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Publié le 20/02/22
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Et aujourd’hui t’as toujours rien pour 100 balles ? (article paru dans le « Télérama » n°2712 du 2 janvier 2002).
Photo Télérama
Les voici enfin. Ils sont venus, ils sont tous là. On a beaucoup glosé, avant même d’avoir le bonheur de les palper, sur le fond et la forme des sept billets en euros (5, 10, 20, 50, 100, 200, 500 €). Portes et fenêtres d’un côté, censées représenter liberté et ouverture sur le monde, mais qui donnent l’impression de feuilleter un catalogue Lapeyre. De l’autre, des ponts, qui symbolisent, évidemment, communications et connexions entre les peuples, mais dont on a pris grand soin d’éliminer toute référence géographico-nationale.
C’est triste, c’est sec, c’est abstrait. On vilipende tant de froideur. On en vient même à envier le dollar, contre-modèle d’habitude si décrié, paré brusquement de toutes les vertus. Voyez ces belles coupures résistant au temps, vertes et bien mûres, et qui n’hésitent pas à afficher plein cadre les forts portraits des pères fondateurs. Washington (1 $), Lincoln (5 $), Hamilton (10 $), Jackson (20 $), voilà de bons, vrais et beaux héros de la saga américaine, dont les patronymes, au demeurant, ont la sagesse de rimer – notons en passant que cette singularité donne à Clinton une chance de figurer un jour sur un billet vert, mais enlève tout espoir à George Bush.
On sait qu’il fallait, dans la vieille Europe, éviter de froisser nombre de susceptibilités, ce qui mettait au placard tout le personnel politique, d’Alexandre le Grand à Napoléon, en passant par Louis Il de Bavière et Lecanuet. Mais ne pouvait-on s’entendre sur quelques écrivains, artistes et savants ? Il y avait pléthore de candidats : Homère, Dante, Léonard de Vinci, Shakespeare, Newton, Mozart, Marie Myriam (Grand Prix de l’Eurovision 1975).
Les concepteurs de l’euro ne l’ont pas voulu. En choisissant portes, fenêtres, arches, piles et ponts, ils ont fait œuvre révolutionnaire. Foin des représentations sentimentales. Pour la première fois, dans sa froideur, dans sa nudité fonctionnelle, une monnaie dit la vérité de l’argent et de la finance.
Avec la mort annoncée du franc, les souverainistes, de gauche comme de droite, prophétisaient un cataclysme. Ils se sont trompés d’époque. Il y a belle lurette que la monnaie, prise dans le grand maelstrom de la globalisation et de l’informatisation, virtuelle bien avant toutes choses, n’est plus constitutive de l’identité des peuples. C’était si beau, pourtant, ces Français qui parlaient français et utilisaient des francs.
Le 5 décembre 1360, à Compiègne, le roi Jean le Bon « invente » le franc. « Nous avons ordonné et ordonnons, paraphe-t-il dans une ordonnance qu’il promulgue ce jour-là, que le denier d’or fin que nous faisons faire à présent et entendons à faire continuer sera appelé franc d’or. » Pourquoi ce nom de franc ? Parce qu’il est « Francorum rex » (roi des Francs), comme l’indique la lourde et belle pièce qui le représente à cheval, épée brandie ? Mais il y a longtemps que les rois de France frappent des monnaies portant cette inscription, et on ne les appelle pas « francs » pour une telle évidence.
La vraie nouveauté, c’est que Jean le Bon, prisonnier des Anglais depuis quatre ans, et libéré sous caution depuis quelques jours, doit une formidable rançon à son geôlier, Edouard Ill : 3 millions de livres, soit 12,5 tonnes d’or, sans compter le renoncement à quelques provinces. Et puisque la nouvelle monnaie est destinée à régler cette rançon, donc à rendre le roi franc (libre), que cela se sache : « Nous avons été délivré à plein de prison et sommes franc et délivré à toujours », écrit-il dans l’ordonnance de Compiègne. « Nous sommes retrouvé en notre royaume franc et délivré », insiste-t-il, dûsse le style en souffrir.
Bref, le franc s’appelle franc parce que le roi est libre, non parce qu’il appartient à l’ethnie des Francs. C’est donc par pur hasard de l’Histoire que les Français, qui parlent français, utilisent des francs.
