Langue sauce piquante
Le blog des correcteurs du Monde.fr
Que le Canard enchaîné n’en prenne pas ombrage : nous qui l’avons parfois égratigné sur ce blog (ban sur le bec, canard à l’orange, le Canard « sicque » Bockel), allons maintenant utiliser outrageusement son immense vocabulaire et son savoir historique.
Dans un papier rigolo, en « une » du numéro du 17 août, sur les pitreries de Chirac à Saint-Tropez, nous apprenons que sa femme l’a fait « exfiltrer » par les gendarmes d’un café où il prenait ses aises, « sous le regard de la foule ébaubie ». Foi de lecteur, c’est bien la première fois que nous trouvons ce dernier mot imprimé. Il existe certes « ébaudie », participe passé du verbe s’ébaudir (se divertir), plus fréquent, mais là il s’agit bien d’ébaubi, participe passé du vieux verbe français abaubir (rendre bègue). Etre ébaubi, c’est rester la bouche ouverte sous l’effet de la surprise, en d’autres termes « bouche bée ».
Egalement sur la « une », dans le papier intitulé « Toujours Moins », raillant la modération des candidats du PS à la présidentielle, qui se gardent bien de faire la moindre promesse sur les salaires, la retraite ou l’emploi, la conclusion : « Sarko a beau dire, il reste, lui, dans le toujours plus quand les socialistes redécouvrent la dialectique : mieux vaut moins mais mieux. »
Cette chute assez pertinente l’est encore plus si l’on considère qu’elle renvoie à une phrase historique ; savez-vous laquelle ?
Lénine, si j’en crois Internet !
http://www.marxists.org/francais/lenin/works/1923/03/vil19230304.htm
Lénine, 4 mars 1923. Titre d’un article paru dans la Pravda à l’occasion du 12e congrès du Parti communiste.
Mieux vaudrait poser des devinettes moins facile à gougueler : Влади́мир Ильи́ч Улья́нов ?
Il faut adopter cette règle : mieux vaut moins, mais mieux. Il faut adopter cette règle : mieux vaut dans deux ans ou même dans trois ans, que précipiter les choses sans aucun espoir de former un bon matériel humain.
Lenine, « Mieux vaut moins mais mieux », Pravda » n° 49, 4 mars 1923. Un article écrit à l’occasion du XII° congrès du Parti Communiste de Russie.
L’intégralité de l’article ici
correcteurs : « Foi de lecteur, c’est bien la première fois que nous trouvons ce dernier mot imprimé. »
Euh… je suis tout ébaubi de votre affirmation. Une petite recherche montre qu’on le trouve sous la plume de Molière, de Madame de Sévigné, de Voltaire, de George Sand, de Huysmans, etc. Il a donc été souvent imprimé, même si les dictionnaires le tiennent pour familier, et donc sans doute plus fréquent dans la langue orale que dans la langue écrite.
Molière le fait dire à Pierrot, dans Dom Juan :
« Que d’histoires et d’angigorniaux boutont ces messieus-là les courtisans ! Je me pardrais là dedans, pour moi, et j’estais tout ébobi de voir ça. Quien, Charlotte, ils avont des cheveux qui ne tenont point à leu teste ; et ils boutont ça après tout, comme un gros bonnet de filace. »
Il me semble qu’il a souvent été employé avec une nuance humoristique, comme dans le Canard.
Peut-être vouliez-vous dire qu’il est devenu rare aujourd’hui, surtout dans la presse !
Ébaubi, oui je le suis, par la famille formée à partir du latin balbus*, bègue, du verbe balbo, bégayer, à partir du radical bal exprimant un son inarticulé, comme « b.a.-ba » et « blabla » en français.
La voici au grand complet : abauber, abaubir, abaudir, balbutier, baube, bauberie, baubeté, baubeter, baubie, baubieur, bauboiement, bauboyer, ébaubi et le très joli ébaubeli.
Las, tous (sauf deux) sont surlignés de rouge par les correcteurs (automatiques).
(sources : le Dictionnaire du Moyen Français et le Wiktionnaire citant le Gaffiot)
Quant à rester « bec bé », tant que ce n’est pas pour bafouiller à Beigbeder, le prince des kolkhozes…
.
* d’où le surnom latinisant du moine Notker d’hier.
Euh… Oui, « ébaubi », je l’emploie moi-même de temps en temps… Et je l’ai vu des dizaines de fois depuis que je lis des livres !
les bras balant, chère Venus… ça vous laisse bouche bée
toute quoite et interdite, n’est-ce pas, au souvenir de vos bras…
***
mais ou sont les résultats des quizz des dernière semaines ?? (pas très fair play, pas très noble-jeu(tentative de traduction n° 2118, d ce terme anglais) construit sur le beau-jeu…
Tom : ne pensez-vous pas que c’est plutôt « ébaudi » que vous avez lu ?
