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L’Europe a forgé une monnaie qui ne s’incarne dans aucun personnage emblématique. « Le Point » lance une consultation avec RTL sur quinze propositions.
Temps de lecture : 8 min
Imaginons quelque espèce future débarquant dans plusieurs millénaires sur le territoire européen. Ne trouvant pour vestiges que nos billets en euros et leurs motifs, qu’en déduirait-elle ? Que ces Européens devaient être une peuplade toquée… d’architecture. Portiques, voûtes, ogives, colonnades, aqueducs, etc. Oui, ces Européens étaient à n’en pas douter des architectes monomaniaques. Mais à quoi ressemblaient-ils ? Quels étaient les visages de leurs héros ? On espère pour eux qu’ils disposeront d’autres sources que nos liquidités pour avoir un début de réponse. La faute à qui ? Sans désigner commodément Bruxelles, nous pointerons du doigt la neutralité technocrate et politique qui commandait en 2002, à l’heure de la mise en circulation de ces billets, de ne faire prévaloir aucune figure qui aurait pu avantager tel pays au détriment de tel autre.
Livrons-nous à un bref exercice de nostalgie monétaire. Un Pascal. Un Montesquieu. Un Delacroix… Les moins jeunes se souviennent des figures de notre panthéon qui veillaient, telles des divinités tutélaires, sur nos coupures de 500, 200 ou de 100 francs. C’était il y a plus de dix-huit ans, une éternité. L’argent, jamais tout à fait sale, avait une légère odeur de culture ou de génie français, était anobli par ces grands hommes. Un jour, Berlioz remplaçait Voltaire sur le 10 francs, un autre, Quentin de La Tour chassait Racine avant d’être supplanté par Saint-Exupéry sur le 50. Même à l’épicerie, les lettres, les arts, la science – il y eut aussi Eiffel (200) ou Pasteur (5) – accompagnaient les chiffres. L’identité monétaire allait de pair avec une identité culturelle. Nos voisins n’étaient pas en reste. Gauss, Goethe, Bach, Beethoven trônaient sur les deutsche Mark, Marconi, Galilée, Marco Polo, Volta, Bellini sur les lires, Juan Carlos ou Don Quichotte sur les pesetas…
Identification. Il est symptomatique que cette Europe dont l’identité la plus emblématique est la monnaie, soit demeurée sur ce point sans visage, anonyme, apatride. L’euro, c’est le dieu caché ou Daft Punk. Nous avons une monnaie sinon en bois, du moins de pierre, géométrique, abstraite, désincarnée, hormis sur les pièces, autrement dit la petite monnaie, où là quelques symboles nationaux – la semeuse, l’aigle – ont eu le droit d’être gravés. Comme s’il avait fallu mettre en scène cet effacement des pays dépossédés de leur principal privilège au profit d’une entité supranationale.
N’y avait-il vraiment aucune figure en mesure d’incarner l’Europe, de la faire aimer, de donner à ses habitants des visages et des destins auxquels s’identifier ? « Nous avons fait l’Europe, mais nous n’avons pas fait les Européens », rappelait Pierre Hassner dans « La revanche des passions ». Pour qu’il y ait une identité européenne, encore faut-il qu’il existe des hommes et des femmes susceptibles de la représenter. Cette question de l’identité s’est posée assez tard, pas avant la fin de la Première Guerre mondiale : jusque-là, l’Europe pouvait croire qu’elle incarnait le monde, son passé et son avenir. Ce n’est qu’au XXe siècle que les Européens, au fil des catastrophes qu’ils avaient eux-mêmes provoquées – guerres, colonisation -, ont dû procéder à un examen de conscience parfois douloureux envers les autres peuples. On ne se définit qu’en référence à l’autre. C’était quoi, l’Europe ? Jadis, c’était la chrétienté, mais cette définition n’était plus valable. Etait-ce l’Europe de la Renaissance et de l’humanisme ? Des Lumières, du libre examen ? Des valeurs de liberté et de démocratie portées par la Révolution française et les révolutions de 1848 ? L’Europe, était-ce le progrès, la science, comme le XIXe siècle en avait apporté la preuve ? Le sommet de Copenhague, marqué par l’entrée des Britanniques, avait défini une « identité européenne » : démocratie parlementaire, Etat de droit, justice sociale, respect des droits de l’homme et amitié privilégiée avec les Etats-Unis. Des valeurs. Des droits et des devoirs. Des sentiments, des figures, des lieux, une histoire communs ? Non.