Les disparitions, c’est bien connu, s’accompagnent souvent d’un concert d’éloges. Tel personnage qui, de son vivant, suscitait critiques, sarcasmes, voire manifestations de franche hostilité se retrouve paré, à peine passé, de maintes qualités. Mais foin d’émotions convenues. Que nous aura-t-il apporté, feu le franc, surtout dans sa dernière version ? Le « nouveau franc » à peine né (le 1er janvier 1960), la France l’emploie à faire exploser au Sahara sa première bombe atomique (13 février). Ensuite, il couvre le pays d’autoroutes, de cités-dortoirs et d’écoles en préfabriqué. Il finance la voie Georges Pompidou, la bibliothèque François-Mitterrand et le porte-avions Charles-de-Gaulle, le parc de La Villette, le Concorde et le Minitel. Franchement, il n’y a pas de quoi pavoiser.
Quant à l’histoire du franc, c’est celle d’une chute inexorable. Le premier franc, celui de Jean le Bon, pesait 3 884 mg d’or fin. Sous Napoléon, il n’en valait plus que 290, puis 59 sous Poincaré, 21 pendant la Seconde Guerre mondiale, 2,5 sous la IVe République, pour finir, sous Pompidou, aussi épuisé que le président lui-même, à 1,6.
Cambio, change, Wechsel… Acquérir une monnaie nouvelle, surtout quand c’est la première fois, participe de l’exotisme d’un voyage. Les billets, qu’on les change avant le départ ou juste à l’arrivée, sont souvent le premier contact avec cet ailleurs qui nous attend. On les tâte, on les examine, on se dit généralement qu’ils ressemblent bien peu à des billets de banque, tant ils sont différents des nôtres, mais qu’ils font penser plutôt à des coupures de Monopoly ; on essaie de deviner, souvent sans succès, quelles figures ils représentent et l’on se demande pourquoi les étrangers honorent sur leur monnaie d’aussi obscures personnalités, franchement. Bref, on rêve, on se promène, on voyage déjà. Convertir, c’est partir un peu.
C’est donc un peu de poésie qui quitte la zone euro avec la disparition de la lire italienne et de la livre irlandaise, de l’escudo portugais et de la drachme grecque, des florins hollandais et des marks finlandais. Mais les opérations de change n’étaient pas toujours des moments de grâce. On se souvient d’étrangers ayant fait les frais de transactions à la limite de l’escroquerie, surtout dans ces échoppes de rue qui se sont répandues comme mauvaises graines ces dernières années, en un dernier baroud pas toujours d’honneur : commissions excessives, taxes fantaisistes, confusion entretenue à loisir entre prix de vente et prix d’achat. Au petit bonheur le change, chez les Douze, c’est fini, et on ne s’en plaindra pas.
Fric, flouze, flèche, fraîche, blé, radis, oseille, trèfle, jonc, galette, grisbi, pépètes, pognon, rond, thune, kopeck… L’argot de l’argent est, avec celui du sexe, le plus développé. Il n’y a aucune raison pour que ce vocabulaire très imagé souffre du passage à l’euro, d’autant qu’il n’a aucun rapport avec la dénomination de la monnaie. La zone euro continuera de se partager entre ceux qui sont « bourrés d’oseille » et les autres qui n’ont « pas un radis » qui sont toujours raides ou fauchés.
Le verlan, qui avait dû déposer les armes devant le franc monosyllabique, trouvera sans doute plus de blé à moudre avec l’euro, même si ses deux syllabes sonnent mal. Le moins que l’on puisse dire, c’est que « roeu » n’est pas très « reuheu » (heureux).
Reste la question des mots qui signifient des montants : balles, bâtons, briques, sacs, plaques et autres patates seront-ils dévalués ou convertis ? Une brique continuera-t-elle de valoir 10 000 F, soit 1524 €, à charge pour l’euro de s’inventer son propre vocabulaire, ou celui-ci assimilera-t-il le terme, une brique valant désormais 10 000 € ? Nous pencherons pour la première hypothèse, qui présentera l’indicible avantage de permettre aux moins jeunes d’entre nous de raisonner en francs sans en avoir l’air, sans paraître par trop ringards. Et parce que la richesse du lexique argotique est inversement proportionnelle à l’importance des sommes considérées.
