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Patrick Artus
Membre de l’Association française de science économique (AFSE), chef économiste de la banque Natixis
L’économiste Patrick Artus (AFSE, Natixis) appelle dans une tribune au « Monde » à distinguer, dans une tribune au « Monde », les apports de l’Union européenne et les dysfonctionnements de la zone euro, qu’il convient de corriger.
TRIBUNE. L’Europe est-elle un atout pour les pays membres de l’Union européenne (UE), ou est-elle au contraire un obstacle à leur croissance en raison des déficiences de sa construction institutionnelle ? La question vaut la peine d’être posée alors que, dans un nombre croissant de pays de l’UE, soit la question de la sortie de l’UE est ouvertement discutée, soit les opinions ont une vision de plus en plus critique de l’apport de l’Europe à leur pays (c’est le cas en Pologne, en Hongrie, aux Pays-Bas, en France, en Italie, et il y a bien sûr le Brexit). Quand on se pose cette question, une première difficulté est que l’analyse n’est pas la même selon qu’on s’intéresse à l’UE ou à la zone euro.
Regardons d’abord l’apport, ou l’absence d’apport, de l’Europe du point de vue de l’Union européenne dans son ensemble. Il est clair ici que les apports sont nombreux : le marché unique (libre circulation des biens, du capital des personnes) a conduit au développement des échanges et au rattrapage de revenu des pays les plus pauvres initialement (c’est en particulier vrai pour les pays d’Europe Centrale).
Des instruments de développement puissants (investissements du budget de l’UE, Banque européenne d’investissement, Plan Juncker) ont été mis en œuvre. Dans les domaines de la concurrence, du commerce, l’Europe parle d’une seule voix aux autres pays. Des valeurs communes (indépendance de la presse, de la justice, respect des droits de l’homme) ont été acceptées.
Il existe bien sûr des insuffisances et des lacunes, toujours au niveau de l’UE : absence de l’Europe de la défense, de l’Europe de l’énergie, règles discutables applicables aux travailleurs détachés, gestion affreuse de la crise des réfugiés. Mais l’essentiel des difficultés apparaît non pas quand on regarde l’UE, mais quand on regarde spécifiquement la zone euro. Il faut comprendre que l’appartenance à l’euro change totalement la situation des pays, les règles et contraintes qui doivent s’appliquer.
En effet, tant qu’un pays dispose de sa monnaie propre, les variations du taux de change peuvent corriger les écarts de compétitivité ; la situation des finances publiques n’a d’effets que sur les taux d’intérêt et le taux de change du pays, pas sur ceux des autres pays. Mais lorsque le pays devient membre de la zone euro, cette autonomie qu’apporte la flexibilité des taux de change disparaît. Or, l’organisation constitutionnelle présente de la zone euro, d’une part ne permet pas que les pays profitent de leur appartenance à l’euro, d’autre part ne tient pas correctement compte des contraintes qu’implique l’unicité de sa monnaie.
On ne construit pas une union monétaire avec un objectif macroéconomique, mais avec un double objectif microéconomique lié à la disparition du risque de change : d’une part que les capitaux et que l’épargne circulent librement à l’intérieur de l’union monétaire et financent les investissements les plus rentables quelle que soit leur localisation ; d’autre part que les pays puissent se spécialiser de la manière qui correspond le mieux à leurs avantages comparatifs (niveau technologique, compétence de la population active, localisation géographique).
Or, aucun de ces deux objectifs fondamentaux ne peut être atteint aujourd’hui : la mobilité du capital entre les pays de la zone euro a disparu depuis la crise de 2011-2012, les pays ayant des excédents d’épargne (l’Allemagne en particulier) refusant de les prêter aux autres pays et préférant les investir en dehors de la zone euro, d’où une perte structurelle de croissance pour la zone ; en l’absence de fédéralisme, d’un budget de la zone euro et de transferts des pays riches vers les pays pauvres, la spécialisation productive conduit à une situation intenable.
En effet, si les pays se spécialisent différemment, ils deviennent hétérogènes, leurs niveaux de vie divergent, et si cette divergence n’est pas corrigée par des transferts liés au fédéralisme, elle conduit à des inégalités insupportables de niveau de vie entre les pays.
