Lundi, les marchés financiers russes sont restés fermés alors que l’impact potentiel des nouvelles sanctions occidentales (restriction de l’accès à la messagerie Swift et gel des avoirs en devises de la banque centrale russe) faisait craindre un effondrement des actions et des obligations. La chute du rouble, qui s’est effondré de plus de 35% en séance à un nouveau plancher historique de 117 roubles face au dollar avant de réduire ses pertes à 102 (-23%), témoigne de l’ampleur du choc. «Le rouble n’intègre pas encore, malgré sa chute, le risque systémique d’un effondrement du système financier et bancaire russe», estime Didier Borowski, responsable Global Views au Amundi Institute. Mais l’intervention de la banque centrale ne s’est pas fait attendre.
«Les annonces du week-end ont semé la panique sur le marché russe et incité la banque centrale à relever fortement son taux directeur», relève Tatiana Orlova, économiste chez Oxford Economics. Premier rempart dans cette crise, la banque centrale de Russie (BCR) a relevé son principal taux directeur de 9,5% à 20% et mis en place des contrôles de capitaux pour contenir la monnaie et tenter d’éviter une vaste crise de liquidité. Elle a par ailleurs demandé aux entreprises de convertir sur le marché interne en rouble 80% de leurs exportations.
«Les mesures prises par la banque centrale russe visent à maintenir le système bancaire en fonctionnement et à contenir la chute du rouble», affirme le spécialiste d’Amundi Institute. «La banque centrale a également cherché à soutenir le système bancaire local : elle a annoncé un train de mesures macroprudentielles pour atténuer l’impact des nouvelles sanctions et la dévaluation du rouble sur les bilans des banques», indique l’économiste d’Oxford Economics. Vladimir Poutine, le président russe, a interdit aux résidents russes de transférer leurs devises à l’étranger et même d’honorer leurs dettes en devises.
«Couper les banques russes de Swift et geler les actifs de la CBR est très pénalisant. Etant donné que la Russie est une grande économie ouverte, profondément intégrée dans les marchés et le système financiers, des conséquences imprévues peuvent suivre», souligne Tatiana Orlova. Le premier sujet est la liquidité. Et le plus gros problème pour la Russie va désormais être l’accès aux devises dont le dollar et l’euro.
«Le risque principal est celui d’une crise de liquidité pour les entreprises et les banques, affirme Alain Durré, économiste chez Goldman Sachs. Cela pourrait être provoqué par une perturbation des transactions via le système de communication Swift.» Cela peut durer quelques jours car si Swift est remplaçable par un autre système ou d’autres procédures mais les transactions seront plus longues et plus coûteuses. C’est dans cet intervalle de temps que les entreprises et les banques peuvent rencontrer des difficultés.
«La sanction la plus forte est le gel des avoirs en devises de la banque centrale russe. Cela ampute directement la souveraineté financière de la Russie», souligne Didier Borowski, pour qui les pays occidentaux ont pris des mesures inattendues et sans précédent. «Cela risque de mettre en grande difficulté des entreprises à court terme d’autant que cela va devenir difficile pour elles de se refinancer», indique un opérateur de marché. Faute de liquidités les entreprises ne peuvent ni payer leurs approvisionnements, ni rembourser leurs dettes, ce qui risque de les pousser au défaut. Cela se répercuterait alors sur le système bancaire.
Cette crise de liquidité affecte aussi les banques russes, d’autant qu’elles doivent faire face à une ruée des clients dans les guichets pour récupérer leur épargne. «Les Russes ont fait la queue aux guichets des banques et devant les distributeurs pour essayer d’échanger leurs roubles contre des devises étrangères. Des informations locales faisaient même état de personnes achetant des produits électroménagers pour transformer leurs roubles dépréciés en quelque chose de tangible», indique un observateur. C’est aussi pour contenir ce bank run que la banque centrale a relevé fortement son taux directeur afin d’inciter les clients à maintenir leurs avoirs dans les banques. La CBR peut émettre autant de roubles qu’elle souhaite, l’ajustement se faisant par la valeur de la devise. «Pour éviter un risque de solvabilité de l’économie russe, la banque centrale a toujours la capacité d’émettre plus de monnaie locale», indique Alain Durré. Elle pourrait également limiter les retraits si la situation venait à empirer.
«La véritable question aujourd’hui est de savoir si la Russie peut être rapidement confrontée à une crise de liquidités en devises», souligne Alain Durré, économiste chez Goldman Sachs. Les économistes de la banque notent que les réserves de change de la Russie, qui s’élevaient à 630 milliards de dollars fin janvier sont détenues en or localement (22%), en Chine à hauteur de 14% et dans l’alliance Europe-Etats-Unis-Royaume-Uni pour 65%. Les dépôts en dollars dans les banques russes seraient de 85-100 milliards de dollars. Le gel des avoirs en devises de la banque centrale va clairement contraindre l’offre de dollars à l’économie russe.
«Les pays occidentaux cherchent à étouffer progressivement l’économie russe, juge Didier Borowski. A court terme cette dernière peut tenir. La Russie dispose de réserves sur place et n’a pas besoin de financements extérieurs. Le système bancaire peut continuer de fonctionner et les banques peuvent se passer de Swift. Mais si la situation dure trop longtemps, les résidents se mettront à douter de la stabilité de leurs propres institutions financières, et ce d’autant que leur pouvoir d’achat va chuter avec l’inflation importée». Un choc de confiance majeur peut faire plonger l’économie russe dans une profonde récession, avec une forte inflation, ce qui se répercuterait sur le système financier avec de possibles faillites d’entreprises et de banques.
Tout va dépendre de la durée du conflit et des sanctions mais aussi des contre-mesures dont dispose la Russie. «Elle peut passer des accords de swaps avec d’autres banques centrales et facturer ses exportations dans d’autres devises que le dollar ou l’euro», indique un spécialiste. «La Russie aura désormais besoin du soutien de la Chine qui détient une partie de la solution à la crise actuelle», poursuit Didier Borowski. Mais une solution partielle, les intérêts de Pékin et Moscou n’étant pas parfaitement alignés. «La Chine n’a vraisemblablement pas intérêt à provoquer un choc stagflationniste majeur dans l’Union européenne, qui est un partenaire commercial de premier plan. C’est une nouvelle équation sur le plan géostratégique, qui pourrait en définitive contraindre Poutine à remettre en selle la diplomatie», espère l’expert d’Amundi Institute.

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