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Le 21 décembre 1913, un violoniste américain publie la première grille de <span>mots</span> <span>croisés</span>. Depuis, ce jeu triomphe dans le monde entier. Pourquoi? Comment? Récit de Jacques Drillon, le verbicruciste de "l'Obs"
Si le joueur est un cruciverbiste, l’auteur, lui, le responsable des «tortures de l’esprit», ou des «méninges», ou même de ces nouveaux «exercices spirituels», cet homme de lettres est un verbicruciste ou un mots-croisiste. Tristan Bernard avait proposé le couple sphinx/oedipe, mais l’idée n’a pas pris.
En inventant les cases noires, un violoniste américain d’origine anglaise, Arthur Wynne, a véritablement inventé les mots croisés ; il a proposé sa première grille en Angleterre, sans succès. Le 21 décembre 1913, il l’a publiée dans un journal américain, le «New York World» (dans son supplément le «Fun»), mais sans les cases noires, qu’il a introduites plus tard. Le succès a suivi. D’abord via l’Angleterre (Morley Adams, 1924, dans le «Sunday Express» – il fonda la première agence de mots croisés), puis en France la même année (à la une du «Dimanche-Illustré», puis dans «le Gaulois» et «l’Excelsior»). Tristan Bernard consolide la bonne fortune du jeu, en casant des petits dessins dans sa grille, des petits dessins faits de cases noires. Quand elles contenaient trop d’astuces, ses grilles étaient accompagnées d’explications. Jean Richepin et Renée David lui emboîtent le pas.
«Le Nouvel Obs» publie en 1989 une grille de 7×7 sans aucun noir (ce que Perec n’avait jamais réussi à faire; elle est due à un lecteur du journal). En 2010, Claude Coutanceau en trouve une de 9×9 sans noir et sans mot répété (la revue «l’Impossible» vient d’en publier une de 8×8, excellente, signée Jean-Jacques Salgon). Didier Clerc et Pierre-Claude Singer réalisent une grille de 160 000 cases, et de 50 139 mots («Livre Guinness des records», 1997). Le record de la définition la plus brève est détenu par le signataire de ces lignes, une potence (1 horizontal et I vertical) faite de POLYTECHNIQUE (défini par: «X») et PATTEDOIE (défini par: «Y»).
Si l’école anglo-saxonne dispose ses très nombreuses cases noires en figures symétriques, la française les place où le besoin s’en fait sentir, en tentant de les économiser. Plus les grilles sont difficiles, moins il faut de noirs, pour permettre plus de croisements ; donc placer peu de noirs n’est pas qu’un signe de vanité… Dans les quotidiens, où les grilles doivent être résolues en un tournemain, la question ne se pose pas. Robert Scipion a lancé une nouvelle manière de faire: il s’astreignait à laisser vierge le pourtour entier de la grille. Règle reprise par Perec, et toujours respectée dans «l’Observateur». Le jour qu’il réussit une 12×10 avec 10 noirs seulement, Scipion signala son exploit aux lecteurs. Aujourd’hui, la règle des 10% de noirs maximum subsiste, mais grâce aux dictionnaires informatisés on peut descendre régulièrement à 8%, ou même moins. Aujourd’hui, «l’Observateur» publie des grilles de 10×10 avec 6 ou 7 noirs, jamais plus.
Le cauchemar du verbicruciste: les mots de deux lettres (Io, ru, nu, Ur, Eu, Is, Po, Ob, Aa), qui sont apparus trop souvent – Michel Laclos disait posséder une collection de plus de 400 définitions de Io -, et en général les mots qui reviennent constamment (osé, étêté, use, esse, île, eau, éreinté, ester, ou bien essentiel, estrapade, essoriller, en fin de grille) ; mais surtout, son cauchemar, c’est la définition qui ne vient pas, la ligne blanche… Il arrive que la définition vienne au réveil, après une nuit de travail inconscient… Du côté des joueurs, le phénomène de la nuit-qui-porte-conseil est très répandu.
(cité par Pontalis). «Faites des mots croisés
Peu avant le débarquement de 1944, plusieurs grilles parues dans le «Daily Telegraph» contiennent des noms de code passablement secrets: Utah, Omaha, Neptune, Mulberry, Overlord, Juno, Gold, Sword… Emoi chez les militaires. Les grilles de mots croisés passent pour des boîtes aux lettres d’espions.
On arrête l’auteur, Leonard Dawe, on l’interroge, on le garde au frais. Ce Dawe était un professeur strict, d’une moralité rigide, connu pour ses talents de footballeur, et régulièrement brocardé pour sa manière de jouer des matchs en gardant ses lunettes sur le nez. Il avait contre lui d’avoir déjà casé le mot «Dieppe» (défini: «French port») quelques jours avant le raid allié sur cette ville (un vrai désastre militaire). Il a expliqué que ses grilles étaient trop anciennes pour qu’il ait pu connaître les noms de code donnés aux plages du Débarquement, et fut libéré.
Mais, en 1984, un dénommé Ronald French a raconté qu’à l’époque il l’était l’élève de Dawe, et que c’est lui qui avait suggéré à son professeur d’inclure ces mots dans des grilles, mots qu’il avait entendu prononcer par des soldats. L’espion avait donc 14 ans.
Une erreur qui se glisse dans un problème, un pluriel pour un singulier, et c’est la volée de bois vert. Le joueur, qui par nature croit toujours que la grille est faite uniquement pour lui, prend la faute comme une attaque personnelle. Foutu courrier électronique, qui permet au moindre mouvement d’humeur de parvenir à sa victime dans la minute qui suit… Un verbicruciste (qui?) s’est plaint un jour de ce qu’un correcteur trop zélé avait corrigé «Avec celui-là, les ennuis commencent à partir de 39-40» (THERMOMETRE) en «…à partir de 19391940». Sale coup.
Une grille, du moins quand elle appartient au genre astucieux, se construit à partir d’une idée de I horizontal (multiples petits carnets, additions de restaurant, paquets de cigarettes: une idée non notée est perdue à jamais, et les mots, on les croise d’abord dans la rue). Puis, l’on pose un 1 vertical. Le II horizontal croisera si possible les voyelles et les consonnes avec le I. Et l’on descend. Les dictionnaires informatisés permettent de connaître tous les mots possibles dans une configuration donnée. Lorsqu’on a P..T…VE, le dictionnaire vous offre PARTITIVE ou PORTATIVE.