Sur les 300 milliards de francs en circulation (280 milliards en billets et 16 en pièces), et qu’il faudra convertir en euros, une bonne moitié dort dans les bas de laine ou sous les matelas. Les trois quarts des billets de 500 F et le quart des billets de 200 F sont ainsi thésaurisés. Le billet de 500 €, avec sa valeur jamais vue dans l’hexagone (3 280 F !), risque de disparaître à tout jamais sous la literie. Il faut dire qu’il est fort peu pratique, à peine transportable, n’est-ce pas, avec sa taille démesurée de 16 cm par 8,2 cm.
Donc, désormais, un nouvel an sur deux, il faudrait s’attendre à un cataclysme. Il y a une paire d’années, le fléau s’appelait « bogue de l’an 2000 ». On sait que ce virus dévastateur, tapi au fin fond des microprocesseurs, a fait long feu. D’abord, quelques jours avant le désastre annoncé, la nature s’est chargée de nous rappeler qu’il y avait une hiérarchie dans les catastrophes, la tempête du millénaire balayant en deux temps trois mouvements (plier, casser, coucher) nos futiles appréhensions. Ensuite, les ordinateurs, sans doute moins enclins que nous aux anxiétés cabalistiques, ont traité le problème en toute discrétion, avec toute la rationalité et l’efficacité qu’on leur connaît.
Cette année, l’épreuve fatale a pour nom « euro », et c’est un scénario semblable qui s’est mis en place, l’actualité remplaçant la nature dans le rôle du modérateur. En France, à peine remis d’un printemps et d’un été voluptueusement Loft, on s’apprêtait à se vautrer avec délices dans les affres de la nouvelle monnaie quand l’explosion du World Trade Center a vitrifié tout débat. Que pesait la menace de la superdevise face à celle de l’hyperterrorisme ? Les souverainistes de tous bords, eurosceptiques ou europhobes, en sont restés cois. Résultat : pour le moment, la monnaie unique passe comme une lettre à la poste, avec ou sans anthrax. Seule, à la télé, une campagne de pub institutionnelle et calamiteuse aura réussi, parfois, à ranimer l’effroi dans les chaumières qu’elle était censée rassurer. Mais le combat était inégal. Avec Ben La Laden et ses sicaires, impossible de remettre les pendules à l’euro.
« Tu vas pas loin aujourd’hui avec un milliard, surtout quand t’es convoyeur de fonds », disait le regretté Frédéric Dard. Avec un milliard d’euros, l’employé de la Brinks risque d’aller, statistiquement, 6,55957 fois moins loin. L’opération d’échange monétaire portera, pour les douze pays de I’Euroland, sur quatorze milliards de billets et cinquante milliards de pièces, un mouvement d’espèces d’une ampleur sans précédent dans l’Histoire, qui risque évidemment d’exciter quelques convoitises. Le passage à l’euro est une plaisanterie, sauf pour les convoyeurs de fonds.
Ecu, tel était le premier nom du sou de Bruxelles. Jolie trouvaille, signée Giscard d’Estaing, giscardienne en diable effectivement, car anglophile – c’est le sigle de « European Currency Unit » unité monétaire européenne, en anglais dans le texte – et aristo-nostalgique – le premier écu ayant été créé par Saint Louis. Mais c’est pour d’autres griefs que l’écu fut finalement recalé. Pour les oreilles germaniques, l’écu sonnait trop, paraît-il, comme Kuh, vache « en allemand ». La belle affaire : dans la langue de Molière, on était en droit d’en imaginer de nettement plus vertes. Point d’allusion aux paisibles laitières chez nous, mais c’était bien pis.
Franc / Euro by Les Archives Telerama
Le symbole de l’euro est un epsilon stylisé, deuxième voyelle de l’alphabet grec. Bien vu. Chacun sait que l’epsilon, en mathématiques, désigne une quantité algébrique infinitésimale, que l’on fait tendre vers zéro.
Quant à l’abréviation officielle de l’euro, c’est « eur ». Difficile de concevoir une abréviation qui abrège aussi peu.
