Des personnes font la queue devant un bureau de change à Genève, le 15 janvier 2015
afp.com/Fabrice Coffrini
Dans un communiqué laconique publié jeudi matin, la Banque nationale suisse (BNS), en charge de la politique monétaire du pays, a annoncé que le taux plancher de conversion du franc suisse, fixé il y a 3 ans à 1,20 CHF pour 1 euro, était abandonné et, qu’en outre, les taux négatifs appliqués aux gros dépôts en francs suisses pour décourager les spéculateurs étaient alourdis.
Cette décision a pris de court les marchés financiers, surprenant fortement les investisseurs dans la mesure où la BNS avait encore réaffirmé ces derniers jours qu’elle n’abandonnerait pas le taux plancher.
La directrice générale du FMI Christine Lagarde elle-même a fait part jeudi soir de sa “surprise“, ajoutant qu’elle “réservait son jugement” sur la pertinence de cette mesure.
C’était un peu une surprise“, a déclaré la patronne du Fonds monétaire international dans un entretien à la chaîne américaine CNBC, appelant à plus de “coopération” et de “communication” entre les banques centrales.
Je réserve mon jugement sur la pertinence de cette décision parce que nous n’en avons pas discuté” avec le directeur général de la Banque nationale suisse (BNS) Thomas Jordan, a indiqué Mme Lagarde, affirmant ne pas avoir été informée au préalable par les autorités suisses.
J’espère que (cette décision) a été discutée avec d’autres collègues de banques centrales mais je pense pas que cela ait été le cas“, a-t-elle également ajouté.
Aussitôt après l’annonce de la BNS, le franc suisse, désormais en roue libre, est parti en flèche et s’est apprécié de près de 30% par rapport à l’euro ou au dollar.
A Londres vers 17H00 GMT, le franc suisse s’échangeait à 1,0425 franc suisse pour un euro et à 0,8982 franc suisse pour un dollar. La monnaie helvétique a même atteint vers 09H50 GMT 0,7406 franc suisse face au billet vert, son niveau le plus élévé depuis août 2011.
– Investisseurs “choqués” –
La Bourse suisse a aussitôt accusé le coup et fait un énorme plongeon. Beaucoup d’entreprises suisses, cotées en Bourse, sont fortement exportatrices et la décision de la BNS les met en difficulté pour écouler leurs produits à l’étranger.
A la clôture, l’indice SMI de la Bourse suisse qui regroupe ses 20 valeurs vedettes chutait de 8,67% à 8.400,61 points, après avoir perdu jusqu’à plus de 12% en séance.
Les plus fortes baisses sont affichées par les valeurs du luxe, telles que Swatch (Breguet, Longines, Tissot) ou Richemont (Cartier, Van Cleef….), dont les produits s’arrachent à l’étranger.
Ces sociétés ont vu leur action reculer respectivement de 16,35% à 382,30 francs suisses et 15,50% à 74,95 francs suisses. En effet, du fait de la hausse du franc suisse, leurs produits sont devenus plus chers de 20 à 30% pour les étrangers, qui risquent de s’en détourner.
La Banque Nationale Suisse a choqué les investisseurs“, a relevé Connor Campbell, analyste chez Spreadex, dans une note, relevant que la réaction immédiate avait été “explosive“.
Le marché ne l’avait clairement pas vu venir“, a commenté pour sa part Andreas Ruhlmann, analyste chez IG Bank, évoquant un changement “drastique” de politique monétaire.
Le Suisse moyen en revanche s’est réjoui de cette mesure. Comme cette quadragénaire qui exhibe fièrement son reçu bancaire, montrant qu’elle a reçu plus de 300 euros en échange de 300 francs suisses quand elle s’est précipitée dans sa banque à Genève pour changer des francs pour des euros.
J’ai gagné 60 francs suisses en une seconde“, a-t-elle déclaré à l’AFP. Pour obtenir ces mêmes 300 euros, elle aurait dû débourser la veille 360 francs suisses.
D’autres sont allés faire la queue devant les bureaux de change, à Genève et dans les autres villes suisses, pour échanger leurs francs contre des euros.
– Vent de panique en Pologne –
La démarche s’explique par le fait que de nombreux Suisses vont faire leurs courses chaque semaine dans les hypermarchés français et qu’ils économisent ainsi plus de 20% sur leurs dépenses outre-frontières hebdomadaires.
Les dizaines de milliers de frontaliers français, italiens ou allemands qui traversent chaque jour la frontière pour travailler en Suisse, sont les grands gagnants indirects de l’opération. En un instant, leur revenu mensuel a progressé de 30%. “Pourvu que ce taux de change tienne jusqu’à la fin du mois, quand je serai payée“, a déclaré à l’AFP une Française frontalière travaillant à Genève.
La mesure a eu aussi des répercussions directes à l’étranger, notamment dans les pays de l’est, où de nombreux particuliers ont contracté un prêt immobilier en francs suisses pour financer l’achat de leur maison ou de leur appartement au début des années 2000, à un moment où cela était très avantageux.
Ainsi, un vent de panique a soufflé en Pologne où quelque 700.000 ménages détiennent des crédits immobiliers libellés en francs suisses, avec un zloty décrochant de près de 20% face au CHF.
Que faire, je ne peux que subir“, admet, philosophe, Roman Kwiatkowski, un psychothérapeute de Cracovie. “J’ai pris ce crédit parce qu’il était bien plus intéressant que les crédits en zlotys. Je savais qu’il y avait un risque. Je ne saurais jamais calculer si finalement j’y ai perdu ou gagné. Mon remboursement mensuel passera de 1000 zlotys (230 euros) à 1200 zlotys (280 euros). Par rapport à mes revenus, ce n’est pas une catastrophe“.
L’engouement pour les emprunts en francs suisses, contractés la plupart du temps pour l’achat d’un logement, a été particulièrement fort en Pologne ainsi qu’en Hongrie et en Croatie au début des années 2000.
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