le premier mois
sans engagement
La vitalité des accents régionaux a été mise en lumière dans un livre récent du sociolinguiste Philippe Blanchet.Toutefois, certains de ces parlers locaux font l’objet de discriminations persistantes.
réservé aux abonnés
Lecture en 3 min.
Les accents régionaux font de la résistance
Dans le Sud-Ouest, on prononce le « s » de « moins ». Dans le Nord-Est, le « t » de « vingt ». Dans le Sud, on dit « sauf » avec le « o » ouvert de « pomme », mais pas en Corse. Chaque région a ses coquetteries de prononciation qui font le sel des accents régionaux. Elles colorent « ce français enchanté », selon l’expression de Médéric Gasquet-Cyrus, linguiste à l’université d’Aix-en-Provence.
Les accents assignent aussi une identité. « Cela existe depuis la nuit des temps, explique Philippe Boula de Mareüil (1). En hébreu biblique, on les appelle des schibboleths car selon le Livre des juges, les gens de Galaad démasquaient leurs ennemis d’Ephraïm en leur demandant de prononcer le mot shibboleth. Trahis par leur accent, ils étaient passés au fil de l’épée. »
Aujourd’hui, nul n’est plus passé par les armes pour sa prononciation. Les accents régionaux, sociaux ou étrangers restent néanmoins à l’origine de nombreuses discriminations, selon le linguiste Philippe Blanchet, dont le livre qu’il vient d’écrire sur la question rencontre un vif succès. Comme tout le langage, l’accent permet en effet d’intégrer à un groupe mais aussi d’exclure, explique-t-il.
« La glottophobie est une discrimination envers des personnes qui utilise la langue comme prétexte injuste et arbitraire, explique-t-il. Certaines personnes sont ainsi exclues du pouvoir car elles ne parlent pas la langue attendue. La langue a en effet deux fonctions : celle d’être compris, mais aussi celle de ne pas être compris. On parle toujours une langue qui n’est pas celle de tout le monde, ce qui produit de l’exclusion, bien qu’une immense majorité des habitants du monde soient plurilingues. »
Les accents régionaux seraient, en outre, hiérarchisés. L’accent méridional, jugé joli, chantant, est le plus valorisé, loin devant les accents ch’ti ou alsacien. « Il reste pourtant sujet à de nombreuses plaisanteries et associé à un manque de sérieux qui peut être pénalisant à l’embauche, par exemple », nuance Médéric Gasquet Cyrus, linguiste à l’université d’Aix-en-Provence.
De fait, les classes moyennes délaissent ces accents, jugés peu compatibles avec l’ascension sociale. « Aucun ministre breton n’a l’accent régional, note Philippe Blanchet. Bien souvent, les accents locaux ne sont plus parlés que par les ouvriers ou les Français issus de l’immigration, qui n’ont pas appris le français à l’école mais dans la rue. »
L’accent du Sud est même régulièrement sous-titré à la télévision, au grand dam des habitants de la région, qui y voient une condescendance mal venue. Et des comédiens se sont même vu refuser des rôles dans la série télévisée Plus belle la vie – pourtant tournée à Marseille – du fait de leur accent trop prononcé.
Les médias seraient ainsi aujourd’hui le principal facteur d’uniformisation du français. Longtemps, ce rôle a été celui de l’école. Les instituteurs étaient formés dans les écoles dites « normales », au sens de norme, qui sert de modèle, et par là précisément pour « normaliser » l’usage du français. Il reste toujours des traces de cette période. Au Capes, certains candidats se voient recommander de ne pas trop forcer leur accent, révèle Médéric Gasquet-Cyrus.
Ce français standardisé permet « de moins en moins d’identifier l’origine de la personne qui s’exprime », résume Philippe Boula de Mareüil. Une résistance s’organise pourtant. Sur YouTube par exemple, les habitants des régions se réapproprient avec humour leurs façons de parler. Idem pour certains artistes. Le film Bienvenue chez les Ch’tis, en 2008, a ainsi remis à l’honneur l’accent du Nord.
L’identité se déplace aussi sur le terrain des accents dits « sociaux ». « Les frontières socioculturelles sont plus tenaces que les frontières géographiques », décrypte Philippe Blanchet. L’accent des banlieues a ainsi émergé dans les périphéries des grandes villes. « Il renvoie certes à un territoire, la banlieue, mais il est en fait lié à une classe d’âge et à une catégorie sociale populaire. Il irrigue au-delà de ses frontières, est repris par les jeunes des centres-villes », développe Philippe Boula de Mareüil.
Selon lui, cette fascination est ambiguë. « Il est intéressant de noter que l’on appelle communément cette façon de parler l’accent des banlieues”. Or ce terme ne veut rien dire. Les banlieues sont diverses. Il montre surtout que nous ne sommes pas à l’aise avec l’asymétrie des pouvoirs sociaux qu’il exprime. »

(1) D’où viennent les accents régionaux ?, éd. Le Pommier.
(2) Qui révèle l’appartenance d’une personne à un groupe. Carte des schibboleths sur https:/cartopho.limsi.fr
Pour participer à une vaste enquête universitaire sur les accents régionaux  : http://francaisdenosregions.com/ participez-a-lenquete/
Vous devez être connecté afin de pouvoir poster un commentaire
Déjà inscrit sur
la Croix ?
Pas encore
abonné ?
Franck Leroy, maire d’Épernay, élu nouveau président de la région…
La carte des triangulaires et des quadrangulaires
Grand Est : Jean Rottner (LR) va quitter la présidence de la régi…
À Villeurbanne, un dialogue inédit entre professionnels de la cul…

source

Catégorisé:

Étiqueté dans :

,