Ph H : oui, il aurait peut-être fallu ajouter : « dans la presse ».
Biscator : et « barbare », qui a d’abord un sens linguistique (est barbare celui qui baragouine le grec)
Un petit poème de Paul Bergèse dans « Mots d’arbres », chez Gros Textes :
Sur un ton badin,
à l’abri d’un baldaquin,
un babouin babille
au boa béat
bêtement ballant :
« Baobab a bu
dix beaux bidons d’eau.
Son écorce craque,
son bedon déborde.
Graine d’ellébore,
j’en suis ébaubi ! »
Ébahi, le boa
bailla.
J’ai le livre sous les yeux, il est bien imprimé « ébaubi » ; c’est un des livres préférés de ma petite-fille, idéal pour apprendre sans peine (entre autres) de jolis mots aux petits enfants !
en créole, rester bec bé c’est être béké
alors qu’en zoreille, c’est avoir le gosier sec, le contraire en somme de celui qui est le bec dans l’eau
Ébaubi dans la presse :
« Incollable sur le sujet, Dercourt s’y est intéressé il y a huit ans, au détour d’un article sur ce monde où, au-delà des reconstitutions d’épiques batailles à l’intention d’un public toujours ébaubi, rôdent parfois la schizophrénie et la paranoïa. »
http://www.lexpress.fr/culture/cinema/demain-des-l-aube-dans-le-monde-des-rolistes_778562.html
« Cent dix bougies. Plus d’un siècle donc que le monde des inventeurs se mobilise pour le concours Lépine. Notre préfet en serait tout ébaubi. »
http://www.republicain-lorrain.fr/actualite/2011/04/30/bouillon-d-idees
« Tout le monde attend Godot, et Godot ne vient pas, même lorsque plusieurs miracles s’accomplissent sous les yeux ébaubis des pèlerins. »
http://next.liberation.fr/cinema/01012351173-lourdes-ca-fout-la-foi
J’arrête là les résultats d’une toute petite recherche. Nos chers correcteurs auraient-ils des lectures sélectives ? 😉
Il me semble qu’ébaubi n’est pas un mot si rare qu’il ne puisse être employé régulièrement dans la presse et ailleurs.
« Ébaubi » a été remis au goût du jour il y a plusieurs années déjà par le duo comique « Shirley et Dino ». Je pense que c’est de là que le connaissaient les journaleux du Canard…
Ebaubi est à l’euphonie ce que Josquin des Prés est à la polyphonie et Ann O’Nym à la cacophonie (cf : « Où, ô Hugo, juchera-t-on ton nom ? »)
Alors que Robert de Niro joue à la pétanque, le public, impatient, s’enquiert : « Alors, tu la tires ou tu la pointes ? ».
Et Bobby la pointe.
P.S.: je voulais être le premier à la faire.
alors qu’un bobby le tire (en parlant de l’acte déclencheur des émeutes de Tottenham).
Leveto, on se la fait en combien de manches ?
réponses : une seule, le Channel.
Leveto : Bobby la pointe
Veuillez bien nous la refaire sans bisser la touche bée.
[c’était juste une remarque pour patienter le temps que le Phasme revienne de sa pêche aux moules…]Je m’étonne que vous découvriez ce mot, qui n’a rien d’extraordinaire.
Il n’est pas d’usage courant, on en conviendra, mais le lire ou l’entendre ne justifie pas d’en faire un article à mes yeux.
Ah ! Gustaf!
Je me suis posé la question de l’orthographe de Bobby . Si le prénom de notre chanteur ne prend effectivement qu’un seul -b-, le diminutif anglais, qui a donné son surnom au policeman, en prend bien deux. Et, comme il s’agissait de Robert De Niro , acteur américain surnommé dans son adolescence Bobby milk
Oui, merci chers correcteurs manuels (les seuls, les vrais), je me doutais bien en écrivant « au grand complet » que cela ne devait pas être le cas. Ce remords s’est confirmé quand j’ai relu la définition de balbo pour remarquer son infinitif balbare, pourtant assez explicite.
Autre remords tardif, n’avoir pas choisi cette illustration, plus à propos dans une note sur le bec béé des plus canardesques.

leveto : bravo pour Bob(b)y ! Pas mieux.

Tom : j’ai mis un marque-page sur votre très plaisant blogue.
.
avec ce beau « B » (prononcer « Bee » à la de Niro), vous marquez un point Leveto.
La Manche se joue toujours dans le Channel (disons Channel four, for what ? For Chanel, Cacharel, Dior and so on)
Chaque semaine, dans « le coin des petites perles » ou sur « L’album de la comtesse », par exemple, le Canard se moque de ses propres bourdes. Ce que Le Monde, hélas, ne fait pas.
