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Au côté de Sandrine Kiberlain, Jean Rochefort bouleverse dans le rôle d’un homme frappé de démence sénile.
Par
Temps de Lecture 4 min.
L’avis du « Monde » – à ne pas manquer
Il y a un demi-millénaire, la vie était si courte que ceux qui la prolongeaient au-delà de la raison inspiraient une révérence terrorisée. La folie du Roi Lear atteint au sublime. Maintenant qu’il est commun de vivre un siècle, on préfère fermer les yeux sur les innombrables vieillards frappés de démence. Quand on – les artistes, en l’occurrence – s’y résout, c’est souvent sur le mode de la commisération, souvent aussi du point de vue des témoins de l’éloignement et de la dégradation que provoque la maladie chez ceux qu’elle frappe. Le temps de la tragédie est passé, ce destin est trop commun.
Floride, le film que Philippe Le Guay a façonné à partir d’une pièce de Florian Zeller, emprunte en apparence le chemin de la comédie, aidé dans ce choix par un acteur dont la puissance n’a pas toujours pu se déployer, Jean Rochefort. Ce comique apparent, qui arrache des rires d’autant plus forts qu’on sait bien qu’il y a des choses dont on ne devrait pas rire, habille élégamment la chronique d’un long voyage dont le metteur en scène et l’acteur se plaisent à imaginer les étapes. Imaginer, seulement, puisque personne n’est jamais revenu de la démence pour en raconter les paysages.
Au théâtre, Le Père – c’était le titre de la pièce de Florian Zeller – avait été créé avec Robert Hirsch, acteur incapable de s’économiser, soit à peu près l’exact opposé de Jean Rochefort en matière d’art dramatique. Après de longues hésitations, Rochefort a accepté de devenir Claude Lherminier, octogénaire portant beau, industriel retiré des affaires dans une belle villa des environs d’Annecy, où – on s’en aperçoit vite – il perd doucement la boule. Doucement, parce que le processus est long. Mais chacune de ses étapes dissimule des pièges qui peuvent sauter au visage de ceux qui entourent M. Lherminier.
Retors, lubrique, vindicatif, pingre. Ou bien enfantin, timide, craintif, généreux. L’acteur comprime tous les états d’un homme dans des moments très brefs. C’est comme ces chevaux de concours qui peuvent faire volte-face sur une pièce de monnaie, c’est très beau, étourdissant et inquiétant.
Au début du film, Philippe Le Guay propose plusieurs réalités, parmi lesquelles il faut faire un tri. M. Lherminier achète un palmier pour que sa fille ne soit pas dépaysée à son arrivée de Floride. Il feint d’avoir perdu sa montre et accuse son aide ménagère de l’avoir dérobée. On le voit aussi dans un avion à destination de Miami, dans la cabine business dont il fait tourner les hôtesses en bourrique.
Chacun de ces fragments convainc sans peine. Jean Rochefort sait aussi bien séduire qu’irriter, attendrir qu’effrayer. Mais lequel choisir ? Ce n’est pas tant la tâche du spectateur que celle de l’autre protagoniste de cette fausse comédie, Carole, la fille de M. Lherminier, que joue Sandrine Kiberlain. Elle a repris l’usine familiale, une papeterie, et jongle entre ses obligations professionnelles et filiales. Elle voudrait être le compas qui oriente son père vers la raison et peine à se résoudre à le voir prendre la direction opposée.
Une vue panoramique sur les façons dont on traite les gens comme les problèmes
La mise en scène de Philippe Le Guay, discrète, circule avec grâce entre ces deux pôles, l’instabilité, l’imaginaire d’une part, le principe de réalité, la logique d’autre part. Il est l’un des rares cinéastes français à savoir faire du décor dans lequel évoluent ses personnages un environnement : l’usine de la famille Lherminier n’est pas seulement là pour expliquer la fortune du patriarche, les angoisses et les ambitions de sa fille. C’est un lieu où l’on produit vraiment du papier, où les histoires de patron et d’ouvriers ont évolué, comme dans toutes les usines. En quelques séquences, on le devine, on le comprend, si bien que lorsque le vieil homme y revient sans prévenir, on assiste au surgissement d’un passé un peu déformé – un lointain souvenir de la lutte des classes à l’ancienne – dans un présent régi par l’automation.
Autour du couple père-fille s’est agrégée une petite tribu : à Laurent Lucas, qui joue Thomas – le soupirant de Carole – revient le rôle ingrat du type qui trouve que tout ça c’est bien joli, mais qu’il faudrait quand même mettre le vieux en maison. Anamaria Marinca (que l’on avait découverte dans 4 mois, 3 semaines, 2 jours, de Cristian Mungiu) interprète une aide-soignante venue de l’Est, qui essaie de toutes ses forces de ne pas succomber aux tentations qu’offre la vie à temps plein avec un homme riche privé de ses facultés. Sans insister dans cette direction, Floride offre ainsi une vue panoramique sur les façons dont on traite les gens comme les problèmes.
Mais, et c’est ce qui en fait le prix, malgré les scories théâtrales qui parsèment de-ci de-là le dialogue, toujours le film revient à son centre, à cet homme qui quitte lentement le monde des vivants pour entrer dans le sien, où personne d’autre ne peut pénétrer.
Film français de Philippe Le Guay avec Jean Rochefort, Sandrine Kiberlain, Laurent Lucas, Anamaria Marinca (1 h 50). Sur le Web : www.gaumont.fr/fr/film/Floride.html
Thomas Sotinel
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Daté du lundi 2 janvier
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