La logique voudrait qu’avec la guerre en Ukraine, les risques haussiers sur l’inflation et la baisse attendue de la croissance des deux côtés de l’Atlantique (certains évoquent déjà le spectre de la récession aux Etats-Unis), le yen japonais en sorte renforcé. Ce n’est pas le cas. La monnaie nippone subit une forte dégringolade face à ses principales contreparties : -4,9 % face à l’euro, -6,2 % face au dollar américain et -9,4 % face au dollar australien en un mois, par exemple. Le yen est actuellement proche de ses points bas depuis six ans face au dollar américain et de quatre ans face à l’euro. C’est une chute généralisée. Trois facteurs principaux expliquent cela.
Le Japon ne fait pas face aux mêmes pressions inflationnistes que les Etats-Unis et la zone euro. L’indice des prix à la consommation a augmenté de 0,9% sur un mois en février dans l’archipel nippon. Aux Etats-Unis, il était à 7,9% et en zone euro à 5,9% sur la même période (probablement 6,6% en mars selon l’estimation flash publiée la semaine dernière). Cela n’appelle pas les mêmes réponses en termes de politique monétaire. La Banque du Japon n’entend pas changer d’un iota sa politique ultra-accommodante caractérisée par des taux négatifs et des interventions directes sur le marché obligataire (on parle de “contrôle de la courbe des taux” qui consiste à acheter une quantité illimitée d’obligations pour maintenir un taux-cible). Il n’y aura d’ailleurs certainement aucun changement dans l’année en cours. A l’inverse, la Réserve Fédérale américaine a amorcé un cycle de durcissement monétaire qui devrait s’accélérer début mai, avec une hausse du taux directeur de 50 points de base (0,5 point de pourcentage, NDLR) selon le consensus.
Au total, le marché monétaire prévoit un cycle de durcissement de 225 points de base (2,25 points de pourcentage) cette année aux Etats-Unis. En zone euro, la pression va s’accroître sur la Banque Centrale Européenne (BCE) afin qu’elle agisse contre l’inflation. Si on se base sur l’inflation publiée en février, 62% des composants ont connu une inflation supérieure à 3% et 46% au-dessus de 4%. Nous ne pouvons plus parler d’inflation temporaire. La BCE va devoir durcir sa politique monétaire dans les mois à venir. Le décalage de politique monétaire entre d’un côté le Japon et de l’autre les Etats-Unis et la zone euro est un puissant moteur de baisse du yen par rapport au dollar et à l’euro. En effet, cela conduit à un élargissement des spreads de taux, ce qui renforce mécaniquement l’attractivité des monnaies dont le loyer de l’argent est comparativement plus élevé.
>> A lire aussi – Forex : qu’est-ce que c’est ? Pourquoi investir ?
Le Japon est un importateur net de pétrole (90% de l’énergie est importée) et de métaux. Si la hausse des matières premières, au sens large, continue et que le risque géopolitique reste contenu, la dépréciation du yen japonais pourrait se poursuivre. C’est notre scénario central. Nous sommes actuellement dans un supercycle des matières premières qui va certainement aboutir à une hausse durable des prix de l’énergie, des produits agricoles et des métaux précieux. Cela va directement se traduire par une dégradation de la balance commerciale japonaise (hausse des importations) et une compression du pouvoir d’achat des ménages (l’augmentation des prix est toujours répercutée sur le consommateur).
Le net refroidissement diplomatique entre la Russie et le Japon est l’une des conséquences inattendues de la guerre en Ukraine. Fin mars, la Russie a quitté la table des négociations concernant les îles Kouriles – un îlot annexé par l’Union Soviétique en 1945 et que le Japon considère comme partie intégrante de son territoire. La politique de la chaise vide de la part de la Russie est une réaction directe à la mise en place de sanctions par l’archipel nippon contre le pays suite à l’invasion de l’Ukraine et aux crimes de guerre commis par l’armée russe. Des observateurs considèrent qu’en cas de tensions géopolitiques entre la Russie et le Japon, ce dernier pourrait être mis en difficulté. C’est un facteur, à la marge, qui peut aussi expliquer la baisse du yen japonais.
>> Notre service – Comparateur de devises
Nous avons tendance à répondre par l’affirmative. Le marché des changes semble avoir déjà intégré dans les prix tous les facteurs de risque connus. Les opérateurs ont conscience que la guerre en Ukraine va être un conflit larvé qui va entraîner une hausse de l’inflation du fait des perturbations des chaînes d’approvisionnement. Le processus de durcissement monétaire aux Etats-Unis est bien amorcé. L’Histoire nous enseigne que cela n’aboutit pas nécessairement à une hausse de l’aversion au risque. Enfin, le retour de la pandémie en Chine, et potentiellement en Europe, ne soulève pas plus d’inquiétudes que cela tant qu’un nouveau variant, plus dangereux que le variant dominant Omicron, n’a pas été découvert. La vaccination est un succès, à cet égard.
Dans ce contexte, la baisse du yen japonais pourrait être durable. Cela ne signifie pas que la monnaie japonaise a perdu son statut de valeur refuge. Lorsqu’une crise importante imprévue surviendra, nous verrons bien que les opérateurs vont se ruer sur le yen de nouveau. C’est presque instinctif. Mais, pour l’instant, ils sont à la recherche de monnaies à fort rendement, comme le dollar américain, le dollar australien et, dans une moindre mesure, l’euro.
>> Achetez et vendez vos placements (Bourse, cryptomonnaies, or…) au bon moment grâce à Momentum, la newsletter de Capital sur l’analyse technique. Et en ce moment, avec le code promo CAPITAL30J, profitez d’un mois d’essai gratuit.
© Prisma Media – Groupe Vivendi 2022 Tous droits réservés

source

Catégorisé: