Chronique-Le 8 décembre, l'agence Fitch dégradait la note de la dette souveraine grecque, donnant le coup d'envoi d'une crise de financement qui faillit emporter la zone euro. Quelles leçons en avons-nous tirées ? La plus importante à retenir est qu'il faut respecter les règles de la zone euro à la lettre.
Par Jean-Marc Daniel (professeur émérite à l'ESCP Business School, chroniqueur aux « Echos »)
Le 8 décembre 2009, il y a dix ans, l'agence de notation Fitch annonce sa décision de ramener la note de la dette publique grecque d'A – à BBB + avec une perspective négative. L'actualité mondiale et européenne de l'époque est dominée par la conférence de Copenhague sur le climat – la COP15 – qui a débuté la veille. A Athènes, le gouvernement du socialiste Georges Papandréou est mobilisé par des problèmes de maintien de l'ordre, si bien qu'il ne remarque qu'incidemment la décision de Fitch. Son insouciance relative tient en partie à ce que la Grèce a déjà été notée BBB par Fitch. A ceci près que c'était à une époque où le pays ne faisait pas partie de la zone euro. Qui plus est, les agences de notation, qui sont déconsidérées par les notes mirobolantes qu'elles ont attribuées jusqu'en 2008 à des établissements financiers que la crise de 2009 a emportés, cherchent à refaire leur crédibilité. Pour y parvenir, elles profitent de leur analyse de l'endettement des Etats et donnent à celle-là une publicité considérable.
Ce 8 décembre 2009 marque de ce fait le début de la crise de financement de l'Etat gre c dont on a pu craindre qu'elle n'emporte la zone euro. De cette crise, qui fut abondamment commentée, nous pouvons tirer trois leçons.
La première est la nécessité de revenir en matière de politique économique aux enseignements de Tinbergen et de Mundell. Pour ces économistes qui ont reçu le prix Nobel respectivement en 1969 et 1999, chaque problème doit être traité par un outil spécifique de la politique économique. Concernant la Grèce, le problème mis en lumière par les agences de notation était et demeure le surendettement de l'Etat. La solution réside dans le retour à l'équilibre des finances publiques par baisse des dépenses. Certains ont toutefois proposé pour le résoudre un autre outil. Il aurait fallu à les en croire que la Grèce quitte la zone euro (et donc, en pratique, l'Union européenne) pour dévaluer sa monnaie. Or la dévaluation a pour but de renforcer la compétitivité d'un pays, pas de consolider ses finances publiques.
Les dirigeants grecs ont eu raison de ne pas écouter les sirènes dévaluatrices.
Au mieux, une dévaluation aurait permis une amélioration du solde extérieur grâce à un surcroît d'exportations. Mais cette amélioration n'aurait pas automatiquement accru les recettes publiques, les exportateurs grecs ayant montré leur capacité à échapper à l'impôt. Au pire, le résultat aurait été de faire de la Grèce un Venezuela européen, miné par l'inflation, la pénurie et une exaltation vengeresse contre l'Europe.
Dès lors que la dévaluation n'est pas le bon outil pour résoudre les problèmes budgétaires, il convient de clarifier le rôle de chacune des institutions ayant été impliquées dans ce dossier. Cela conduit au constat que le FMI n'avait rien à y faire. Comme l'affirmait au début 2010 le président de la Banque centrale européenne, Jean Claude Trichet, la venue du FMI a été une double erreur . D'abord parce que la vocation de cette institution est de régler les problèmes de déficit extérieur, alors que la Grèce affronte une crise de finances publiques ; ensuite parce que le problème grec est un problème européen et doit être réglé au sein des instances européennes.
La deuxième leçon s'appuie sur cette idée que l'Europe doit être capable de surmonter par elle-même ses difficultés. C'est d'ailleurs ce qu'elle a fait, dans la douleur certes, mais de façon relativement efficace. C'est ainsi qu'elle a créé un fonds de financement des Etats en difficulté au travers de la mise en place du MES (Mécanisme européen de stabilité) doté de 700 milliards d'euros. En outre, les pays européens ont adopté le TSCG (Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance), qui prolonge le Pacte de stabilité et de croissance. Ce traité qui accepte le principe d'un déficit budgétaire pourvu que celui-ci soit conjoncturel, c'est-à-dire pourvu qu'il réponde à la dégradation cyclique de l'économie, impose en revanche aux signataires d'équilibrer leur budget sur le long terme. Selon le TSCG, ce que les économistes appellent le déficit structurel doit être nul. Ce traité fournit aux membres de la zone euro un cadre de gestion de leurs finances publiques qui, s'il est parfaitement respecté, écarte toute perspective de nouvelle crise et toute menace d'origine budgétaire sur la pérennité de l'euro.
La troisième leçon porte sur la nécessité de respecter les règles de la zone à la lettre. En décembre 2009, dégrader la Grèce est d'autant plus évident qu'il suffit pour le notateur de lire les discours de Georges Papandréou. Ayant accédé au pouvoir en octobre 2009, celui-ci déclare en novembre que le déficit public grec est de 13 % du PIB, soit un niveau deux fois plus élevé que celui annoncé par le gouvernement précédent et, par ailleurs, largement supérieur au plafond de 3 % prévu par le Pacte de stabilité et de croissance. Bien que Papandréou se soit engagé après la dégradation de la note grecque à ramener le déficit à 9 % en 2010, la perte de crédibilité des dirigeants grecs est telle que les investisseurs se dérobent. En juillet 2007, les taux à 10 ans sont à 4,5 % en Allemagne et 4,7 % en Grèce. Début 2010, ces taux sont respectivement à 3,2 % et 5 %.
Pour comprendre la crise grecque
Grèce : une cure d'austérité au coût économique et social élevé
De rebondissements en plans de redressement, les taux sur la dette grecque culminent en moyenne à 22,5 % en 2012, le PIB grec se contracte de 25 %, et le parti socialiste de Papandréou (le Pasok) disparaît du paysage politique. Aujourd'hui la Grèce est revenue sur les marchés. Et elle emprunte à 1,5 %, un taux inférieur à celui des Etats-Unis. Pour éviter que la zone euro ne connaisse de nouveau des années aussi dramatiques que les dix dernières, il convient que ses membres tirent toutes les conséquences des trois leçons précédentes. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'en France, sur le plan budgétaire, c'est loin d'être le cas…
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