Plusieurs oligarques russes ne sont encore visés par aucune sanction internationale, dont un ancien vice-premier ministre russe et l’ex-propriétaire de l’ancienne propriété de Palm Beach de Donald Trump.
 
Après l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine, 20 oligarques russes ont été visés par des sanctions occidentales, contre 11 seulement avant l’invasion. Parmi les oligarques sanctionnés, l’on trouve Roman Abramovitch, le propriétaire de Chelsea FC.
Alors que la liste s’allonge un peu plus chaque jour et que la guerre en Ukraine se poursuit, de nombreuses questions se posent quant à savoir qui sont les oligarques visés par des sanctions.
Au cours d’un procès aux États-Unis en 2003, Iskandar Makhmudov, propriétaire du géant russe Ural Mining, et son partenaire commercial, Oleg Deripaska (visé par des sanctions), ont été accusés d’être à la tête d’un « système de racket massif » avec « violences physiques, fraudes par courrier et par internet, et blanchiment d’argent aux États-Unis. » L’affaire a été rejetée faute de compétences et Iskandar Makhmudov a toujours clamé son innocence. Selon Anders Åslund, économiste et expert de la ploutocratie russe, le magnat de l’industrie minière est « très proche du Kremlin. »
Malgré son curriculum vitae, Iskandar Makhmudov absent de la liste des personnalités visés par des sanctions. Au 14 mars, il compte encore parmi les nombreux oligarques russes qui ont échappé aux sanctions des États-Unis, du Royaume-Uni et de l’Union européenne (UE). Parmi les autres oligarques non sanctionnés, l’on trouve le magnat de l’énergie Leonid Mikhelson, qui détient une participation importante dans le producteur de gaz naturel Novatek et la société pétrochimique Sibur. L’ancien vice-premier ministre russe entre août 1996 et mai 1997 (lorsque Boris Eltsineétait président), Vladimir Potanin, ne fait pas non plus partie de la liste des oligarques russes sanctionnés. C’est également le cas du propriétaire du club de football de l’AS Monaco (Ligue 1), Dmitri Rybolovlev, célèbre aux États-Unis pour avoir acheté le manoir de Donald Trump en bord de mer à Palm Beach pour 95 millions de dollars en 2008 (il l’a vendu depuis).
Les différentes sanctions prises par les gouvernements occidentaux contre des oligarques russes ont conduit de nombreux experts et observateurs à se poser la question suivante : comment les responsables politiques décident-ils qui poursuivre et qui épargner ?
La réponse à cette question mêle considérations politiques, économiques et géostratégiques, selon plusieurs experts en sanctions, avocats et anciens fonctionnaires américains contactés par Forbes.
« Les oligarques visés par des sanctions le sont pour des raisons politiques particulières », explique Adam Smith, ancien conseiller du bureau de contrôle des actifs étrangers du département du Trésor américain sous le président Obama. Certains oligarques « sont plus importants que d’autres pour des raisons politiques. »
Peter Stano, porte-parole de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a refusé de commenter les délibérations de l’UE sur les sanctions et a ajouté : « Toutes les décisions sur l’imposition de nouvelles sanctions sont prises par les États membres au sein du Conseil et par consensus. Rien n’est décidé sans consensus préalable ».
Selon un porte-parole du ministère britannique des Affaires étrangères, du Commonwealth et du Développement, « le Royaume-Uni a déjà sanctionné plus de 200 personnes, entités et filiales les plus importantes et les plus essentielles de Russie depuis l’invasion. Plus de 500 d’entre elles figurent désormais sur la liste des sanctions du Royaume-Uni. »
Un porte-parole du département du Trésor américain s’est refusé à tout commentaire.
D’après les experts, les relations commerciales, les investissements et les prix du marché mondial sont des facteurs cruciaux dans la politique de sanctions d’un pays. La domination de la Russie en matière d’exportations de pétrole, de gaz et de matières premières a lié le sort des entreprises et des fabricants occidentaux aux entreprises russes et à leurs propriétaires, les oligarques. Ces derniers « sont peut-être des voyous, mais ce ne sont pas des voyous sans moyens », déclare Richard Nephew, qui a travaillé sur la politique de sanctions contre l’Iran au Département d’État américain sous Obama. « Les oligarques sont des personnes qui possèdent des connexions économiques importantes auxquelles il faut penser. Cela ne signifie pas que vous ne les sanctionnez pas, mais cela veut dire que vous devez y réfléchir et être un peu plus prudent. »
Les responsables politiques américains connaissent bien cet exercice d’équilibriste. Le département du Trésor américain a levé en décembre 2018 les sanctions contre Rusal, la société de production de métaux d’Oleg Deripaska, et sa société mère En+, moins d’un an après leur entrée en vigueur. À l’époque, les États-Unis se sont rendu compte que les sanctions avaient fait grimper les prix de l’aluminium, ce qui a eu des répercussions sur les alliés européens des États-Unis. En 2018, les Américains ont donc assoupli les sanctions contre les sociétés d’Oleg Deripaska, car ce dernier avait renoncé à leur propriété, mais ce sont les intérêts commerciaux et le lobbying européens qui ont poussé les États-Unis à conclure un accord, explique Richard Nephew. « Comme nous l’avons constaté avec Deripaska, nous avons pris cette mesure et les prix mondiaux de l’aluminium ont explosé. Vous pouvez trouver qu’une sanction est riche de sens et totalement justifiée, mais elle pourra avoir des conséquences économiques importantes. »
Autre exemple possible dans le contexte actuel : l’UE et le Royaume-Uni n’ont pas sanctionné Vaguit Alekperov, le fondateur de la compagnie pétrolière et gazière russe Lukoil. Vaguit Alekperov faisait partie des chefs d’entreprise russes convoqués au Kremlin pour une audience avec Vladimir Poutine le mois dernier. Cependant, l’oligarque russe et Lukoil, une entreprise privée qui produit plus de 2 % du pétrole mondial, sont réputés moins proches de Vladimir Poutine qu’Igor Setchine, le PDG de la compagnie pétrolière publique Rosneft. Igor Setchine a été sanctionné par l’UE le 27 février et par le Royaume-Uni le 9 mars.
Le « relativement indépendant » Vaguit Alekperov « ne doit pas être sanctionné », soutient Anders Åslund, qui estime que l’oligarque et Lukoil sont des contrepoids importants à Igor Setchine et Rosneft. « Igor Setchine veut prendre le contrôle de Lukoil », déclare Anders Åslund. « Si Alekperov est sanctionné, [alors] Setchine et la société d’État Rosneft deviendront tout à fait dominants dans le secteur pétrolier. L’UE importe environ 30 % de son pétrole de Russie.
L’analyse des compromis politiques et économiques est au cœur du processus de décision en matière de sanctions, explique Ari Redbord, ancien conseiller de l’unité Terrorisme et renseignement financier du Trésor américain : « Pour chaque cible, il y a une conversation au sein du département du Trésor ainsi qu’au sein du Conseil national de sécurité. Il ne s’agit pas seulement de se demander si la personne devrait être sanctionnée, mais également quelles en seront les conséquences ».
 
