, attendu aux alentours de septembre 2019”, souligne Natixis. Dans ce contexte, “l’EUR/PLN devrait finir par rebondir sur fond de durcissement de la politique monétaire de la BCE, se hissant vers 4,28 fin 2019 puis 4,32 fin 2020”. Des objectifs toutefois nettement moins ambitieux que ceux d’Elliott Wave International…
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Si Grzegorz Sielewicz n’anticipe pas non plus, de son côté, de dépréciation marquée pour le zloty, il estime néanmoins que la devise polonaise pourrait devoir affronter des vents contraires. La Pologne étant considérée comme un pays émergent, le zloty pourrait être “affecté par un éventuel regain de craintes sur ces marchés, à l’image du récent dossier turc”, souligne-t-il. Par ailleurs, la Pologne est devenu un pays très exportateur, les exportations représentant plus de 50% du PIB, tandis que le pays s’insère dans de nombreuses chaînes logistiques sur la planète, notamment avec l’Europe occidentale. Du coup, “le zloty est sensible aux caprices de la demande mondiale et il pâtirait de nouvelles craintes sur le commerce international, sur fond de montée du protectionnisme”, souligne-t-il…
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