Mis au jour sur le site d’une ancienne fonderie de bronze dans la province chinoise du Henan, ces pièces en forme de bêche sont la plus ancienne forme de monnaie métallique chinoise découverte à ce jour et peut-être la toute première au monde.
À l’occasion de fouilles menées dans les vestiges de Guanzhuang, une cité antique de la province du Henan en Chine, des archéologues ont découvert ce qu’ils pensent être le plus ancien atelier monétaire, où étaient massivement fabriquées des pièces de bronze en forme de bêche il y a environ 2 600 ans.
Leur étude, publiée la semaine dernière dans la revue Antiquity, soutient l’idée selon laquelle les premières pièces de monnaie n’ont pas été frappées en Turquie ou en Grèce, comme nous l’avons longtemps pensé, mais plutôt en Chine.
Comme nous l’explique Hao Zhao, archéologue à l’université de Zhengzhou et auteur principal de l’étude, la ville de Guanzhuang, ses douves et ses fortifications ont vu le jour vers 800 avant notre ère et la fonderie aurait ouvert ses portes une trentaine d’années plus tard. On y moulait et frappait le bronze pour fabriquer des objets de rituel, des armes et des outils, mais ce n’est que 150 ans plus tard que les ouvriers ont commencé à frapper de la monnaie à l’extérieur de ville au niveau de la porte sud.
Les archéologues fouillent le site de Guanzhuang depuis 2011 ; ils y ont découvert des ateliers et plusieurs centaines de fossés où étaient déversés les rebuts de la fonderie. La fabrication des pièces en forme de bêche aurait débuté à cet endroit entre 640 et 550 avant notre ère.
À l’aide de la datation au carbone 14, l’équipe a pu déterminer que les activités de l’atelier monétaire avaient débuté quelque part entre 640 et 550 avant notre ère. Des pièces de l’Empire lydien mises au jour en Turquie ont déjà été datées par d’autres études à 630 avant notre ère, mais Zhao précise que le plus ancien atelier monétaire ayant produit des pièces lydiennes remonterait à 575 – 550 avant notre ère.
L’archéologue affirme que l’atelier de Guanzhuang « est actuellement le plus ancien site de fabrication de monnaie au monde. »
Pendant leurs fouilles, les chercheurs ont trouvé deux pièces en forme de bêche ressemblant à des miniatures de l’outil de jardinage et plusieurs dizaines de moules en argile correspondants. L’une des pièces était dans un état presque parfait : environ 15 cm de long sur 6,3 cm de large, pour un poids de 27 grammes, soit moins de six feuilles de papier standard.
Pour mouler cette pièce en forme de bêche, les artisans fabriquaient avec de l’argile un moule extérieur (outer mold) en deux parties et un insert (core), puis ils creusaient la cavité et un canal (sprue) pour couler le métal (figure A). Les deux parties du moule étaient ensuite pressées l’une contre l’autre avec de la corde et les artisans inséraient des cales (pins) autour de l’insert (core) pour créer un interstice (figure B). Du bronze fondu était ensuite versé dans le canal de coulée (sprue) jusqu’à ce que le niveau atteigne la ligne séparant la tête de l’insert (core head) du corps (body) (figure C). Une fois le bronze refroidi, les artisans brisaient le moule pour en extraire la pièce.
Lorsque des archéologues trouvent des pièces, c’est généralement « en petit tas, détaché du contexte original de leur production ou de leur utilisation, » témoigne Bill Maurer, professeur d’anthropologie au sein de l’université de Californie à Irvine et directeur de l’Institute for Money, Technology and Financial Inclusion. « Ici en revanche, nous avons l’atelier complet et les moules qui ont servi à produire la monnaie. »
Et c’est justement par sa complétude que cette découverte se distingue, indique Maurer, qui n’a pas pris part aux recherches. Le fait de trouver à la fois les pièces et leurs moules a permis aux chercheurs de dater l’atelier au carbone 14, une base solide pour affirmer qu’il est le plus ancien au monde.
D’ordinaire, les pièces sont découvertes isolées ou entassées loin de leur lieu de fabrication, dissimulées dans la charpente d’une maison ou enterrées, indique Maurer, « totalement déconnectées du moindre contexte qui aurait pu leur être associé. »
Si de telles pièces sont mises au jour avec des traces d’incendie, les chercheurs peuvent utiliser la datation au carbone 14, mais ils ne pourront pas avoir la certitude que « cet incendie a un rapport avec la période d’utilisation de la pièce, » explique Maurer, ou si les pièces ont tout simplement brûlé lors d’un incendie quelconque.
Ici en revanche, « vous avez la fonderie pleine de résidus de carbone associés à la production de l’élément à dater, » poursuit Maurer, ce qui renforce l’estimation de l’âge des pièces et de l’atelier.
George Selgin dirige le Center for Monetary and Financial Alternatives du Cato Institute et selon lui, bien que la découverte soit impressionnante, « elle ne modifie pas notre compréhension de l’époque à laquelle les premières pièces ont été produites. Et elle ne signifie pas forcément que la Chine était la première à le faire. »
Cela s’explique par le fait que même si cette étude parvient à prouver l’âge de l’atelier chinois et de ses pièces, elle n’aboutit pas à la conclusion que les vestiges chinois précèdent les pièces lydiennes « souvent citées comme origine alternative de la monnaie, » ajoute Selgin, non impliqué dans l’étude.
Pour Zhao et son équipe, l’emplacement de l’atelier, proche du siège administratif présumé de la ville, suggère que « les activités de fabrication de monnaie étaient au minimum reconnues par le gouvernement local. » Mais ils s’empressent de préciser qu’il est encore tôt pour tirer des conclusions : « La participation du gouvernement à la production de pièces-bêches reste une question ouverte pour de futures recherches, » écrivent les auteurs.
Il existe deux théories majeures concernant les origines de la monnaie : créée pour les échanges entre les marchands et leurs clients ou pour que les gouvernements puissent collecter les impôts et les dettes.
Pour Maurer, bien que la découverte ne prouve rien, ce qu’elle « démontre en matière de standardisation et production en série de ces éléments associée à un centre politique, donne du poids à une hypothèse défendue depuis longtemps par les anthropologues et les archéologues : la monnaie aurait vu le jour comme outil politique et non économique. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.