Les grandes foules catholiques se pressent pour écouter le nouvel archevêque de la capitale qui a succédé, il y a cinq mois, au cardinal Vingt-Trois. Elles veulent approcher l’ancien médecin à la vocation tardive, qui a acheté sa première Bible à 20 ans et connaît par cœur le répertoire de Brassens.
L’église Saint-Léon à Paris (XVe) dans laquelle s’agglutinent déjà un millier de fidèles s’avère, en effet, trop petite quand elle accueille, ce jeudi 3 mai, Mgr Michel Aupetit. Il faut ouvrir la chapelle en face, 400 places vite occupées, pour que tout le monde puisse suivre la conférence « Embryon et période anténatale ».
Les ouailles ne sont pas déçues du pèlerinage sous la nef. L’ex-généraliste de 67 ans se montre spécialiste des « zygotes » et du « fœtus ». Cet ambassadeur du camp « catho » anti-avortement, qui soutient les « Marches pour la vie », regrette que l’embryon n’ait « pas de statut juridique en France ». « La larve de hanneton est plus protégée », dégaine-t-il.
Entre deux formules qui font mouche, il cite Cicéron et… Georges Marchais. Et distille une confidence : « Mes parents ne me désiraient pas du tout, mais ils m’ont aimé tout de suite. Je l’ai su très vieux, alors ça ne m’a pas fait grand-chose ! » Hilarité générale.
« Il sait séduire son auditoire, il est très bien vu du Saint-Père », croit savoir Virginie Tellenne, paroissienne de Saint-Léon et ex-égérie de la Manif pour tous sous le pseudo Frigide Barjot qu’elle a enterré. « Monseigneur Vingt-Quatre » comme l’a rebaptisé le « Canard enchaîné » a le sens de l’humour. Sa référence, c’est Raymond Devos. « Il arrivait à être drôle par subtilité, sans se moquer », applaudit-il.
Depuis qu’il est patron du plus important diocèse de l’Hexagone, il s’invite dans les débats agités en préparation de la révision des lois de bioéthique. Jusqu’à Matignon. « J’ai vu récemment Edouard Philippe, je lui ai dit : Il y a un droit au logement, mais il ne peut y avoir un droit à l’enfant parce que ce n’est pas un objet », retranscrit-il à l’assistance.
C’est pour sa maîtrise de ce dossier sensible que le pape François l’a choisi. « Il aborde ces questions avec un vocabulaire renouvelé qui est celui de son domaine d’expertise. Cela lui confère une stature », encense Tugdual Derville, délégué général d’ Alliance Vita, association anti-PMA-GPA-IVG …
L’ecclésiastique à la croix pectorale s’alarme d’une PMA ouverte à toutes – couples de femmes et célibataires – qui placerait les enfants dans des situations dont ils seraient « les victimes ». « Pour ma compagne et moi, mamans d’une petite fille née par PMA, ses propos sonnent comme une agression. Il flatte l’aile droite de l’Eglise en oubliant qu’elle n’est pas uniforme et qu’il y a des familles homoparentales », s’indigne Marianne Berthet-Goichot, l’une des porte-parole du mouvement homosexuel chrétien David & Jonathan.
Le prélat est ultra-conservateur. « Si c’est le conservateur du Louvre, je le prends comme un compliment. Il ne montre que les œuvres d’art. Moi, je regarde tout ce qui a fait la valeur de l’homme et je le partage », argumente-t-il. « Il ne faut pas s’étonner qu’un catholique parle catholiquement, conformément à l’Evangile ! » défend Emmanuel Schwab, curé de Saint-Léon.
L’élu du souverain pontife rejette l’étiquette d’« archevêque de la bioéthique » qui lui colle à la crosse. « C’est réducteur, je suis l’archevêque de Jésus-Christ. Ce qui m’importe, c’est la vie éternelle, le soin de pauvres… c’est ça que le Christ nous a appris, pas la bioéthique ! » réplique-t-il.
Le dialogue interreligieux, si précieux en ces temps de tensions entre confessions, est aussi élevé au rang de priorité. Il échange avec les forces vives des autres cultes. « Mais on n’en fait pas forcément des gorges chaudes. Si on se rencontrait devant les caméras, ça veut dire que ça serait artificiel », lâche-t-il.
C’est, selon lui, « sur le terrain », dans les cités où « chacun est dans son coin » qu’il y a urgence à « construire une estime fraternelle ».
Par son itinéraire atypique, le haut dignitaire religieux se démarque. Il n’est pas né avec une cuillère d’argent dans la bouche ni un crucifix dans le berceau. Celui qui s’est épanoui, avec ses deux frères, dans les Yvelines, est fils d’un cheminot éloigné des bénitiers et petit-fils d’anticléricaux.
Seule sa mère va à la messe dominicale. Elle lui apprend les « Notre Père » et « Je vous salue Marie ». Il a la foi. Mais le missel n’est pas son livre de chevet. « Gamin, je dévorais les aventures de Popeye dans le Parisien Libéré », se remémore-t-il.
Il ne sera jamais enfant de chœur. A l’école publique, il préfère enfiler la blouse de blagueur. Ses notes l’y autorisent, il est doué. Son ambition, c’est d’être médecin, car il ne « supporte pas de voir souffrir les gens ».
Son vœu est exaucé. En 1979, il ausculte ses premiers patients dans un cabinet à Colombes (Hauts-de-Seine). « Il était très empathique, il ne consultait pas avec un chronomètre. Il était également curieux, s’intéressant à l’homéopathie ou la mésothérapie », se souvient son « collègue et ami » Guy Coquelin.
De cette expérience, docteur Aupetit tire son attachement absolu à la vie. « Des handicapés installés en face de mon cabinet m’ont demandé de les soigner. J’ai découvert un monde qui m’a ouvert les yeux sur la formidable capacité de ces personnes à nous apprendre à devenir humains », confie-t-il.
C’est à cette époque qu’il entend plus que jamais « l’appel de Dieu ». S’engage un « combat spirituel ». Il résiste avant de tomber à genoux dans sa salle à manger et de révéler au Tout-Puissant : « Que ta volonté soit faite ! »
Il fait alors une croix sur son projet de fonder une famille. « Un beau jour de février 1990, il m’a annoncé : En septembre, je m’en vais pour rentrer au séminaire. Ce fut une surprise, car je pensais qu’on allait faire toute notre carrière ensemble », témoigne son confrère.
Le praticien pratiquant qui « passe de la médecine des corps à celle des âmes » se prépare au sacerdoce à quelques foulées de Notre-Dame de Paris. Dans la « pépinière » de futurs cols romains, Pierre Vivarès a été le voisin de chambre de « Michel ». « J’avais 24 ans, lui 40. Pour moi, c’était un vieux ! » taquine le curé de Saint-Paul dans le Marais.
« J’ai le souvenir d’un homme paisible qui ne se dispersait pas, mais qui était très joyeux. Compte tenu de sa grande maturité humaine, je me suis dit qu’il aurait vite des responsabilités », se rappelle l’ex-séminariste.
Bien vu. L’ascension du prêtre ordonné en 1995 dans la Ville Lumière est éclair. Tour à tour vicaire, aumônier en collège-lycée, curé, vicaire général, évêque auxiliaire de Paris, évêque de Nanterre, il lui faut moins de deux décennies pour porter la mitre.
Ambitieux Mgr Aupetit ? « Il est tout sauf ça ! Il dit toujours : C’est Dieu qui guide ma vie et mes pas, j’aurais pu tout aussi bien être curé de campagne », rétorque le docteur Guy Coquelin. Même son de cloche du côté du curé de Saint-Léon : « Sa vie est déjà accomplie, il n’a pas besoin d’autre chose pour être reconnu dans l’existence. Il n’a pas cherché à se placer, ça l’amuse de se retrouver là. »
L’intéressé, lui, répète qu’il n’a « jamais eu de plan de carrière », y voyant plutôt des « surprises du destin ». Au sein du clergé, on décrypte sa collection de promotions par son « talent » à fédérer les ouailles.
