par Sylvie Bollard | 3 Mar 2022
Deux ans de prospection qui partent en fumée avec les bombes lâchées sur l’Ukraine. Olivier Debas, président d’Hydro minéral international, basée à Chambéry, regarde avec dépit son passeport tout juste tamponné du visa pour la Russie du 13 au 18 mars. Un voyage d’affaires évidemment annulé et un marché à fort potentiel qui s’éloigne, au moins temporairement. « En Russie, nos clients sont demandeurs de nos produits. Sur place, mon agent, Sergueï, devait m’emmener en tournée pour les rencontrer. J’échange avec eux par Skype depuis plus d’un an et demi à cause du Covid. C’était le moment de nous voir. Â»
Pour Olivier Debas comme pour les autres entreprises des Pays de Savoie – et de France – qui commercent avec la Russie et l’Ukraine, de nombreuses questions se posent désormais. La première d’entre elles est financière : pourront-elles être payées des commandes en cours ? Et si oui, comment répercuter la dégringolade du cours du rouble qui, en cinq jours, a perdu près de 30 % par rapport à l’euro ? La seconde est logistique. Comment faire parvenir ses marchandises là-bas ? Quel transporteur prendra le risque de s’y rendre ? Et, plus dramatiquement encore pour celles qui ont des filiales sur place (comme NTN-SNR par exemple, qui gère une filiale à Moscou depuis 2014), comment mettre le personnel français à l’abri quand il y en a ? Quelle position adopter vis-à-vis des salariés russes ?
« Le responsable de notre filiale basée à Saint-Pétersbourg est français, détaille Antoine Lacroix, directeur général de Maped, à Argonay. L’ambassade de France en Russie lui a conseillé de partir. Il dirige actuellement notre site depuis l’Estonie. » Pour la vingtaine de collaborateurs russes, le travail peut continuer presque comme avant. Presque car une fois les stocks écoulés se posera la question du réapprovisionnement. « Les transporteurs maritimes auxquels nous faisons habituellement appel vont arrêter de livrer la Russie. C’est un énorme sujet pour nous. »
Une question qui s’ajoute à la principale, la dévaluation du rouble. « Cela pose un problème de compétitivité pour notre filiale car on facture en rouble et on consolide les comptes en euros », poursuit-il. Côté paiements, que faire si une facture, émise quand le rouble est à 100, se voit réglée 30 jours plus tard quand la monnaie russe est à 130 ? « La situation va peut-être entraîner des défaillances de certains de nos clients russes et en cascade, nous imposer des impayés. »
Le marché russe représente 3 % du chiffre d’affaires du groupe Maped (180 ME prévus en 2022), qui vend principalement à des distributeurs via sa filiale vieille de 15 ans. « Elle est importante pour nous et est rentable, nos carnets de commandes sont bons », complète-t-il. Mais personne ne peut prédire les effets de l’inflation sur la consommation du peuple russe. « Passé un certain taux d’inflation, les ménages n’auront plus les moyens de s’offrir nos fournitures scolaires. Avec les sanctions européennes et américaines en plus, tout cela va créer de la pauvreté en Russie… »
Pour d’autres entreprises, qui exportent en Russie mais n’y ont pas de structure permanente, les effets de la guerre sont moins lourds, bien que déjà très palpables. Le distillateur chambérien Dolin, qui envoie son Vermouth en Russie et en Ukraine depuis quatre ans environ, craint avant tout les impayés. « Une de nos commandes est partie en Russie le jour de la déclaration de la guerre, confirme Pierre-Olivier Rousseaux, président. Je ne sais pas si elle est arrivée et surtout, si on va être payés. Je n’ose pas appeler notre importateur russe… » La PME honore deux ou trois commandes de ces deux pays chaque année, générant 100 000 euros de chiffre d’affaires concernant la Russie et 50 000 euros pour l’Ukraine.
« Notre importateur ukrainien nous doit aussi de l’argent », précise Pierre-Olivier Rousseaux avant de souligner les très bonnes relations qu’il entretient avec cet importateur en vins et spiritueux. « Ils sont sous les bombes à Kiev et nous donnent de leurs nouvelles tous les soirs. Si je n’en reçois pas, je suis inquiet… Nous les avons reçus à Chambéry il y a trois ans, ce sont des gens très sympathiques. » Conscient qu’en ce moment, Russes et Ukrainiens « n’ont certainement pas la tête à faire la fête et à boire des cocktails », Pierre-Olivier Rousseaux ne peut, comme tout le monde, qu’attendre que la situation s’améliore.
