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© Attila KISBENEDEK / AFP
En Hongrie, le parti du Premier ministre Viktor Orban remporte haut la main les élections législatives de dimanche, un scrutin qui aurait pu marquer la fin de 12 années continues d’orbanisme car l’opposition avait réussi pour une fois à présenter un front uni de 6 partis, avec un seul objectif : renverser le Premier ministre conservateur et nationaliste. Mais dans le contexte de la guerre en Ukraine, Viktor Orban a gagné en se présentant en garant de la paix pour la Hongrie malgré une encombrante proximité avec Vladimir Poutine.
Les résultats ne sont pas encore tout à fait définitifs mais le Fidesz obtient 53,1% des voix exprimées et surtout une large majorité des élus au Parlement, au-delà des deux tiers, grâce à un système électoral qui est très favorable au parti au pouvoir. Une victoire “exceptionnelle“, selon Viktor Orban : “Nous avons remporté une énorme victoire. Nous avons remporté une victoire si grande qu’elle peut être vue même de la Lune, et certainement depuis Bruxelles“, une allusion à ses différends avec la Commission européenne.
Sur un Parlement hongrois qui compte 199 sièges, 135 élus pour le Fidesz, c’est plus que la majorité des deux tiers, celle nécessaire pour un changement de constitution, pour redessiner les circonscriptions, remodeler le système électoral. Une super majorité que le Fidesz détenait depuis 12 ans avec son petit allié, le parti populaire démocrate-chrétien, tout cela avec une participation élevée de 68%.
L’alliance de l’opposition ne réunit que 35% des suffrages, tandis que Mi Hazank (Notre patrie), un nouveau parti d’extrême droite fait son entrée au parlement (6%) avec 7 élus alors qu’avec 3,2% le parti satirique du Chien à deux queues n’aura pas d’élus. Le grand perdant de ce scrutin est aussi le parti Jobbik, l’ancienne extrême droite qui de 26 élus aux dernières élections passe à 9 mandats, un recul dû notamment à une scission à l’intérieur du parti lié à son recentrage et à la création de Mi Hazank.
Viktor Orban a aujourd’hui 58 ans. L’homme grisonnant à la cravate orange qui remporte aujourd’hui les élections est bien différent du jeune dissident barbu apparu sur la scène politique hongroise à la fin de l’époque communiste : un étudiant aux convictions libérales devenu au fil des années un autocrate national conservateur, un souverainiste antieuropéen.
Viktor Orban a été au pouvoir une première fois entre 1998 et 2002, jeune Premier ministre libéral, prometteur, admiré par Guy Verhofstadt. Et puis en 2002, c’est la douche froide : il perd le pouvoir face aux socialistes et ne s’en remettra jamais, du moins au plan psychologique. Pour lui, on lui a volé les élections.
Par contre politiquement, c’est dans la défaite qu’il est le meilleur. Il se refait, sillonne le pays, et retrouvera le succès 8 ans plus tard, aux élections de 2010. Entretemps, il a changé, c’est devenu un ultraconservateur, tout ce que Guy Verhofstadt déteste et critique. Il devient même la figure de proue de ce qu’on a présenté comme l'”illibéralisme”, un terme forgé par lui le temps d’un ou deux discours, une étiquette qui lui colle à la peau mais qu’il n’utilisera plus jamais. Le terme est devenu l’emblème de ce qu’il appelle sa révolution conservatrice et fait de lui un modèle pour les Trump, Bolsonaro ou Kaczynski en Pologne…
Les sondages se sont un peu trompés : ils prévoyaient plutôt un coude à coude… Certains prévoyaient seulement deux points d’écart, mais finalement c’est presque 20% d’avance qui séparent le Fidesz de l’opposition unie. A cela plusieurs raisons :
Depuis plusieurs jours, des témoins font état de fraudes électorales en Roumanie, en Transylvanie, où réside une importante minorité hongroise (environ 1,5 million). Des centaines de bulletins de vote ont été retrouvés à moitié brûlés en bord de route.
La Commission électorale s’est déclarée incompétente pour enquêter sur la situation. Dès lors se pose la question : cette élection a-t-elle été truquée ? L’OSCE, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe avait surveillé les scrutins de 2014 et 2018 concluant qu’il s’agissait d’élections libres mais pas équitables.
