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En octobre dernier, Christine Lagarde a annoncé le lancement de l’euro numérique (CBDC) dans les cinq ans à venir. Cette monnaie électronique émise par la BCE viendra en complément au cash et à la monnaie scripturale des comptes bancaires. La CBDC répond à de nombreux besoins mais elle soulève aussi des questions. Qu’en sera-t-il de la confidentialité des transactions ? Elle risque aussi de fragiliser les banques tout en conférant un immense pouvoir à la BCE. Déjà toutes-puissantes, les banques centrales sont-elles appelées à devenir les Big Brother de demain?
Christine Lagarde l’a annoncé. Même si l’échéance est encore lointaine et les scénarios  pas encore définitivement fixés, le projet du futur euro numérique est dans les cartons. Un rapport technique a été publié en octobre dernier. Il a été suivi en janvier d’une consultation dans les 19 pays de la zone euro, destinée à recueillir l’avis de la population. Celle-ci vient de s’achever. A la mi-2021, le conseil des gouverneurs de la BCE décidera s’il convient ou non de poursuivre le projet. Il y a fort à parier que le feu vert sera donné à cette initiative car la création d’une monnaie électronique estampillée BCE répond à une tendance de fond.
De quoi s’agit-il ? En gros, la monnaie numérique de la banque centrale (CBDC) est un billet de banque électronique qui pourra être conservé dans un portefeuille digital, une application smartphone par exemple. Il pourra être utilisé lors des paiements quotidiens sur les points de vente ainsi que pour effectuer des transactions bancaires entre particuliers ou entre entreprises. Exactement comme avec la monnaie fiduciaire (cash) ou scripturale (comptes en banque, virements, cartes de débit ou de crédit). De ce point de vue, rien ne change.
La différence principale est que cette monnaie sera directement émise par la BCE. Au lieu d’avoir leur argent sur un compte bancaire, particuliers et entreprises disposeront d’un compte ou plus exactement d’un titre de créance auprès de la BCE. L’euro numérique sera, bien sûr, de même valeur que les autres formes d’euro. Il sera échangeable contre des espèces ou transférable sur un compte bancaire.
La création de l’euro numérique est la résultante de plusieurs facteurs. Bien que les paiements en espèces soient encore dominants (73% des transactions sur l’ensemble de la zone euro en 2019), on constate cependant un déclin progressif du cash. En France, celui-ci n’intervient plus que dans 56% des transactions. Comme dans le cas d’autres activités humaines, les comportements s’orientent de plus en plus vers les formes de paiement immatérielles. Cette situation s’est encore accentuée avec la pandémie, la population évitant autant que possible tout contact avec de l’argent liquide. En Allemagne, pays où le cash est roi, on a dépensé pour la première fois plus d’argent par carte en 2020.
Dans son rapport publié en octobre, la BCE précise bien qu’elle n’entend pas remplacer l’argent liquide mais offrir une alternative complémentaire qui pourrait s’imposer à terme si le cash poursuivait son déclin. Autre explication mise en avant : en cas de désastre majeur rendant impossible la disponibilité de l’argent (catastrophe naturelle, cyberattaque), l’accès à l’euro numérique constituerait une solution de recours. Un plan B en quelque sorte.
Mais la raison principale de la création de l’euro numérique se trouve ailleurs. Les monnaies souveraines étant, elles aussi, soumises à la dure loi de la concurrence, la BCE se dépêche de lancer sa monnaie digitale publique car elle ne veut pas abandonner le terrain aux monnaies digitales privées. Qu’il s’agisse des crypto-monnaies comme le Bitcoin ou des « stablecoins », ces crypto-monnaies à valeur fixe, tel le futur Diem de Facebook, qui sera indexé sur le dollar.
Ces monnaies privées, échappant au secteur bancaire, menacent à terme le monopole de la banque centrale. Il ne s’agit pas que d’une simple question de territorialité. En atomisant le marché de l’argent, les monnaies privées diminuent la capacité de visibilité de la BCE, nuisant du même coup à sa vocation principale, qui est de réguler la masse monétaire en pesant sur les taux d’intérêt. Confrontée à la montée en puissance des monnaies privées, qui ne sont motivées que par le profit, la BCE se voit donc forcée de réagir en mettant en avant sa responsabilité collective en tant que prêteur en dernier ressort.
Cela va de soi, la BCE poursuit également un objectif politique. Face aux autres monnaies souveraines digitales également en projet (dollar) ou déjà plus avancées (renminbi), l’euro numérique permettra de renforcer la souveraineté financière de la zone euro.

Pour le particulier ou l’entreprise, les avantages de l’euro numérique ne manquent pas. Emis directement par la BCE, il permettra d’éviter les frais de dépôt bancaires. Par conséquent, il coûtera moins cher.  Les transactions seront plus rapides car elles permettront d’éviter les règlements interbancaires. Les transactions étant encryptées et rendues infalsifiables via la technologie de la blockchain, l’argent sera sécurisé et à l’abri des cyberattaques, pertes et vols. La banque centrale ne pouvant jamais tomber en faillite, l’argent sera protégé contre le risque de défaut ou tout autre accident majeur susceptible d’affecter les organismes bancaires.