L’organisation institutionnelle présente ne permet donc pas à la zone euro d’apporter aux pays membres ce qu’on attend normalement d’une union monétaire. Mais elle est également totalement déficiente en ce qui concerne la coordination et l’ajustement des politiques économiques.
Dans une union monétaire, les variations des taux de change ne permettent plus aux pays de mener des politiques indépendantes. Par exemple, si un pays modifie sa politique fiscale (s’il change par exemple les cotisations sociales des entreprises, la taxation des profits des entreprises) ou sa politique salariale, ou les réglementations du marché du travail, ceci affecte la compétitivité du pays par rapport aux autres.
Ces politiques doivent donc être coordonnées, pour éviter par exemple que tous les pays de la zone euro ne se lancent dans une concurrence fiscale qui finalement ferait chuter les recettes d’impôts sans aucun avantage en termes de compétitivité puisque tous les pays mènent la même politique. Or cette coordination des politiques économiques n’existe absolument pas dans la zone euro.
La disparition du taux de change implique aussi que les ajustements de la compétitivité doivent être réalisés par les politiques fiscales et salariales. Le problème de la zone euro est ici l’asymétrie des politiques d’ajustement. Lorsqu’un pays a un déficit extérieur ou un déficit public, il doit le corriger, mais un pays excédentaire peut conserver ses excédents (c’est le cas de l’Allemagne aujourd’hui) ; lorsqu’un pays a un déficit de compétitivité-coût, il doit freiner ses salaires (ce qu’a fait l’Espagne, par exemple), alors que les pays dont la compétitivité est forte ne connaissent qu’une faible accélération des salaires. Cette asymétrie des ajustements, qui sont seulement à la charge des pays en difficulté, a bien sûr un effet dépressif sur l’économie de la zone euro.
Le jugement qu’on peut avoir sur les institutions de la zone euro (et non, on l’a vu plus haut, sur celles de l’Union européenne) est donc négatif : elles ne permettent pas aux pays de bénéficier des avantages microéconomiques liés à la disparition du risque de change (allocation efficace de l’épargne, spécialisation productive optimale) ; elles ne prennent pas en compte le besoin de coordination des politiques économiques une fois que les taux de change ont disparu ; elles impliquent des ajustements asymétriques des pays privilégiant les politiques restrictives dans les pays en difficulté.
Il faudrait donc baser une réforme institutionnelle de la zone euro sur une analyse sérieuse des conditions pour que l’épargne circule à nouveau entre les pays, des mécanismes qui peuvent réduire l’hétérogénéité entre les pays, des politiques qui doivent être coordonnées et celles qui peuvent ne pas l’être, des règles d’ajustement qui ne doivent plus générer de biais dépressifs en étant rendus symétriques.
Cette piste des réformes institutionnelles est infiniment plus pertinente que la piste de la sortie de l’euro qui est parfois proposée, quels que soient les dysfonctionnements de la zone euro. Car ceux qui proposent la sortie de l’euro oublient de décrire d’une part les effets de la sortie et de la dévaluation qui suivrait, pour les pays autres que l’Allemagne ; d’autre part ce que serait le fonctionnement d’un régime de taux de change flexibles entre les pays européens.
Après près de vingt ans d’euro, nos dettes sont essentiellement en euros, et les convertir unilatéralement dans une autre monnaie serait considéré comme un défaut par les agences de notation et les investisseurs. Dans un pays qui sort de l’euro et dont la monnaie se déprécie, tous les emprunteurs subiraient donc une forte hausse du poids de leur dette en euros, libellée dans la nouvelle monnaie.
Par ailleurs, il faut remonter aux années 1980-1990 pour se remémorer le fonctionnement d’un système de taux de change flexibles en Europe. Pour éviter une dépréciation excessive de leurs taux de change, la France, l’Espagne et l’Italie avaient dû maintenir des taux d’intérêt beaucoup plus élevés que l’Allemagne (pour la France, l’écart moyen, était de 3 %, 300 points de base).
Malgré cela, la volatilité des taux de change était très forte, ce qui décourageait les échanges commerciaux, les investissements dans les autres pays, créait une forte variabilité de la croissance et de l’emploi, comme on le voit aujourd’hui dans les pays émergents. Les coûts réels d’une sortie de l’euro et d’un retour à la flexibilité des changes seraient considérables.
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Daté du vendredi 16 décembre
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