Alors que la Grèce a présenté jeudi à ses créanciers de nouvelles propositions de réforme en vue d'un accord, retour en dix questions sur les enjeux d'un éventuel "Grexit".
Par Catherine Chatignoux, Jean-Philippe Lacour, Anne Bauer, Pierrick Fay
La sortie de l’euro n’est pas prévue par les traités européens qui indiquent que le taux de change des monnaies qui partagent la monnaie unique est fixé « irrévocablement ». Dans ces conditions et vu que le gouvernement grec ne veut pas quitter l’euro, on voit mal comment la zone euro pourrait expulser l’un de ses membres contre sa volonté. Le divorce serait donc extrêmement violent et les recours juridiques nombreux pour la Grèce.
Cela dit, le « Grexi »t pourrait être dans les faits plus ou moins désordonné. Dans sa version la plus sauvage, la BCE fermerait d’un coup le dernier canal de liquidités qui la relie aux banques grecques, créant un écroulement instantané du système bancaire et de l’économie. Il est probable que les autorités monétaires européennes chercheraient à faciliter la transition en fournissant une aide humanitaire et en continuant à assurer à la Grèce des liquidités financières, le temps d’installer une nouvelle devise. On peut aussi envisager une parité fixe ou évoluant dans un segment ce qui permettrait de crédibiliser la nouvelle monnaie. Mais rien de tout cela ne sera envisageable si le gouvernement veut rester légalement membre de la zone euro. Il y aurait alors deux monnaies en cours dans le pays.
C. C.
Sans accord politique avec la Grèce sur un programme de réformes d’ici à dimanche, la BCE cessera de soutenir les banques grecques et le chaos menace, a averti mercredi le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer. Concrètement, le robinet à euros qui les maintient à flots leur serait fermé : le système d’aide d’urgence « ELA », qui leur est octroyé par la Banque centrale de Grèce à hauteur de 89 milliards d’euros contre des garanties adéquates et sous contrôle de la BCE, prendrait fin.
Pour assurer la survie de ses banques, la Grèce pourrait alors les financer en émettant une monnaie parallèle à l’euro. Celle-ci permettrait de les recapitaliser – préalable nécessaire pour qu’elles ouvrent à nouveau leurs portes. Cet exercice serait mené en parallèle d’une nationalisation des quatre principales banques grecques (Alpha Bank, Banque du Pirée, Banque nationale de Grèce et Eurobank). Pour mémoire, ces dernières avaient été placées sous le contrôle du Fonds hellénique de stabilité financière (FHSF) et de la troïka en 2012.
J-Ph. L. et S. W.
Afin de garantir les flux de paiements domestiques, l’Etat grec, à court de liquidités, pourrait envisager d’introduire sans délai une monnaie parallèle à l’euro. Cette monnaie supplétive, désignée aussi « IOU » (« I owe you »), servirait à substituer un stock d’euros qui va s’amenuisant par des reconnaissances de dette. Concrètement, un particulier se verrait promettre le versement par l’Etat d’une somme de monnaie à une échéance donnée, cette reconnaissance de dette étant porteuse d’intérêt. Un fonctionnaire recevrait son traitement sous forme d’IOU, et pourrait s’en servir pour payer par exemple ses impôts, l’Etat étant bien obligé d’accepter ce moyen de paiement. Les IOUs pourraient aussi être utilisés pour régler des dépenses dans la vie courante, comme le plein d’essence. Mais sans doute avec une forte décote exigée du commerçant… Les « IOU » perdant rapidement de leur valeur, l’Etat devrait en émettre toujours plus. Pour s’en sortir, Athènes aurait à revenir à 100 % dans l’euro ou, plus probablement, à émettre une monnaie souveraine.
J-P.L.
Reverra-t-on bientôt les billets de 1000 drachmes, à l’effigie d’Apollon ? Sans doute pas, parce que les presses ont été détruites au moment de l’entrée de la Grèce dans la zone euro. Mais en cas de rupture avec Bruxelles, Athènes devra trouver une monnaie alternative à l’euro. Cela risque de prendre du temps, car il faudra dessiner les billets (et les pièces), les rendre infalsifiables et ensuite les imprimer.
« Cela peut prendre au moins trois mois, moins si les instituts d’émission européennes prêtent leur concours », selon Alain Pitous, associé chez Talence Gestion. En attendant, l’Etat émettra des certificats, des IOU (voir question 3) », utilisés par les entreprises pour payer les salaires ou par l’Etat pour verser les pensions des retraités et des fonctionnaires. Quand la nouvelle monnaie entrera en circulation, les Grecs pourront échanger ces certificats contre des billets tout neufs. On pourrait aussi avoir une situation où deux « monnaies » co-existeraient en Grèce : l’euro, qui resterait la monnaie de référence et les « IOU » ou la drachme avec lesquelles les salaires seraient payés et qui continueraient à se dévaloriser.
P. Fay.
Comment l’Etat grec va t-il pouvoir payer ses fonctionnaires et assurer le fonctionnement des services publics s’il n’a plus ni aide financière extérieure ni possibilité de financer on déficit budgétaire en émettant des obligations, dès lors que son système bancaire lui-même sera en faillite ?
A la fin de 2014, le pays avait récupéré non sans mal, à force de coupes dans les dépenses et de hausse des impôts, un excédent budgétaire primaire ( hors service de la dette) de l’ordre de 1,5 % du PIB. Ce qui signifiait que l’Etat était en mesure de fonctionner sans recours à l’emprunt. Mais depuis lors, l’instabilité politique puis le changement de gouvernement à Athènes a brisé le mouvement de reprise économique si bien que le pays devrait terminer l’année sur un déficit primaire qu’il faudra bien financer. La seule solution sera d’imprimer les fameux « IOU », sorte de reconnaissance de dettes qui permettront de monétiser le déficit.