Cette année, pour la première fois, le scrutin s’est tenu sous la surveillance de plus de 200 observateurs internationaux. Chaque camp a aussi déployé des milliers de bénévoles. Dans la coalition de l’opposition certains, comme le vice-président du Jobbik, ont dénoncé des “irrégularités“.
Le poids de la guerre en Ukraine aura été immense et surprise sur le résultat de ces élections. Les enjeux initiaux, la lutte contre la corruption pour l’opposition, le socio-économique pour le gouvernement, sont complètement passés au second plan.
Orban et Marki-Zay se sont opposés sur l’attitude à prendre face à l’invasion russe en Ukraine : neutralité prudente dictée par la peur de perdre un accès au gaz russe bon marché pour le Premier ministre hongrois face à un chef de l’opposition qui a eu beau jeu de fustiger sa proximité avec Vladimir Poutine. Pour l’opposition, cette proximité avec Moscou est du pain béni. Peter Marki-Zay a beau jeu de fustiger le rapprochement avec Moscou en traitant son adversaire de “Poutine magyar“. Le choix “n’a jamais été aussi simple“, selon le candidat de l’opposition unie. Il faut faire le bon choix “celui de l’Europe, pas de l’Est“.
Pour Viktor Orban, la difficulté a été de faire oublier les relations étroites qu’il entretient depuis dix ans avec le président Vladimir Poutine. Un difficile jeu d’équilibriste. Le 15 mars dernier, il a ainsi dit sa vérité : “Nous devons rester en dehors de ce conflit, on n’a rien à gagner, tout à perdre“. Pas question de se laisser entraîner dans le conflit. La Hongrie n’enverra pas d’armes à l’Ukraine, ne tolérera pas de transit d’armement par son territoire et restera en dehors de la guerre, même si elle a voté avec les Européens les sanctions contre la Russie. Une attitude critiquée vertement par le président ukrainien Zelensky.
Pour le reste, le message du Fidesz s’est résumé à une campagne de dénigrement contre l’opposition, symbolisée par ces affiches géantes qui représentent Peter Marki-Zay en vampire manipulé par l’ancien Premier ministre socialiste Ferenc Gyurcsany, devenu l’épouvantail d’Orban.
Face à cela, l’opposition n’a pas développé un programme plus élaboré, se bornant à un dégagisme envers Orban. Les thèmes initiaux de lutte contre la corruption, l’inflation, la dévaluation de la monnaie nationale, le forint qui a plongé depuis quelques semaines, n’ont guère été exploités.
Viktor Orban entamera donc un 4ème mandat d’affilée (le 5ème en tout), et quatre ans de plus, cela veut dire qu’il pourra aller plus loin dans ses réformes dans le contrôle de tous les médias et limitations des libertés publiques.
Autant de mesures vues comme une subversion des valeurs démocratiques par ses adversaires mais aussi par les Européens, car il est en conflit à ce sujet avec la Commission et y résiste d’ailleurs grâce à l’alliance forgée avec la Pologne également sur la sellette sur ce point. On peut donc imaginer que le groupe de Visegrad (la coopération politique entre Hongrie, Pologne, république Tchèque et Slovaquie) restera un moteur puissant du conservatisme en Europe.
Un autre élément interpelle dans le discours de victoire de Viktor Orban : il considère désormais le président ukrainien Volodymir Zelensky comme un adversaire, une façon de réaffirmer sa proximité avec Moscou. : “Cette victoire restera aussi dans nos mémoires pour le reste de nos vies, peut-être, parce que nous avons dû combattre la plus grande force écrasante : la gauche chez nous, la gauche internationale tout autour, les bureaucrates bruxellois, l’empire Soros avec tout son argent, le les grands médias internationaux, et finalement même le président ukrainien. “
Pendant ce temps-là, dans l’opposition, l’heure est déjà aux règlements de comptes, car Peter Marki-Zay, battu dans son fief de Hodmezövasarhely, est désavoué par ses partenaires, la Coalition démocratique DK, l’ancien parti socialiste, qui sera le plus grand parti d’opposition au Parlement.
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