Pas mal le blog de Tom, mais un peu vulgaire tout de même dans le vocabulaire. En évitant les mots grossiers cela fonctionne tout aussi bien. Prenez exemple sur ces fabuleux correcteurs 🙂
@ Arnaud
De la part d’un journal satirique, c’est bien la moindre des choses . Par ailleurs, je me demande s’il est pertinent de comparer un hebdo à un quotidien. 🙄
Je préfère rester coi, car rester bouche bée c’est plus compliqué, on peut se tromper ; car outre ébaubir, il y a les verbes bailler, bayer, bâiller, béer, et de plus à l’adjectif béat on trouve : «Rem. Un ex. insolite où béat (d’admiration) fonctionne p. plaisant. étymol., comme synon. de bouche bée*, cf. béant* ex. 10.»
Si Dudu était là, il nous dirait que ça veut dire quelque chose.
Non non, correcteurs, j’ai bien vu des dizaines (des centaines ?) de fois « ébaubi » avec un « b », mais depuis tout le monde y est allé de son commentaire. J’ai eu peur d’être tombé dans une faille spatiotemporelle, un instant… Ce mot est assez « courant ».
Fred, si vous trouvez mon blog vulgaire à cause de quelques termes un peu imagés, je n’y peux rien… En plus je me suis excusé très récemment de cet enchaînement. Je ne « prendrai pas exemple sur ces fabuleux correcteurs » pour autant (ça voulait dire quoi ? qu’ils n’utilisent jamais de gros mots ?).
@Ernest: oui, j’estime que c’est pertinent de comparer un hebdo à un quotidien en ce qui concerne les bourdes. Le Monde devrait en être exempté? Sous quel pretexte?
@correcteurs
Vous définissez : « barbare », qui a d’abord un sens linguistique (est barbare celui qui baragouine le grec)
Pas du tout. Pour un Grec (nous parlons de la Grèce antique), est barbare quiconque ne parle pas le grec et dont le discours sonne, à une oreille hellène, comme du baragouin, c’est-à-dire tout sauf du grec. Pas question donc de mal parler le grec, mais bien de ne pas le parler.
Et je ne voudrais rien dire, mais cette attitude se voit encore de nos jours, selon mon expérience principalement chez des américains, des anglais et des français. Pour certains, la possibilité qu’on ignore leur langue est simplement impossible à envisager. Certains même ne comprennent pas qu’une autre monnaie que le dollar puisse avoir cours dans le monde et s’offusquent qu’on refuse leurs dollars en Europe.
Je serais assez d’accord avec Tom sur la fréquence de ébaubi…
et il me semble que les mots grossiers ne sont pas forcément vulgaires.
► correcteurs : ne pensez-vous pas que c’est plutôt « ébaudi » que vous avez lu ?
Vous m’en laissez bouche bée.
Je ne sais pas ce qu’il en est de Tom (enfin, si, maintenant je sais et cela conforte ce qui va suivre, mais c’est une clause de style), mais pour ma part je n’ai aucun souvenir d’avoir jamais rencontré le mot « ébaudi »… mais bien plus qu’un souvenir concernant « ébaubi » : une fréquentation régulière, qui ne peut même pas relever du souvenir puisqu’il ne s’agit pas d’un évènement ponctuel mais d’une habitude banale.
Je ne sais pas quels imprimés vous lisez, mais le mot « ébaubi » est loin d’être rare, dans les livres comme dans la presse. En revanche, « ébaudi » est fort peu usité.
D’ailleurs, même si les résultats de Gougueule sont toujours à prendre avec des pincettes, les statistiques donnent un ordre de grandeur significatif : un peu moins de 7.000 résultats pour « ébaudi », contre 46.000 pour « ébaubi ». Plus encore : si vous cherchez ébaudi ou ébaudir, Gougueule vous suggère d’orthographier plutôt… ébaubi ou ébaubir.
J’en suis sur le cul !
Pour compléter mon message précédent (sur le fait que je n’ai aucun souvenir d’avoir jamais rencontré le mot « ébaudi ») :
En revanche, j’ai rencontré moult fois le verbe s’esbaudir (sans doute même plus souvent que le participe passé ébaubi qui constitue l’objet de cette note). Mais :
— sous sa forme active (« il s’esbaudirent »…), et non pas en tant que participe passé (« esbaudi »),
— avec un « s » entre le « e » et le « b »,
— sous la forme réflexive.
Bref, sous une forme triplement distincte de l’ébaudi bien rare.
Finalement, je dirais que le verbe « s’esbaudir » est sans doute effectivement plus fréquent que le participe passé « ébaubi »… mais ce dernier n’est pas rare et il est bel et bien plus fréquent que le rarissime participe passé « ébaudi ».
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