Les joueurs sont très joueurs, ils sont patients, tenaces ; et vous envoient leurs propres grilles, des idées de définition. Ou alors vous racontent les péripéties par lesquelles ils sont passés pour résoudre la vôtre. Les meilleurs joueurs sont: les députés, les acteurs de cinéma, les banlieusards. Affaire de temps libre, de transports en commun, sans doute. Néanmoins, tel ministre important s’enorgueillissait de ne jamais avoir manqué une seule grille de tel auteur, quelles que fussent les circonstances de sa vie politique et publique. C’est pourquoi il est préférable qu’une grille puisse se résoudre sans dictionnaire, étant donné un certain niveau de culture générale. A «l’Observateur», quand l’auteur de la grille ne connaît pas le mot qu’il a placé dans sa grille, il considère (fort arbitrairement) que le joueur risque de ne pas le connaître davantage, et, honteux, écrit entre parenthèses: «Rare.» Il ne se l’autorise qu’une fois par grille. La tradition qui voulait qu’une grille recèle les mots les plus improbables est totalement obsolète.
C’est ainsi qu’on nomme les paquets de lettres sans signification (jamais plus de trois de suite, dans «l’Observateur»). Les mauvais auteurs disent qu’il ne faut aucune cheville dans une grille. C’est leur problème. Les meilleurs en laissent. Le tout est de s’en tirer avec élégance. «Eve le remettrait sur pied» peut définir REL, parce que rel+ève donne RELEVE. Ainsi Perec, ayant eu un problème de croisement, avait écrit ANPUTE au lieu d’«amputé» : «Il lui manque effectivement une jambe.» Scipion, lui, fin connaisseur de Chateaubriand, avait ainsi défini ITINERAIR : «N’arrive pas jusqu’à Jérusalem.»
On reconnaît un auteur de mots croisés à son style, comme un écrivain, un peintre ou un compositeur. Il faut connaître sa forme d’esprit pour le pratiquer avec plaisir. C’est pourquoi il doit être constant. A l’inverse, les grilles très faciles, sans style, sont souvent impossibles à résoudre. Pis encore, une grille qui contient quelques définitions retorses perdues au milieu de plats synonymes est un véritable casse-tête.
Contrairement à une idée reçue, ce n’est pas Tristan Bernard qui a défini ENTRACTE par «Vide les baignoires et remplit les lavabos», mais Renée David, fondatrice du «Journal des mots croisés», et auteur de recueils comme «les Loisirs d’OEdipe».
Un problème de mots croisés ne présente aucune sorte d’intérêt. Le plaisir qu’il donne est gratuit. Il est donc admirable que des cruciverbistes paient pour souffrir, et qu’un verbicruciste soit payé pour leur infliger des traitements inhumains. C’est la beauté de la gratuité. Il y a aussi une laideur de la gratuité: les quotidiens gratuits proposent rarement des mots croisés.
Premièrement, la définition idéale joue toujours sur l’ambiguïté, principalement l’homonymie. Les mots français ont souvent plusieurs sens ; il s’agit donc pour l’auteur d’emmener le joueur dans la mauvaise direction.
Deuxièmement, la définition idéale contient deux informations. De même que la vue en relief exige la superposition de deux images, ou la stéréophonie deux sources sonores, elle attaque le mot de deux côtés à la fois, donne deux indices, qui se confirment l’un l’autre. L’auteur qui se borne à n’en donner qu’une, par exemple un synonyme, est un paresseux qui manque de fair-play – même s’il joue sur le mot. Définir ABATTEUR par «Tombeur» (ou l’inverse) met le joueur dans l’impossibilité de vérifier son hypothèse. On ne s’autorise ce genre de facilité qu’une fois par grille.
Le piège et le double indice sont donc les deux conditions de la bonne définition… Les choses sont bien faites: le double indice permet le piège. Un cas simple et brillant: INTERNATIONALE, défini ainsi par Robert Scipion: «Tube de rouge». Une définition sans piège aurait été: chant de communiste. Il fallait trouver un synonyme à chant, un autre à communiste, et si possible relier les deux dans une expression éloignée du sens véritable du mot à trouver, ce qui n’aurait pas été le cas de «rengaine de coco», ou de «scie de révolutionnaire», et s’éloigne du sens d’INTERNATIONALE .
D’une certaine manière, l’auteur procède comme le cavalier des échecs: deux pas en avant, un pas de côté. Il cherche le synonyme, et le décale. Merci à Henri Bertaud du Chazaud, auteur du meilleur dictionnaire des synonymes… Définir OENOLOGUE par «Il est toujours entre le cru et le cuit» joue ainsi sur le double sens de «cru» et celui de «cuit», emmenant le joueur dans la direction culinaire
Bien entendu, le principe d’ambiguïté, de piège, de double information peut se décliner de mille manières. Ainsi LOURDINGUE, défini par un seul mot : «Pesantaré. » Deux synonymes simples, lourd = pesant, dingue = taré, la troisième information venant de l’absence d’espace entre «pesant» et «taré», qui reprend l’absence d’espace entre «lourd» et «dingue». Petit indice supplémentaire: «dingue» et «taré» sont du même registre argotique. Et le résultat: un mot mystérieux, apparemment dénué de sens.
L’idéal est de donner les deux indices en laissant croire qu’on n’en donne qu’un: «Capabl», pour APT: un seul mot, deux indices. Ou: «Fût petit», qui fait supposer, à tort, un verbe conjugué (ARBRISSEAU). Ou bien l’on peut laisser le joueur dans la perplexité, sans rien à chercher, en quelque sorte. «La septième symphonie de Beethoven» n’a pas l’air d’une définition. Quoi en faire ? La solution ne se trouvera que par croisement (ANTEPENULTIEME).
Importés d’Allemagne par Maître (Jacques) Capelo(vici). Excellents pour s’initier aux mots croisés. Il paraît qu’il y a des gens très bien qui continuent, devenus grands, de jouer aux mots fléchés. C’est possible. Il faudrait vérifier.
Elles font une bonne partie du sel des définitions, comme les à-peu-près. Ainsi CASAIT, défini par «Mariait une fille à l’oncle Tom », ou bien : «Appendice papal» pour QUEUE-DE-PIE…
Traditionnellement, un mot osé doit être défini par une formule comme il faut ; inversement, une définition salée renvoie à un mot très correct.
Laclos : «Une bonne partie du Finistère», en 9 lettres.
Perec : «Ne saurait servir à un chômeur, sauf s’il est dans ses petits souliers !», en 10 lettres.
Perec : «On peut se désaltérer quand on est arrivé à ce point-là», en 3 lettres.
Perec : «Sa bouche est un regard», en 5 lettres.
Perec : «Parties du taureau et partis du boeuf», en 10 lettres.
Scipion : «Du vieux avec du neuf», en 11 lettres.
Scipion : «Héroïne pure», en 12 lettres.
→ Voir les réponses
POMPEI, PREMIERE GRILLE
Les premiers mots croisés figurent sur un mur de Pompéi. Il s’agit d’un carré magique, dont tous les mots se lisent dans tous les sens : de droite à gauche, de gauche à droite, de haut en bas, de bas en haut. Son sens ne change pas, puisque la place des mots importe peu en latin.