« Il sait aborder des questions intellectuelles pointues comme tailler le bout de gras. Il est peu soucieux de briller et reste simple à l’image de la vieille Clio qu’il conduisait », décrit le père Thomas Binot, curé à Clichy (Hauts-de-Seine). « C’est un homme qui parle à l’homme, il regarde les gens », observe Philippe Laborde, son directeur de cabinet, conquis par cet « humaniste qui est aussi artiste ».
Car l’ex-toubib écrit des poèmes. Il sculpte aussi le bois. L’un de ses Christ en croix s’expose à l’entrée de Notre-Dame-de-l’Arche-d’Alliance à Paris où il officiait il y a une quinzaine d’années. « Tout le monde sait que c’est une œuvre de Mgr Aupetit », vante l’actuel maître des lieux, le père Vincent Guibert. Enfin, il joue de la guitare, à l’aise dans les accords de chants liturgiques comme ceux des tubes de Johnny. « C’est un juke-box ambulant qui chante merveilleusement bien », loue une admiratrice du diocèse de Nanterre.
Un saint ce Monseigneur ? Pas encore. Il se murmure qu’il a « du tempérament » et se met parfois en colère. « C’est un sanguin, mais qui s’excuse vite », pardonne une proche. « Quand il n’est pas d’accord, il peut être directif, sans la moindre précaution oratoire », prévient un ex-collaborateur.
Mais il n’aime pas faire des vagues. Sauf durant l’été 2012. Dans Paris Notre-Dame, l’hebdomadaire du diocèse, l’opposant au mariage gay avait établi un parallèle très douteux avec la polygamie et l’inceste. « Dérapage homophobe », dénonçait l’élu communiste de la capitale Ian Brossat.
L’année suivante, il est l’un des rares évêques à battre le pavé sous les drapeaux de la Manif pour tous, un dimanche de printemps aux Invalides. Il explique, tout en « assumant » sa participation, que ce jour-là, il déjeunait dans le quartier chez une famille ayant décidé de défiler et donc qu’il l’a suivi pour « aller voir ».
Depuis, il est souvent présenté comme une figure active du mouvement. Ce qui est faux. « Je ne l’ai jamais rencontré », assure Ludovine de la Rochère, présidente de la Manif pour tous. Aujourd’hui, elle s’entretiendrait avec lui « avec joie », notamment sur la PMA et la GPA. « Ses positions rejoignent les nôtres. Tout soutien ayant une forte légitimité est formidable », s’enthousiasme-t-elle.
L’agenda du ministre du culte est déjà bien rempli. Mais il tient la cadence. « Je pense qu’il y a une force qui vient d’en haut », souffle le sexagénaire. Il sait dorénavant que « chacun de ses gestes va être scruté », comme le souligne Yves Doubliez, diacre permanent au diocèse de Nanterre, présent à ses côtés lors de l’annonce officielle de sa nomination comme archevêque. « J’ai senti à cet instant de la gravité, comme s’il prenait conscience de la responsabilité d’une mission qui le rend très exposé », relate-t-il.
En ce dimanche de Pentecôte qui célèbre la descente du Saint-Esprit sur les Apôtres, le prédicateur à la voix de crooner présidera deux messes. Pour se ressourcer, il marquera un très long silence avant son homélie. C’est sa marque à lui.
Autre spécificité spirituelle : il se lève au cœur de la nuit pour prier. « Je demande à mon ange gardien de me réveiller. Des fois, c’est 2 heures du matin, des fois 4 heures. Je m’en fiche complètement, moi, je me mets à disposition du Seigneur, je ne calcule rien… »
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