Challenges Économie
Par Maxime Heuzé le 08.06.2022 à 12h04, mis à jour le 19.08.2022 à 12h32 Lecture 6 min.
La Turquie est en proie à une inflation galopante et une érosion de sa monnaie mais son président, Recep Tayyip Erdogan, n’a pas l’intention de freiner la montée des prix. Il assume une politique monétaire peu conventionnelle qui pourrait impacter les entreprises françaises et européennes.
Le chef de l’Etat turc ne considère pas l’inflation comme un problème. Une politique monétaire peu rationnelle qui pourrait impacter les entreprises françaises.
79,6% sur un an. C’est le taux hallucinant de l’inflation en Turquie en juillet. Un chiffre qui serait même “sous-estimé” d’après Deniz Ünal économiste et rédactrice en chef de la collection Panorama du Centre d’études prospectives et d’information (CEPII). Comme partout ailleurs, les prix ont fortement augmenté à cause de la reprise de l’économie post-Covid et de la guerre en Ukraine qui tend les prix du blé mais surtout du pétrole et du gaz russe dont la Turquie est un grand importateur. Dans le pays des sultans, tous les voyants sont au rouge: la livre turque est passée de 0,14 dollar en janvier 2021 à 0,06 dollar en mai 2022 -soit une chute de sa valeur de 23% sur cette période- les capitaux s’enfuient et la population s’enfonce dans la pauvreté à cause de l’inflation.
Face à des conditions économiques très compliquées, la Banque centrale de la République de Turquie (BCRT) devrait logiquement augmenter ses taux directeurs pour freiner l’inflation et la dépréciation de sa monnaie. Mais c’est l’inverse qui se produit depuis plus d’un an. En 2021: les taux directeurs sont passés de 19% à 14% et ce jeudi 18 août, la BCRT a encore diminué ses taux à 13%. Recep Tayyip Erdogan, le président turc avait affirmé le 6 juin lors d’une conférence de presse: “ce gouvernement n’augmentera pas les taux d’intérêt. Au contraire, nous allons continuer de les baisser”.
“En Turquie, c’est le président qui décide de la politique monétaire et il estime que baisser les taux améliore la compétitivité du pays”, explique Rémi Bourgeot, économiste et chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). Officiellement, le chef d’Etat justifie sa position par une croissance turque de 11% en 2021. Pour autant, l’économie du voisin de l’Europe n’est pas en bonne santé puisqu’elle devrait afficher un déficit commercial de 4% de son PIB en 2022 selon Goldman Sachs et même 8% selon Scope Rating. Les décisions du président semblent paradoxales puisqu'il a tenté de freiner l'érosion de la Livre turque à plusieurs reprises tout en laissant filer l'inflation "ce qui est catastrophique pour le pays", ajoute l'économiste de l'Iris. En réalité, la Turquie laisse son économie surchauffer pour éviter une crise économique. “C’est une économie qui repose sur le crédit. Les entreprises et les banques sont souvent endettées en dollars et les ménages font face à une bulle immobilière”, décrypte Rémi Bourgeot. En cas de remontée des taux, les faillites d’entreprises pourraient être nombreuses et provoquer une crise économique importante.
Face à cette politique monétaire dangereuse, les pays européens, économiquement proches de la Turquie -et notamment la France- pourraient être impactés.
Défaut de paiement:
La Turquie n’est endettée qu’à hauteur de 41,65% de son PIB en 2021 contre 112,9% pour la France mais elle souffre d’une prime de risque importante puisque son taux d’intérêt sur un an s’établit autour de 21% contre 0,2% pour la France d’après Investing. Ce taux remonte dangereusement pour flirter avec ses plus hauts alors qu’il n’était que de 8,5% en janvier 2020. "La Turquie peut rapidement se trouver face à une double crise de change et de balance courante pouvant la mener à un défaut de paiement”, affirme Deniz Ünal. Concrètement, la Livre turque, déjà bien endommagée pourrait s’effondrer et entraîner un arrêt brutal des exportations ce qui ruinerait le gouvernement qui ne pourrait plus rembourser ses créances en devises étrangères. En cas de défaut de paiement, “l’Europe pourrait être impactée car une grande partie des créanciers de la Turquie sont des banques européennes”, affirme l’économiste du CEPII.
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Conséquences sur les entreprises européennes:
“La Turquie est un pays très industrialisé avec beaucoup de sous-traitants de groupes européens”, rappelle Rémi Bourgeot. Dans notre économie mondialisée, la Turquie, à l’image de la Chine d’il y a quelques années, reçoit des matériaux pour fabriquer des biens qui seront ensuite envoyés dans les pays occidentaux ou en Chine.
L’industrie automobile représente d’ailleurs 15,2% des exports turcs selon le prestataire d’audit Pro QC. Mais les usines du pays sont aussi centrées sur la fabrication du textile, de l’électronique et l'électroménager, ou encore de la chimie. La chute de la valeur de la Livre turque tire les coûts de production et d’exportation du pays vers le bas. Une situation qui pourrait profiter aux entreprises européennes qui sous-traitent en Turquie si elle ne faisait pas face à d’importants problèmes logistiques. “Avec la dépréciation de la livre et l'inflation, les prix des intrants [des biens importés, NDLR] changent au jour le jour, et entraînent une imprévisibilité des coûts de production et des prix de vente pour les entreprises”, affirme Deniz Ünal. Face à des taux de change chaotiques qui font fluctuer les prix des matières premières importées, l’indice des prix à la production atteint 132% sur un an en mai, contre 37% pour la zone euro, d’après Investing.
Une production moins chère mais parfois en retard qui n'a, selon Yohann Petiot, le directeur général de l’Alliance du commerce, pas encore "spécialement impacté” l’industrie textile, qui sous-traite la fabrication d’une partie de ses vêtements en Turquie.
Exportations européennes vers la Turquie:
Face à l’importante perte de pouvoir d’achat des citoyens turcs, les exportations européennes vers le pays du président Erdogan devraient logiquement diminuer? Une réponse pas si évidente pour Deniz Ünal puisque “si le pays fait face à de fortes inégalités, les Turcs aisés échangent leurs livres contre les devises ou les consomment [contre des biens et des services, NDLR] avant qu’elles ne perdent trop de valeur”. A court terme donc, les exportations de produits européens ne devraient pas trop souffrir de la politique économique de notre voisin, mais exporter en Turquie devient cependant moins rentable pour nos entreprises à cause de la baisse de la Livre turque. Renault explique dans un communiqué sur ses résultats au premier trimestre 2022 que "le chiffre d’affaires de l’Automobile s’élève à 8,1 milliards d’euros, en repli de 1,0 %. Cette variation provient notamment des éléments suivants : Les effets de change, négatifs à hauteur de -0,9 point, sont dus principalement à la dévaluation de la Livre turque."
Turquie Inflation Banque centrale Politique
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