Le choc à attendre d’un « Grexit » pour la population sera pire que ce qu’elle a enduré ces dernières années avec la mise en œuvre des mesures d’austérité imposées par les gouvernement successifs pour purger l’économie de ses excès passés. La récession pourrait être à deux chiffres pendant plusieurs années.
Déjà, près de 4 millions de citoyens, soit un Grec sur trois vivaient sous le seuil de pauvreté en 2013, obligés de se débrouiller avec un revenu inférieur à 4.068 euros par an. Le contrôle des capitaux commence à perturber gravement la vie économique du fait de la réduction des importations : les médicaments pour les hôpitaux, l’alimentation du bétail pour les agriculteurs, les produits de consommation dans les magasins. Même les journaux sont contraints de réduire leur pagination faute de papier disponible.
C.C.
Avant de pouvoir rétablir le moindre équilibre avec une nouvelle monnaie dévaluée, la Grèce, qui importe l’essentiel de ses biens de première nécessité (médicaments, énergie) et dont la balance commerciale est structurellement déficitaire, aurait besoin d’aide pour subvenir à ses besoins primaires. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a déclaré, mardi soir, avoir déjà envisagé des options, mais à Bruxelles, on ne veut pour l’heure rien préciser sur ce sujet de dernier ressort. Les fonds structurels pour la Grèce pourrait atteindre jusqu’à 35 milliards d’ici à 2020 et pourraient être une source budgétaire en cas d’urgence, sachant que la Commission peut aussi mobiliser des fonds d’urgence en cas de catastrophe. Si les choses tournent mal, les 28 pays de l’Union seront invités dimanche à faire un effort pour aider les citoyens grecs.
A. B.
La Grèce ne se résume pas à des chiffres sur sa dette et sa croissance, ce que les dirigeants européens savent bien. Comment l’Europe expliquerait-elle à ses partenaires internationaux qu’elle lâche la Grèce au moment où elle se bat pour l’Ukraine sur son flanc est ? Un paradoxe difficilement défendable, qui l’affaiblirait vis-à-vis de la Russie. Autre dossier crucial qui passe par la Grèce : l’immigration clandestine vers les pays européens. Le HCR vient de publier une analyse dans laquelle il montre que les migrants en Méditerranée sont de plus en plus nombreux à passer par la Grèce, plutôt que d’emprunter la route en Méditerranée centrale vers l’Italie. Plus que jamais, l’Europe a besoin de la Grèce pour gérer les demandes d’asile. Enfin, face à l’instabilité de la rive sud de la Méditerranée, la Grèce est un point central dans le dispositif de l’Otan, mais aussi des Américains, qui disposent encore d’une base pour leur flotte à Souda en Crète, non loin des côtes syriennes. En ajoutant l’élément de stabilité que représente Athènes face à ses voisins des Balkans, la nécessité de son maintien dans l’Union européenne ne fait aucun doute.
A. B.
Si la Grèce est poussée en dehors de l’euro, il n’y a aucune chance qu’elle rembourse sa dette à ses créanciers qui sont à 80 % publics : à eux seuls, les Etats membres de la zone euro et le Fonds européen de stabilité ( FESF) qui opère sur des garanties des mêmes Etats détiennent 131 milliards d’euros d’obligations d’Etat grecques, soit la moitié du total, le reste pesant sur la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international ( FMI) qui n’a enregistré qu’un nombre infime de défaut.
Les banques ne sont quasiment plus exposées à la dette grecque sauf les banques grecques elles- mêmes qui depuis quelques mois sont devenues la source principale de financement de l’Etat. Le mieux serait là que le gouvernement grec et ses créanciers puisse trouver un accord sur les abandons de créances. « S’il y a un défaut global sur la dette grecque, ce sont des années de querelles juridiques qui s’annoncent », assure Gilles Moec, chef économiste Europe, à la Bank of America Merrill Lynch. Il y a donc de fortes chances qu’au lendemain du Grexit, créanciers et débiteur se retrouvent autour de la table pour négocier un rééechelonnement . Tout ça pour ça ?
C.C.
Si la Grèce doit sortir de l’euro, la facture sera salée pour ses partenaires. Selon une étude récente de la banque RBS, le coût d’un Grexit atteindrait environ 237 milliards d’euros, soit 2,3% du PIB de la zone euro. Par comparaison, une réduction de la dette grecque, de 180% du PIB actuellement à 100% du PIB ne coûterait « que » 140 milliards d’euros. L’ Allemagne qui a jusqu’ici refusé toute réduction de la dette grecque au motif que ses contribuables en paieraient le prix fort, perdrait sur ces seuls prêts bilatéraux et via le Fonds de secours européen (FESF) plus de 55 milliards d’euros, la France de son côté, devant faire une croix sur 42,3 milliards.
Mais il faut ajouter à cette dette détenue par les Etats membres de la zone euro, la détention d’obligations grecques par l’Eurosystème qui s’élèverait aujourd’hui à 19,9 milliards d’euros au titre du programme de rachat des obligations d’Etat grecques (SMP) et à 7,3 milliards d’euros au titre des obligations grecques détenues par les banques centrales nationales (ANFA). Au total l’Eurosystème serait perdant à hauteur de 27.2 milliards d’euros.
C.C.
> DIAPORAMA Cinq longs mois de négociations avec ses créanciers
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