La livre turque enchaîne depuis plusieurs jours des baisses records, reculant de 30% sur un an face à l’euro et de 38% face au dollar. Une perte de valeur suivie de près par les donneurs d’ordres du textile-habillement européen, qui ont fait du pays leur partenaire de choix pour le sourcing de proximité. Et tandis que la présidence turque évoque un complot étranger, la filière locale voit cette crise s’ajouter à celle des prix des matières et des transports. Mais, dans un pays habitué aux caprices de sa monnaie, l’impact pourrait au final rester limité.


La Turquie n’est pas un fournisseur comme un autre pour le textile-habillement européen. Le pays était au premier semestre le troisième fournisseur de l’UE en habillement, derrière la Chine et le Bangladesh, avec 4,2 milliards d’euros de marchandises. Un chiffre en progression de 23% sur un an. La Turquie est en outre le deuxième fournisseur de l’Union en ce qui concerne le textile, avec pour 2,6 milliards d’euros de matériaux, en hausse de 38%.

“Au cours des huit premiers mois de 2021, les exportations turques d’habillement vers l’UE ont progressé de 13,6% tandis que celles de l’ensemble des fournisseurs de l’Europe chutaient de 5,4 %”, souligne Jean-François Limantour, président du Cercle euro-méditerranéen des dirigeants textile-habillement (Cedith) et de l’association Evalliance de coopération textile entre UE, Asie du Sud-Est et Méditerranée. “Grâce à cette très belle performance, la Turquie a accru significativement sa part dans les importations totales d’habillement de l’UE, passant de 11,4% à fin août 2020 à 13,2% à fin août 2021. Mettre ces performances uniquement sur le compte de la dépréciation de la Livre turque face à l’Euro et au Dollar serait simplificateur”, met en garde le spécialiste.
Contrairement à d’autres pays de production de la zone Euromed, comme le Maroc ou la Tunisie, la Turquie profite, aux portes de l’Union, d’une détaxe à laquelle n’échappent que les productions agricoles. Une union douanière et une proximité géographique qui ont permis à l’industrie textile locale de s’imposer comme une solution de choix notamment pour les commandes à moyen terme (passées dans les six mois précédent le début de la saison). Une forme d’approvisionnement qui a récemment pris de l’importance dans les stratégies sourcing. En France, les derniers chiffres de l’IFM montrent par exemple que le moyen terme l’a, en 2021,  emporté (42% des commandes) sur le long terme (40%) et le court terme (18%). La Turquie joue d’ailleurs également la carte du court terme, dont 33% des donneurs d’ordres en France veulent faire un usage croissant l’an prochain.

Une crise qui s’ajoute à d’autres problèmes

La crise monétaire serait cependant amenée à avoir un impact limité sur les exportations textiles turques, du fait que celles-ci seraient massivement réalisées en euros ou en dollars. Se pose néanmoins la question de la santé des fabricants locaux. Ceux-ci voient leurs finances confrontées à une inflation ayant atteint les 20% en un an. Écueil qui vient s’ajouter à la nécessité de se fournir en matériaux en pleine flambée des prix alors que les coûts des transports explosent également. Situation qui creuse les marges: les donneurs d’ordres continuant de leur côté la pression sur les prix.  

“Il y a une forte demande venant de l’UE, mais nous n’avons pas la possibilité d’augmenter nos prix, car les marques ne veulent pas pour l’instant augmenter leurs propres prix”, nous expliquait en septembre Fathirh Maranki, responsable Industrie de l’EIB (Association des exportateurs égéens). “Or nous ne pouvons pas indéfiniment prendre sur nous la hausse des coûts, car nous avons déjà des marges très limitées. Notre chance est que nous sommes moins dépendants que d’autres au coton américain, car nous nous fournissons aussi en Grèce et au Brésil. Nous sommes aujourd’hui dans l’attente de la nouvelle récolte de coton. Car il y a par ailleurs pénurie de coton organique, ce qui rend difficile de fournir tous les fabricants face aux demandes de produits RSE sur le marché européen”.

La filière a en effet récemment entrepris de faire évoluer les questions de durabilité. Début août, l’association turque des exportateurs de textiles et matériaux bruts (Ithib) a annoncé la mise en place d’un programme de durabilité destiné à réduire l’impact environnemental des productions locales. L’objectif étant de s’aligner sur les exigences de l’European Green Deal, et des donneurs d’ordres occidentaux dans leur ensemble. Un choix stratégique pour une filière générant 61.910 emplois via 2.100 entreprises.

La crise, avantage compétitif supplémentaire ?

Dans ce contexte, pour Jean-François Limantour, la crise monétaire vient en réalité apporter un nouvel avantage compétitif au marché turc. “Cette lourde dépréciation de la Livre qui suit d’autres dépréciations subies au cours des années précédentes s’apparente à une dévaluation compétitive qui dope les exportations textiles et d’habillement vers l’UE. A titre d’exemple, les confectionneurs turcs d’habillement ont pu baisser en moyenne de 8% leurs prix de vente sur le marché européen au cours des huit premiers mois de cette année et ainsi accroître significativement leurs exportations et leur part de marché en Europe. Ceci au détriment des autres pays fournisseurs de l’Union européenne, à commencer par ceux qui, comme la Turquie, joue la carte du circuit court et de la proximité: la Tunisie et le Maroc”.


Une évolution de la filière qui entend également la préparer à un futur accord tarifaire avec les États-Unis. Les deux pays viennent en effet de trouver un consensus autour d’une révision du Digital Services Tax. La première étape vers une diminution des taxes additionnelles pour l’heure imposées aux exportations turques vers les États-Unis. Et qui alignerait vis-à-vis de Washington la situation de la Turquie sur celle du Royaume Uni, de la France, de l’Italie, et l’Allemagne ou de l’Autriche. Une fluidification des relations commerciales qui s’effectue en réponse aux tensions croissantes entre Washington et Pékin.

Si l’impact de la crise monétaire devrait donc rester limitée, l’inquiétude n’en est pas moins réelle face à la perspective d’une énième phase de tension entre la Turquie et l’Europe. Lundi 22 novembre, le président Erdogan évoquait ouvertement un complot contre l’économie locale. Les analystes dénoncent eux la mainmise de l’Etat sur la Banque Centrale turque, qui a accepté une nouvelle fois sur ordre de la présidence de baisser de 16 % à 15% ses taux directeurs. Du côté de la population turque, les principales villes ont connu ces derniers jours des manifestations nocturnes contre la hausse du coût de la vie. 
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