Le passage à l’euro, c’est du gâteau à côté de la gymnastique monétaire à laquelle devaient se livrer nos aïeux, en 1360, lors de l’invention du franc.
À l’époque, il y avait deux sortes de monnaies, une monnaie réelle et une monnaie fictive. La monnaie fictive, ou monnaie de compte, servait à désigner la valeur des choses et à compter. Elle était divisée en livres, sous et deniers. Une livre valait 20 sous, un sou 12 deniers, mais aucune pièce concrète ne leur correspondait. Pour pimenter un peu l’affaire, il existait deux systèmes de monnaies de compte, l’un dit de Paris, l’autre de Tours. La livre parisis valait un quart de plus que la livre tournois. Pareil pour le sou et le denier.
Quand on avait fini de compter ou de rédiger des contrats, il fallait payer en espèces sonnantes et trébuchantes, à savoir en pièces d’or, d’argent et de cuivre, aux dénominations les plus variées : royaux, bourgeois, agnels, moutons, mailles, florettes, gros, écus, dizaines, liards, etc. Un peu comme notre timbre actuel, qui sert à affranchir la majorité des lettres, ces pièces n’avaient pas de valeur faciale : c’est le roi qui en fixait les valeurs en livres, sous et deniers, et les changeait à volonté, de même que la Poste augmente parfois le prix du timbre.
Dans les douze mois qui ont précédé la création du franc, en décembre de l’an de grâce 1360, le sou tournois, pour s’en tenir à cette seule monnaie, devait changer dix-sept fois de valeur (1) !
On a tout dit sur les fameux « kits euros » sauf que ce ne sont pas des kits. Un kit, c’est un objet vendu en pièces détachées, à monter soi-même. Que s’agissait-il de monter, en l’occurrence ? Le billet de 100 F, que l’on venait de casser ? Impossible d’échanger des euros contre des francs.
À part ça, bravo. L’État nous a vendu 50 millions de sachets d’euros, inutilisables pendant quinze jours. En échange, nous lui avons donné 5 milliards de francs de bonnes devises, quant à elles parfaitement monnayables. Nous avons beau chercher, nous ne trouvons aucun équivalent à un coup de marketing aussi osé. Quel aigrefin aurait le culot de nous vendre quelque chose que nous ne pouvons pas utiliser pendant x temps, en nous l’avouant avec autant d’aplomb ? À part l’État, encore une fois, et les compagnies d’assurances, quand ils nous vendent des retraites. Mais là, c’est différent, car nous risquons de ne jamais les utiliser.
Les buralistes sont râleurs, c’est bien connu. Nombreux sont ceux qui ont refusé de vendre les fameux sachets de nouvelle monnaie. « C’est pas marqué « bureau de change ici » dit ce patron de bar-tabac-PMU en se frappant le front, qu’il a plutôt bas. « Et ce n’est pas fini, poursuit-il. Maintenant, il va falloir qu’on récupère les francs et qu’on distribue des euros. On nous demande de faire le boulot des banques. Moi je veux bien, à condition que le jour où je n’ai plus de cigarettes, je puisse aller frapper chez mon banquier… »
Le prix du tiercé passe de 6 F à 1 €, soit une augmentation de 56 centimes, mais celui du Quinté +, le jeu préféré des turfistes, passant de 10 F à 1,5 €, baisse de 16 centimes. Pas de révolution sur les champs de course, sauf que désormais on criera euro sur le baudet.
