La chaleur irradie les jardins du château de Taillebourg, non loin de La Rochelle, le matin du 31 juillet 1451. L’atmosphère est douce dans les allées du parc ombragées par des aulnes. Des rires d’enfants donnent à l’air une légèreté presque irréelle. Pourtant, un calme inquiétant règne à l’approche des douves.
Des gardes protègent l’entrée du donjon, comme si quelque chose de violent se préparait. Charles VII tient son conseil dans l’une des salles du château. Jacques Coeur, le grand argentier du royaume de France, fait les cent pas dans le parc en attendant la fin de cette réunion dont il ne connaît pas l’objet.
« Vous ne semblez pas tranquille, Messire », murmure Marc, son plus proche ami et conseiller. Jacques ne répond pas. Depuis qu’il a vu le roi s’enfermer avec ses ennemis Antoine de Chabannes, Antoinette de Maignelais et Guillaume Gouffier, il a un mauvais pressentiment.
En le quittant, Charles VII avait son mauvais regard, cet air fourbe et triste qu’il lui a souvent vu à l’époque où sa légitimité était contestée.
« Que craignez-vous ? demande encore Marc. Le roi ne peut se passer de vous. » « C’est bien cela qui m’inquiète », murmure Jacques, sous son turban marron qui lui masque une partie du visage.
Depuis quelques mois, Jacques Coeur sent sa chance tourner. Les rumeurs les plus folles courent à son sujet : il aurait empoisonné Agnès Sorel, la maîtresse tant aimée du roi, morte il y a près d’un an. Tout le monde sait pourtant à quel point ils étaient proches, qu’elle était même devenue une amie, et sa protectrice. Il lui devait d’avoir renforcé sa proximité avec le roi, dont le caractère si versatile et complexe restait parfois impénétrable.
Depuis, la haine et la jalousie à l’égard du grand argentier prennent de l’ampleur. Créancier du roi et de maints grands seigneurs, il a été trop généreux, trop accommodant. On veut souvent la tête de ceux qui vous ont fait du bien. Mais ce qui inquiète de plus en plus Jacques Coeur, c’est la méfiance de Charles VII. Le monarque vit très mal ces paroles souvent entendues à la cour : « Le roi fait ce qu’il peut, Jacques Coeur fait ce qu’il veut. »
Tout près de lui, Jacques sent l’angoisse et la fébrilité envahir son ami. « Mais tout de même, il vous doit sa couronne ! Il y a quelques mois encore, vous lui prêtiez 200 000 ducats pour achever la reconquête de la Normandie face aux Anglais ! Comment pourrait-il vouloir votre chute ? »
Jacques détourne le regard, et se laisse absorber par le mouvement du vent dans les arbres. Il voit défiler tout à coup l’histoire de sa vie, depuis sa naissance dans cette maison proche de l’église Saint-Pierre-le-Marché, rue de la Parerie, à Bourges, où son père, marchand pelletier, vendait des cuirs et des fourrures, jusqu’à sa nomination comme grand argentier du royaume et son anoblissement.
Après leur première rencontre à Bourges, son lien avec Charles VII lui semblait indéfectible. Peut-être parce qu’il s’était noué en pleine guerre de Cent Ans, alors que le royaume était envahi par les Anglais, avant que le jeune dauphin ne soit déshérité par son propre père, Charles VI, au profit d’Henri V d’Angleterre ? Sans son argent, jamais Charles VII n’aurait réussi à renverser la situation, à chasser les Anglais hors de France, et à gagner ainsi la guerre.
Il se souvient aussi des distinctions et des honneurs que le roi lui a donnés pour couronner son succès et faire de lui son plus puissant allié. « Il me doit beaucoup, mais il est vrai aussi que, sans ce roi, réputé faible, jamais je ne serais jamais devenu l’homme le plus riche de France. »
Jacques s’est intéressé très tôt à l’argent, refusant de se contenter du seul commerce qu’il a hérité de son père, en tant que fils aîné. Son talent le propulse maître des monnaies en 1436. Il est alors chargé de la frappe des pièces à Bourges. On lui reproche de tricher dans le poids et l’alliage utilisé, mais quel homme maniant la monnaie ne l’a pas fait avant lui ?
Sa nomination en tant qu’argentier du roi, en 1438, le fait passer de riche marchand à négociant international. Devenu fournisseur de la maison du roi en produits de luxe, il se dote d’une flotte qui rivalise avec celle des marchands italiens. Il met en place un circuit entre l’Orient et la France : ses bateaux quittent Marseille pour atteindre Alexandrie, puis Rhodes. Il effectue lui-même certains de ces voyages en Méditerranée pour représenter le roi auprès des autres nations.
Trafiquant épices, sel, blé, laines, draps, toiles, fourrures en Orient, en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Flandre et dans les pays baltes, il réalise des bénéfices énormes. Il peut alors acheter des dizaines de seigneuries, et bâtir un magnifique hôtel à Bourges. Un bruit de porte subit le sort de sa rêverie, s’échappant des fenêtres ouvertes du château. Une agitation se fait sentir.
Jacques Coeur hésite. Un doute l’empêche de fuir. Une question le taraude. Est-il vraiment possible que le roi veuille sa chute ? Alors qu’il va et vient entre les rangées d’arbres sous le regard médusé de Marc, cinq soldats s’approchent de lui : « Messire Jacques Coeur, veuillez nous suivre, nous vous arrêtons ! »
Un sourire vague se dessine sur le visage de Jacques Coeur, comme si cette nouvelle ne l’étonnait pas. « Sous quel prétexte m’arrêtez-vous ? » « Ordre du roi ! Le roi n’a pas besoin de raison pour cela. »
Quelques mois plus tard, assis dans sa cellule, Jacques Coeur ressasse les événements récents. Il pense à sa femme, à ses enfants. Après avoir été disculpé de la mort d’Agnès Sorel, il est maintenant accusé d’avoir trahi le roi, d’avoir menti, comploté, détourné de l’argent.
Pendant qu’il était soumis à la question, il a fini par avouer sous la torture tout ce que ses détracteurs lui reprochaient. Il est condamné, pour malversations, à payer une amende de 400 000 écus et à la prison jusqu’au paiement complet de ses dettes. En attendant, ses biens sont confisqués.
En 1454, il s’évade du château de Poitiers et se réfugie à Rome. Le pape Nicolas V proclame son innocence. Le pape Calixte III lui confie ensuite le commandement d’une flotte pour soutenir Rhodes contre les Ottomans.
Il meurt pendant l’expédition, le 25 novembre 1456, sur l’île de Chios, lors d’un combat naval. Le roi Louis XI, fils mal-aimé de Charles VII, rendra une partie de ses biens à la famille de Jacques Coeur et réhabilitera celui dont la devise a traversé les siècles : « A coeur vaillant, rien d’impossible. »
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