La principale source d’inquiétude concerne la confidentialité des transactions et le respect des données personnelles. C’est d’ailleurs ce qui ressort de la consultation publique qui vient de se clôturer. 41% des questions posées portaient sur le caractère privé des transactions. Que deviennent-elles dans le cadre d’une monnaie numérique sous contrôle direct de la BCE ?
De l’aveu même de la banque centrale, le caractère centralisé et transparent de la monnaie numérique permettra de mieux lutter contre le blanchiment d’argent et la criminalité financière. Oui mais d’un autre côté, l’argent liquide a toujours été au cœur de l’économie informelle, comme le sait tout plombier payé au noir. Et les dépôts bancaires ne font pas l’objet d’une surveillance permanente.
Le rapport de la BCE tente de répondre à certaines inquiétudes. Même si la technologie blockchain permet de retracer la totalité des transactions, seule la BCE disposera de la clé de chiffrement permettant d’accéder à ces données. Aucun tiers (banques privées, géants de l’Internet) n’y aura accès. D’autre part, contrairement aux promoteurs des monnaies numériques privées tel Facebook et son futur Diem, la BCE s’engage à ne jamais commercialiser les données recueillies, même anonymisées. Elles resteront la propriété de l’utilisateur.
L’architecture du système suscite également des interrogations. En alimentant en euros les portefeuilles numériques des particuliers et des entreprises, la BCE se transformerait par la même occasion en méga-banque de détail et ferait directement concurrence aux autres organismes bancaires, déjà passablement fragilisés.
Attirés par des coûts de transaction proche de zéro et persuadés que leur argent serait plus en sécurité à la BCE, les déposants pourraient être incités à réduire leurs avoirs dans leurs banques. Du coup, ces dernières seraient obligées de trouver d’autres moyens pour rester rentables, quitte à prendre des risques. Elles pourraient, par exemple, être tentées de se rémunérer davantage sur les prêts qu’elles accordent ou exiger moins de conditions à la signature d’un crédit. Bref, la transformation de la BCE en banque de détail fausserait le jeu de la concurrence entre banques et pourrait menacer la stabilité du secteur bancaire et partant, de la zone euro.
Aux questions soulevées par la complexité du cadre juridique et les menaces qui pourraient peser sur la santé des banques, s’ajoute un autre problème, de nature politique. Grâce à l’euro numérique, la BCE disposerait d’un accès direct aux citoyens des pays de la zone euro. En jouant sur le levier de la rémunération de l’argent, elle pourrait stimuler directement la consommation des ménages ou les investissements des entreprises. Sauf qu’en pilotant directement les politiques monétaires, la BCE, entité supranationale, risque de marcher sur les plates-bandes des Etats, qui veulent rester maîtres de leur souveraineté budgétaire.
Même si l’on comprend les raisons qui poussent les banques centrales à créer une monnaie digitale, on est en droit de se demander si, à force d’être le prêteur en dernier ressort, elles ne sont pas en train d’accumuler trop de pouvoir. A l’occasion de la pandémie, elles ont injecté des trillions dans les économies en rachetant massivement des instruments de la dette, y compris des obligations privées. Aux Etats-Unis, dans le cadre des plans de soutien et de relance, La FED a accordé directement des prêts aux entreprises. Et voilà maintenant qu’elles projettent de se transformer en banques de détail.
Est-ce un hasard si c’est en Chine – un Etat totalitaire qui exerce un contrôle strict sur sa population – que le projet d’une monnaie souveraine numérique est de loin le plus avancé ? Bien sûr, l’adhésion enthousiaste des Chinois pour les e-paiements (en ligne ou via smartphone) et la quasi absence de cash en circulation dans le pays est un avantage qui facilitera l’adoption du yuan numérique.
Mais ce que cherche l’Etat chinois avant tout avec le lancement de sa monnaie, c’est de reprendre le contrôle du marché des paiements mobiles, dominé par deux entreprises privées, Ant Group et Tencent et leur plateformes de paiement Alipay et WeChat Pay, et de le réinstaller dans le giron des banques d’Etat chapeautées par la banque centrale.
Plus qu’un moyen de paiement complémentaire, le yuan numérique a vocation à être un outil de surveillance de masse. Sous le prétexte de combattre la corruption, la fraude et les trafics en tous genres qui sont monnaie courante en Chine, il permettra à l’Etat de scruter en détail les transactions financières, les habitudes de consommation et de manière générale les comportements des citoyens chinois. Même si l’Europe n’est pas la Chine et que de nombreux garde-fous protégeront le futur utilisateur de l’euro numérique contre les dérives à la chinoise, la concentration du pouvoir au sein des banques centrales pose problème.

 
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