Les propositions du « Point » pour incarner l’euro
Déni d’Histoire. Depuis près d’un siècle, les intellectuels s’interrogent sur les contours d’un héritage à partager. Récemment encore, deux entreprises volumineuses et polyphoniques qui englobaient des chercheurs de divers pays – « Europa, notre histoire » (Les Arènes) et « L’Europe, encyclopédie historique » (Actes Sud) – ont rouvert le dossier. La première insistait sur les brûlures de l’Histoire fondatrices de l’Europe, la Shoah et les deux conflits mondiaux, la seconde sur des réalisations et des symboles prétendument communs. Les deux se rejoignaient dans leur difficulté à faire le portrait d’Européens. Rien ou presque sur les fondateurs, les pionniers. Un déni d’Histoire qui privilégiait une culture européenne incarnée par des Dante, Vinci, Shakespeare, Molière, Voltaire, Goethe… Ces historiens prenaient leurs distances avec le de Gaulle de la conférence de presse de 1962 : « Dante, Goethe, Chateaubriand appartiennent à toute l’Europe, dans la mesure même où ils étaient respectivement et éminemment italien, allemand et français. Ils n’auraient pas beaucoup servi l’Europe s’ils avaient été des apatrides et qu’ils avaient pensé, écrit en quelque espéranto ou volapük intégré. » Ceux qui appartiennent plus encore à l’Europe sont ceux qui l’ont rêvée, osée, pensée, façonnée : Richard Coudenhove-Kalergi, Louise Weiss, Denis de Rougemont, Jean Monnet et lesdits « pères de l’Europe ».
Depuis 1949, le Conseil de l’Europe et d’autres institutions ont tenté de créer un fonds de conscience européenne. On a lancé des itinéraires culturels européens – Saint-Jacques-de-Compostelle, routes de la soie, du fer, du baroque… -, organisé des expositions européennes, labellisé un patrimoine, mais, comme le souligne l’ouvrage « Pour l’histoire des relations internationales » (PUF), tout cela « apporte des connaissances, suscite l’admiration ou l’émotion », mais ne crée pas d’identité. Le discours sur cette identité est incantatoire, et le retard identitaire est énorme si l’on se réfère à un sondage récent : 7 % des Français citent l’Europe comme la communauté à laquelle ils se sentent le plus attachés, contre 38 % à la France, 32 % à leur ville, 23 % à leur région. Des chiffres auxquels font écho les propos de Pierre Nora, l’homme des lieux de mémoire, sur le poids de l’identité culturelle européenne, « ce qu’il y a de moins charnel et de moins incarné dans une identité culturelle ».
Pour le philosophe allemand Peter Sloterdijk, il n’y a pas de raison particulière à donner aux Européens des figures qui incarnent cette Europe : toute incarnation pourrait basculer vers un enthousiasme collectif dangereux. Du moins, l’Europe, dans la tiédeur qu’elle inspire, est-elle préservée de cette passion. Positive peut-être. Mais négative ? A voir l’hostilité qu’elle déclenche, il semblerait qu’elle soit en danger. Pour suivre les traces de la pensée de Sloterdijk dans « Règles pour le parc humain », pourquoi l’Europe, dans un contexte de médiatisation de masse abêtissant, ne pourrait-elle pas produire son avenir et amorcer son « autoéducation » ? « La nation prend ses racines dans le temps et crée de cette façon ses intérêts, ses images, sa vie en commun », écrivait Jean-Baptiste Duroselle, renouant avec Renan. Ces images pourraient être par exemple ces figures européennes à introduire sur nos billets. Pendant deux semaines, nous vous en proposons quinze sur le site du Point. Chiffre dont nous assumons l’arbitraire de même que le choix, soumis à débat§
retrouvez le « spécial élections européennes » le jeudi 11 avril sur
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Qui faire figurer sur les billets en euros ? Un français, un allemand ? Ou les deux avec Helmut et François se tenant par la main, du style papa emmène son fiston à l’école ?
L’Europe c’est maintenant 28 pays (bientôt 27) parlant 19 langues différentes mais surtout l’anglais, ce qui est étrange en ces temps de Brexit.
Comment trouver un point commun entre la Hongrie, la Lituanie, la Pologne, le Roumanie, l’Allemagne, l’Italie et je vais pas les citer tous. Histoires différentes, cultures différentes, modes de vie différents, langues différentes. Le seul point commun est la religion chrétienne, mais en ces temps de désaffection des églises et de la progression pour le moins significative de la communauté musulmane un emblème chrétien est devenu impossible. D’autant que les athées, eux aussi en progression géométrique, s’y opposeraient bec et ongle. “In god we trust plus du tout”, future devise européenne ?
Après mûre réflexion, je pense que le personnage qui pourrait unir tout ce beau monde est le Père Noël. Au début on y croit dur comme fer et après on fait semblant. Le parallèle avec la construction européenne serait lumineux.
Cette idée, associer aux billets en euros, des visages,
j’en ai parlé dès le début et l’ai écrite quelque part
dans un carnet alors, comme tant d’autres, PH
C’est donc une bonne idée… À côté de visages transcendants quelque appartenance nationale, tels Beethoven, on pourrait aussi laisser le choix aux pays de proposer pour certaines coupures (10, 20, … ) les visages de leurs héros même moins connus. Ces billets mis en circulation dessineraient une géographie fantasque et rêvée de l’Europe, lors de quelques tirages avant de laisser la place à un nouveau venu.
L’effigie de Moussorgski donc, pour sa “Nuit sur le Mont chauve”, vu que sur le Mont Europe il n’y a rien qui pousse… ; -)
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