Il signifie: «Le laboureur Arepo utilise les roues comme forme de travail.» D’autres traductions, plus ésotériques, sont possibles.
BLANC, C’EST BLANC
Voici la plus grande grille sans aucune case noire, ni aucun mot répété, réalisée en 2010 par Claude Coutanceau :

THE FIRST WORD-CROSS
Voici la première vraie grille de mots croisés publiée il y a cent ans dans le «New York World» et réalisée par Arthur Wynne:

GRILLE DE TRISTAN BERNARD
Ecrivain, dramaturge, inventeur du jeu des petits chevaux, Tristan Bernard était aussi mots-croisiste. La preuve :

→ Voir la solution
Jacques Drillon
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Écrire ici…Excellent article mais je crois qu'il a déjà été publié, il y a plusieurs mois, sur le nouvel obs. Le réchauffé ne peut pas faire de mal !
"défini" eut été plus plaisant à lire avec un "T"… C'est dommage dans ce bel article, celui qui précède bien sûr…!
C 'est un faux , les vrais sont cruciverbistes !
Très bon article, comme toujours sur les mots croisés. Etant féru de cet exercice, je ne peux qu'apprécier. Comme vous parlez à juste titre de Tristan Bernard, une grille de Lionel Leteur récemment parue le défini comme suit : "Pionnier de la haute définition (2 mots)". Un bel hommage.

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