En arrivant au rendez-vous fixé au stade Saint-Symphorien, Eiji Kawashima s’excuse immédiatement pour… une minute de retard. L’actuel gardien international du Japon (81 sélections) est expatrié en Europe depuis sept ans et à Metz depuis deux saisons. Il s’est longuement confié.
Pourquoi avez-vous voulu devenir gardien de but ?
Eiji Kawashima. A cause du gardien de l’Argentine, Sergio Goycochea. Lors du Mondial 1990, il avait été exceptionnel lors des séances de pénaltys contre la Yougoslavie et l’Italie. A cette époque, il n’y avait pas Internet et j’avais acheté des K7 vidéo de lui pour le regarder. C’était impressionnant. Gardien, c’est un poste difficile, mais lui, je l’ai vu prendre du plaisir avec ses arrêts. Ensuite, j’ai ressenti la même chose quand je suis passé dans les cages. Stopper une frappe compliquée, c’est une forme de bonheur.
A quand remonte votre première expérience du foot européen ?
A 18 ans, j’étais allé m’entraîner quelques semaines à Parme. Je n’étais même pas titulaire dans mon club en deuxième division. Et j’avais suivi un coéquipier en Europe. Je voulais connaître autre chose. Et cela a été mon premier choc avec la culture européenne. Au Japon, quand on te dit : Rendez-vous dans cinq minutes, c’est cinq, pas six. A Parme, j’ai compris que cela voulait dire trente ou quarante. Ce n’était pas ma culture. Aujourd’hui, j’ai compris comment ça fonctionne ici. Même si à Metz, c’est moins marqué. Peut-être parce qu’on est à côté de l’Allemagne.
Pourquoi avoir choisi, à 27 ans, de résilier votre contrat avec Kawasaki Frontale, où vous étiez international, pour rejoindre l’Europe sans avoir un point de chute ?
C’était avant le Mondial 2010 et j’étais deuxième gardien en sélection. Je me suis dit que je devais découvrir autre chose. J’ai fait des essais à Parme, Verone et à Udine, mais, finalement, je suis devenu titulaire au Japon et j’ai disputé la Coupe du monde. Cela m’a permis de signer en Belgique à Lierse. Avant de partir en Europe, j’avais pris des cours d’italien et d’anglais. Et j’ai appris le français en Belgique.
Quelle est la principale différence entre le football nippon et celui en Europe ?
Pour nous, le foot doit se jouer proprement. Ici, il y a un mot précis. (NDLR : Il le cherche sur le traducteur de son téléphone.) C’est l’essence du foot ! Chez vous, on joue parce que c’est dans la culture et qu’il faut jouer peu importe les conditions. Avant la Belgique, je n’avais jamais joué sur des sols gelés. C’était inconcevable au Japon, car on estime que c’est dangereux. En Europe, la culture du foot passe avant tout.
En Belgique, il y a eu aussi le Kawashima Tour. Qu’est-ce que c’était ?
Ce sont plein de Japonaises qui venaient spécialement du pays pour me voir (NDLR : elles déboursaient 2 300 euros pour le voyage). Ça se passe souvent comme ça avec les joueurs japonais. Mais il y avait pire que moi : mon compatriote Atsuto Uchida, quand il jouait à Schalke 04, c’était cinq bus et 200 personnes qui venaient voir ses matchs en Allemagne !
Vous rappelez-vous de cet incident lors d’un match en Belgique où des supporters adverses avaient chanté « Kawashima Fukushima » en référence à la catastrophe nucléaire de 2011 ?
Oui. Ici, on aime rire des choses, mais moi, j’ai vu de mes yeux les dégâts du Tsunami et de la catastrophe nucléaire. J’ai vu des immeubles détruits et des gens sans abri. En Europe, vous riez de la mort sur les terrains de foot. Est-ce que vous, vous aimeriez voir des gens rire de ce qui s’est passé au Bataclan ?
Pourquoi avoir choisi Metz en 2016 ?
J’étais en Écosse à Dundee et j’avais des propositions en Belgique. Mais j’ai eu envie de connaître un nouveau pays pour découvrir une nouvelle culture. Notre sélectionneur Vahid Halilhodzic était content, car il connaît bien votre championnat.
Halilhodzic a l’image de quelqu’un de rigoureux et plutôt fermé. Est-ce le cas ?
Au Japon, il est très strict. Plus qu’en France. Je vois la différence. Des fois, ici, je l’ai vu essayer de blaguer ou de faire un peu du charme avec ses yeux. Mais quand il est avec la sélection japonaise, c’est rigueur, rigueur… On ne rigole jamais avec lui.
A vos débuts à Metz, vous vous êtes retrouvé souvent en équipe réserve. Était-ce compliqué à vivre ?
Oui. Ce n’est pas ce que j’avais espéré, mais un Japonais ne se plaint jamais. Mais j’avais fait un choix. J’ai travaillé et, aujourd’hui, je joue avec l’équipe première.
En Europe, les jeunes joueurs sont presque tous tatoués avec des coupes de cheveux modernes et des casques sur les oreilles. Faites-vous comme eux ?
Les tatouages, c’est impossible. Au Japon, si tu en as, cela veut dire que tu es un yakuza (NDLR : membre d’un groupe du crime organisé). Et le casque sur les oreilles et les cheveux bizarres, ce n’est pas vraiment pour nous.
Au Mondial russe, le Japon va notamment affronter la Colombie d’où est originaire votre épouse et le Sénégal, où jouent certains de vos équipiers messins…
(Il coupe.) Ma femme sera à 120 % pour le Japon. Et les Sénégalais, on se fera la guerre seulement là-bas. En attendant, je ne me moque pas. Je sais ce que veut dire « chambrer » et que ça fait partie de votre culture. Mais je laisse les autres le faire. Je suis japonais et je garde toujours mes distances !
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