Un exercice délicat
Outre les considérations économiques, les autorités chargées des sanctions évaluent également l’état d’esprit et les motivations du président russe Vladimir Poutine, qui serait de plus en plus isolé. Selon Timothy Frye, professeur de politique post-soviétique à la Columbia University, les États-Unis et l’UE pourraient échelonner le déploiement des sanctions contre les oligarques dans le cadre d’une stratégie d’« escalade », qui maintient « les échelons supérieurs ouverts si le mauvais comportement de la Russie se poursuit. »
La raison d’être de cette stratégie est de préserver les méthodes de dissuasion. Si les autorités sanctionnent tous les oligarques d’un seul coup, elles perdent théoriquement un moyen de pression supplémentaire sur Vladimir Poutine. Il y a aussi la question connexe de la psychologie du président russe. En sanctionnant tous les oligarques, le président russe pourrait se sentir acculé et ne disposer d’aucune « porte de sortie » ou stratégie de sortie de son militarisme irréfléchi, ce qui risque d’inspirer un comportement encore plus erratique et cruel.
Une approche stratégique consistant à « diviser pour mieux régner » pourrait également expliquer pourquoi certains candidats oligarques évidents sont omis des listes de sanctions. « Le fait de laisser quelques oligarques non sanctionnés peut susciter la méfiance, car d’autres oligarques peuvent se demander pourquoi l’un de leurs pairs a été écarté de la liste », explique Timothy Frye.
Certains observateurs ne sont pas d’accord avec l’approche fragmentaire des gouvernements occidentaux concernant les sanctions contre les oligarques et l’interprétation de la mentalité de Vladimir Poutine.
« Il y a toujours cette pensée résiduelle que si nous prenons certaines sanctions, cela va affecter le calcul de prise de décision de Vladimir Poutine, mais ce n’est pas le cas », déclare Daniel Vajdich, président de Yorktown Solutions, un cabinet de conseil international qui travaille avec le secteur énergétique ukrainien depuis 2017. Selon Daniel Vajdich, il faut sanctionner tous les oligarques russes en même temps : « Pour que ces gens fassent pression sur le Kremlin, ils devront eux-mêmes ressentir la douleur ».
Si les responsables politiques détiennent tout le pouvoir sur les cibles des sanctions, cela n’empêche pas les oligarques de tenter de faire disparaître leur nom des listes. Selon Richard Nephew, les manifestations publiques de soumission et de contrition peuvent avoir pour but de signaler aux responsables occidentaux que les oligarques prennent leurs distances avec Vladimir Poutine afin d’éviter d’être sanctionnés : « Si vous avez en face de vous une personne qui choisit volontairement de renoncer à sa position ou à ses actifs, je pense que cela entre en ligne de compte pour savoir s’il figure ou non sur la liste des sanctions ».
Cette stratégie peut permettre aux oligarques de gagner du temps pour liquider leurs actifs et se rapprocher des puissances occidentales, mais elle peut également se retourner contre eux. Le 2 mars, deux jours après que l’UE a sanctionné de nombreux oligarques russes, leur imposant des interdictions de voyage et gelant leurs yachts et autres jets, Roman Abramovitch a mis en vente son club de football, Chelsea FC, et plusieurs de ses opulentes demeures londoniennes, promettant de faire don du « produit net » de la vente du club de Chelsea aux victimes de la guerre en Ukraine.
Si l’on découvrait que Roman Abramovitch « fait secrètement X, Y ou Z pour aider Vladimir Poutine, cela entraînerait probablement encore plus de réactions et une décision de le poursuivre », a déclaré Richard Nephew à Forbes le 9 mars. Il aura fallu moins de 24 heures : le Royaume-Uni a sanctionné le milliardaire russe le 10 mars, une semaine après que le Guardian a rapporté que les dons promis par Roman Abramovitch pour l’Ukraine pourraient en réalité aller aux soldats russes et à leurs familles.
 
Article traduit de Forbes US – Auteur : John Hyatt
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