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Depuis plusieurs années, la part des transactions en liquide décline, tandis que les moyens de paiements dématérialisés deviennent de plus en plus monnaie courante. L’argent liquide est-il pour autant destiné à devenir obsolète ? Tour d’horizon des arguments pour une société sans cash. Cas de conscience.
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Faut-il s’accrocher à l’argent liquide ?
Alors que les paiements dématérialisés se sont généralisés depuis plusieurs années, faut-il continuer à utiliser de l’argent liquide ?
Mathilde Aubier pour La Croix L’Hebdo
Pour combien de mes achats, cette semaine, ai-je sorti des pièces ou des billets de mon portefeuille ? Un peu plus de la moitié, selon les données les plus récentes de la Banque centrale européenne : en 2019, 59 % des transactions, en France, s’effectuent en liquide, le reste se répartissant entre carte bancaire, plateforme en ligne, application mobile, chèque… Un net recul car, trois ans plus tôt, la proportion s’élevait à 68 %. La baisse se vérifie en valeur : 25 % du montant total des transactions sont payés en espèces en 2019, contre 28 % auparavant.
Le déclin n’est pas propre à la France et s’observe partout en Europe, où la Commission planche sur un projet d’« euro numérique », mais aussi aux États-Unis, en Chine… Une tendance si générale et qui s’ancre à ce point dans les usages qu’une possibilité, à terme, se dessine : la disparition du « cash ».
La perspective donne le vertige aux uns, risquant selon eux d’en exclure certains et conduisant à l’immatérialité de l’argent, une dématérialisation de plus à l’heure des réunions en ligne, des réalités virtuelles… Mais elle en réjouit d’autres, qui y voient des avantages pratiques, économiques. Alors, de quel côté pencher ? Faut-il souhaiter, voire encourager, la fin du liquide ? Ou au contraire la redouter, voire chercher à l’empêcher ?
La fluidité des échanges est souvent mise en avant par les défenseurs d’une « société sans cash », dont la Suède fait figure de parangon : en 2020, 9 % des consommateurs avaient effectué leur dernier achat en liquide, contre 39 % dix ans plus tôt. L’aspect pratique de la carte bancaire, et plus encore de l’application mobile Swish, dominante, a conquis la majorité au sein du royaume scandinave. « En Suède, si vous payez la note au restaurant, je peux tout de suite vous rembourser avec mon mobile, sans avoir à vous demander votre IBAN, et l’argent sera directement sur votre compte en toute sécurité », explique Gabriela Guibourg, économiste à la Banque de Suède. Ici, c’est donc l’enjeu de la simplicité pour le consommateur qui prime.
Autre argument, auquel recourent le plus souvent les États : le risque de blanchiment, avancé pour justifier le plafonnement des paiements en liquide (1 000 € en France depuis 2015). En cause, la traçabilité, évidemment plus complexe, voire impossible, pour un paiement avec une liasse de billets plutôt que par chèque, carte, application mobile… Un argument de salut public auquel s’ajoutent des considérations financières. « La gestion de la monnaie fiduciaire représente un coût significatif pour les banques centrales et les banques privées : il faut la produire, la faire circuler, insiste Gregory Lewkowicz, professeur de droit à l’Université libre de Bruxelles et spécialiste de l’interaction entre droit et technologie. Or, ce coût diminue pour les autres moyens de paiement… » Les transactions sans cash peuvent même représenter une ressource grâce aux nombreuses informations collectées. « Ces données permettent d’analyser un secteur, de savoir, par exemple, comment se positionnent les supermarchés par rapport aux épiceries, détaille-t-il. Cela a une valeur. » Et donc, cela peut se vendre.
C’est alors que l’on touche l’un des motifs de réserve, sinon de rejet, vis-à-vis de la suppression de l’argent liquide : le droit à l’anonymat. « C’est la condition d’une société libérale, au sens politique du terme », rappelle Gregory Lewkowicz. C’est pourquoi en Autriche, des citoyens, réagissant à un projet européen de plafonnement des paiements en liquide à 10 000 € (bien au-delà, donc, des 1 000 € en France), ont lancé une pétition. Leur but : faire inscrire dans la constitution le droit de payer en liquide sans limite. Si, aujourd’hui, des garanties encadrent strictement l’usage des informations concernant l’identité des payeurs, comment s’assurer qu’elles soient durables ? « Quand des technologies de contrôle existent d’abord pour des sujets très graves, la lutte contre le terrorisme ou la pédopornographie par exemple, elles finissent toujours par être appliquées à d’autres domaines », poursuit le chercheur.
À ce risque s’ajoute celui de l’exclusion sociale, « un enjeu énorme », prévient Patrice Baubeau, maître de conférences en histoire économique à l’université de Nanterre. Le paiement par carte ou par application mobile implique en effet des coûts – cotisation pour la première, acquisition d’un smartphone pour la seconde – d’autant plus élevés que les intéressés sont plus modestes. « Les coûts d’accès aux services bancaires sont liés au niveau social », rappelle en effet le chercheur. De tels paiements exigent également une maîtrise du numérique que tous ne partagent pas, notamment parmi les plus âgés. En Suède, plus de la moitié des plus de 65 ans disent ainsi regretter le recul du cash, conduisant la Banque de Suède à s’engager à en garantir l’accès sur tout le territoire national.
Sur un autre terrain se pose la question de l’argent de poche et de l’apprentissage de la tenue d’un budget. Comment faire comprendre aux plus jeunes les notions de quantité limitée et de prévision au sujet d’une ressource immatérielle ? « Sur le plan cognitif, on sait que la manipulation est un élément d’apprentissage, explique Patrice Baubeau. Or, la monnaie fiduciaire peut se trier, se répartir… Dans certains foyers, on fait d’ailleurs des enveloppes, une pour les dépenses de la semaine, une autre pour celles du week-end. »
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