L’argent n’a pas d’odeur. Le manque d’argent, si. Relents d’enfermement, de mauvais vins, de sueurs déjà anciennes, comme un cocon protecteur qu’ils emportent avec eux dans chaque voiture du métro, dont ils occupent systématiquement la partie « salon », aux extrémités. On s’habitue. Les trois clochards de la ligne 13 ont leurs mécènes, leur public et même leur pauvre, un jeune Sénégalais qu’ils ont adopté il y a quelques jours, comme ils ont adopté l’euro depuis un bon moment. « Donnez vos francs, dans quinze jours ça ne vaudra plus un clou », dit Dédé (pourquoi tant de clochards s’appellent-ils Dédé ?). « Moi, je demande 10 F, dit son acolyte. Ça ne marche pas terrible, pour le moment, mais dès le 1er janvier je passe à 1 €. Les gens seront soulagés, ils auront l’impression d’y gagner, alors ils vont casquer. Faut savoir travailler le psychologique. »
Alors que nos anciennes pièces jaunes, centimes du franc, étaient constituées majoritairement de nickel – ce métal étant produit à profusion en Nouvelle-Calédonie
– les subdivisions de la monnaie européenne font la part belle au cuivre : celui-ci entre à 89 % dans la fabrication du « nordic gold » l’alliage dans lequel sont frappées les pièces de 50, 20 et 10 centimes d’euro. Quant aux pièces de 5 et 2 cents et à celles de 1 cent, elles sont faites de métal cuivré. Le cuivre a l’immense avantage, nous assure-t-on, d’être antibactérien : s’il est bon conducteur d’électricité, il ne transmet pas ces saletés de micro-organismes. Outre ses qualités dynamiques – grand pourvoyeur en vitamine €, il est chargé de dynamiser l’Europe -, il a même, paraît-il, d’étonnantes propriétés thérapeutiques : qu’on se souvienne des fameux bracelets en cuivre réputés lutter contre les rhumatismes. Cela dit, pour se sentir à l’aise, un gros tas de billets vaudra toujours mieux qu’un petit sac de pièces, même en cuivre.
Sur les claviers d’ordinateur de plus d’un an, on trouve le symbole de la livre ou celui du dollar, mais point celui de l’euro, preuve s’il en est du grand enthousiasme que suscitait la monnaie unique européenne avant son introduction effective dans la vie réelle, du moins chez les concepteurs de Mac et autres PC, tous étrangers comme l’on sait, et bien peu européens. Mais le symbole € existe pourtant, au fin fond de la mémoire : on pourra donc se venger, grâce à l’opération « remplacer », en attribuant la valeur € à la touche $, par exemple.
Le dollar : même s’il n’est jamais désigné comme tel, voilà l’ennemi. 80 % des opérations de change dans le monde se font en dollars. L’euro ne cesse de baisser par rapport au dollar, alors que celui-ci, sûr de lui et dominateur, reste résolument stable.
Quand l’euro baisse, ce n’est pas terrible. Quand il monte non plus. En revanche, qu’il monte ou qu’il baisse, le dollar en sort gagnant à tous les coups. Comment fait-il ?
« Combien vaut un dollar ? » demandait-on à un expert américain. « Un dollar », répondit l’autre. Là est le secret.
Le Conseil économique et social, dans sa grande sagesse, exhorte les consommateurs à ne pas convertir en francs les prix exprimés en euros, mais à penser directement dans la nouvelle monnaie. Pour ce faire, son rapport de janvier 2001 conseille de « construire des référentiels de prix », en apprenant par cœur les valeurs en euros de quelques dizaines de produits et services courants, tels la baguette, le journal, le timbre, le litre d’essence ou le ticket de métro. Ensuite, muni de cette échelle de prix, c’est un jeu d’enfants de parler euro. Sachant par exemple qu’un « petit noir » au comptoir vaut 1 €, on en déduira facilement le prix d’un demi, qui vaut le double, et d’un sandwich, qui vaut le triple.
Notons aussi que les choix n’en sont pas pour autant simplifiés, loin de là. Si vous disposez par exemple de 100 €, vous hésiterez toujours entre l’achat d’un aller-retour Paris-Morlaix, 35 paquets de Gitane, 150 baguettes ou 200 ficelles.
Qu’est-ce qui fait l’identité d’un peuple ? C’est une langue, un mode de vie, une histoire, des réflexes communs. Ce sont des livres, des films, des journaux appréciés en commun, pas des billets de banque. La monnaie, aujourd’hui, crée moins de lien social que la cuisine. Le pot-au-feu, le goût partagé du pot-au-feu est un ciment plus sûr que le billet de 100 F qui a servi à acheter la macreuse et le gîte, les pommes de terre et les navets. L’euro ne changera pas le goût du pot-au-feu.
Un article de Christian Sorg paru dans le Télérama n°2712 du 2 janvier 2002.
(1) Source : Histoire du franc, 1360-2002, par Georges Valance. Flammarion, coll. « Champs », 448 p., 8,69 € (57 F.).
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