Chez Technogenia (Saint-Jorioz), la prudence est de mise face à une grosse commande passée par les Russes auprès de sa filiale Carbure du Chéran (Rumilly). « Cette commande était en préparation au moment de l’entrée en guerre, explique Guy Maybon, président. Du coup, nous préférons attendre pour l’expédier. Les Russes nous ont dit qu’ils se débrouilleraient pour venir la chercher… »
La part du chiffre d’affaires du groupe vers la Russie est de l’ordre de 5 % (sur un total consolidé de 22 millions d’euros en 2021, plus de 40 millions prévus en 2022). Pas de quoi inquiéter le fondateur de l’entreprise qui voit, par ailleurs, les commandes vers les Etats-Unis et les Emirats arabes unis doubler : « Avec le baril de pétrole qui est passé à plus de 100 dollars, ça devient vraiment rentable de réactiver les trous délaissés et de reprendre la fracturation hydraulique pour les Américains », dit-il. Et les produits de Technogenia sont justement destinés à ces forages. Pour la Russie, la PME répare ou renforce ces outils de forage pétrolier.
Beaucoup plus touché, MND, à Sainte-Hélène-du-Lac (qui ne souhaite pas communiquer sur ce sujet, tout comme Tefal), a au moins deux gros contrats en cours avec la Russie. Dans la station de Mamison, il s’agit de construire un télésiège et une télécabine pour un montant de 17,5 millions d’euros. Et à Veduchi, d’installer un système d’enneigement artificiel pour 8 millions d’euros.
Les entreprises du décolletage sont quant à elles dans l’expectative. Selon Camille Pasquelin, directrice du Syndicat national du décolletage (SNDec), moins de 10 % d’entre elles disent avoir, à date, constaté un impact notable de la guerre sur leur activité. Lorsque c’est le cas, la moitié affirme que ça concerne les approvisionnements (moins de 10 % des répondants s’approvisionnent en Russie, moins de 15 % en Ukraine), et la baisse des commandes de la part des deux pays concernés.
« Cependant, l’approvisionnement matière, en acier notamment, ne se fait pas majoritairement en Russie, mais en Europe, modère-t-elle. En revanche, la hausse des prix du pétrole, du gaz, de l’électricité et de l’aluminium aura forcément un impact qui est difficilement mesurable pour l’instant. La guerre renforce cette problématique qui était déjà présente avant elle. » La question de l’aluminium, deuxième matière décolletée, inquiète fortement : « Le risque sur sa production aux niveaux européen et français est très fort car la France est très dépendante des importations d’alumine venant de Russie et notamment de seul fournisseur Rusal ».
A plus long terme, les décolleteurs redoutent un effet domino si les constructeurs automobiles présents en Russie et en Ukraine sont touchés durablement. La crainte porte également sur les importations de nickel, sans lequel les pièces ne peuvent pas être terminées. Le nickel entre en effet dans la composition des traitements de surface pour les revêtements anti-corrosion. Et bien sûr, sur la hausse des prix. « Les prévisions sont difficiles à faire car la situation évolue quotidiennement, constate la directrice. Le SNDec est un alerte pour faire remonter les informations que nous avons aux ministères concernés et faire en sorte qu’aucune sanction critique pour nos industries ne soit imposée. Â»
Bercy est justement en train de lister les PME tricolores qui pourraient être touchées par ces sanctions et assure qu’il les soutiendra. Plus de 500 entreprises françaises travaillent avec la Russie et y emploient 160 000 salariés.
« Les touristes russes sont peu nombreux en France mais on les apprécie car ce sont de gros dépensiers. Â» Chez Atout France, on est assez clairvoyant… Seulement 1 % de la clientèle des stations des Alpes françaises est donc russe. A Courchevel, où elle représente 7 % des touristes étrangers, mairie et office de tourisme ne souhaitent pas s’exprimer. Comme ailleurs, ces clients viennent surtout pour le Noël orthodoxe, en janvier et à la fin mars. Mais depuis la pandémie, leur nombre a baissé puisque leur vaccin n’est pas reconnu en France. Méribel enregistre habituellement 29 000 nuitées russes, soit 3,1 % de sa clientèle internationale, contre seulement 6 300 nuitées (0,6 % des clients étrangers) cet hiver. Megève a pour sa part accueilli plus d’Ukrainiens que d’habitude. Enfin, à Chamonix, où 5 000 à 6 000 russophones se rendent chaque hiver, on a noté une moindre fréquentation de ces publics, mais on s’inquiète davantage pour cet été : les sportifs russes sont en effet friands d’alpinisme et de trails autour du mont Blanc.
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Le Ministère de l’Economie des Finances et de la Relance a mis en place un guichet unique pour accompagner les entreprises. Elles peuvent écrire à l’adresse suivante : Sanctions-russie@dgtresor.gouv.fr
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Image à la une : © Getty / Kutay Tanir
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