Les hommes politiques – proroumains contre prorusses – se déchirent depuis des années et le pays est privé de président depuis deux ans. Pendant ce temps, la société évolue…
“Crise
d’identité” est une expression
souvent utilisée par les analystes roumains lorsqu’ils évoquent la République
de Moldavie. Ils dépeignent une société tiraillée entre deux mondes. Une visite
à Chisinau,
la capitale, dévoile cependant une autre
facette du problème. Souvent, les identités semblent plutôt s’épanouir dans la diversité, se mélanger et interagir.
De même que les cultures. Les chaînes de télévision russes sont plus regardées
que les roumaines. La presse russe est plus présente dans les kiosques que
celle venue de Roumanie. Dans les librairies, la production russe – éditions
exceptionnelles d’auteurs classiques ou modernes, mais aussi de nombreuses
traductions – submerge l’offre roumaine. Même la bière est servie “à la
russe”, avec du poisson salé et
séché. Sur les étalages s’empilent, aux côtés des célèbres vins moldaves, des
eaux-de-vie de prestige de la Transdniestrie séparatiste et des bouteilles de
vodka russe, de la plus bas de gamme à la plus luxueuse.Au Muz Cafe de Chisinau,
un club très populaire, les jeunes mangent des blinis, boivent de la vodka et
dansent sur des chansons romantiques russes ou sur la musique du célèbre groupe
moldave O-zone. Dans la rue, il ne faut pas s’étonner qu’on vous réponde
aimablement en russe quand vous demandez votre chemin en roumain ! Les
dialogues bilingues sont monnaie courante. Dans les talk-shows politiques, à
Chisinau, il arrive qu’on donne des répliques tantôt en roumain, tantôt en
russe. L’ancien président Vladimir Voronine, le nouveau stratège des
communistes Mark Tkachuk ou le bachkhan [chef, président – contraction
de bach (tête) et khan (roi)] de la région autonome de Gagaouzie, Mihail
Formuzal, répondent en russe lorsqu’on leur pose une question en roumain.
Personne ne se considère offensé et personne ne prend la peine de traduire.
Doit-on y voir les signes d’une occupation culturelle ? Ou, plutôt, les
premiers éléments d’une identité différente ? La Moldavie est un Etat jeune.
Elle fêtera le vingtième anniversaire de sa déclaration d’indépendance le 27 juin. Comment
sera-t-elle dans deux décennies ?
Près de l’ancien parc du Komsomol vient d’être inauguré le siège de Publika TV, la plus récente
station de télévision sur le marché des médias en Moldavie. C’est une chaîne
d’information créé par Realitatea TV de Bucarest. Les journalistes et les
animateurs sont tous des citoyens moldaves. Un cinquième des émissions est
diffusé en russe, le reste en roumain ou dans les deux langues, en fonction des
invités. Natalia Morari, une journaliste de la nouvelle génération, anime un
talk-show du soir. “J’ai commencé ma carrière à Moscou, en tant que
journaliste de langue russe. J’avais fait une demande de nationalité russe et
j’étais très proche de son obtention. Je n’aurais jamais pensé retourner un
jour à Chisinau et travailler comme journaliste de langue roumaine. Avant,
j’écrivais uniquement en russe”,
nous confie-t-elle. Nous profitons des quelques minutes de pause entre les
cours de diction roumaine que Natalia est en train de suivre. “J’ai été
expulsée de Russie [sans soute pour
avoir écrit des articles sur les ravages de la corruption au sommet de l’Etat],
c’est pourquoi je suis rentrée en Roumanie. Je m’étais bien intégrée, à
Moscou, et je travaillais sur une publication importante, mais je sentais
toujours que je n’étais pas de là-bas. Pourtant, j’ai grandi à Chisinau dans un
milieu russe, et je suis allé à l’école russe. Je ne parlais roumain qu’avec ma
grand-mère”, ajoute Natalia.
Rentrée à Chisinau, Natalia a été l’une des jeunes qui ont servi de catalyseur
aux manifestations anticommunistes de l’année dernière, par leurs notes postées
sur Internet. Une évolution que les autorités russes ne pouvaient pas prévoir. Voronine
lui-même n’aurait pu s’attendre à ce que l’un des membres les plus actifs de la
révolution anticommuniste de 2009 vienne de Moscou !
Au centre de la capitale, au-dessus du restaurant McDonald’s, les adolescents
et les jeunes se rencontrent au cybercafé. Sièges confortables, équipements de
dernière génération. Il faut juste s’adapter aux claviers, certains étant en russe. Mais cela ne
dérange personne. Les gamins engagés dans des affrontements mortels contre les
monstres des jeux vidéo se débrouillent facilement dans les deux langues. Le
Théâtre national joue des pièces classiques, mais aussi du Matei Visniec, dramaturge
roumano-français vivant à Paris. Le
divertissement est hétéroclite : on peut entendre la chanteuse roumaine Mirabela
Dauer ; sur une autre affiche présentant une photo vieille de trente ans sourit
Mihai Constantinescu. L’offre est complétée par un ensemble folklorique
d’Arménie et un récital de Sergueï Trofimov, chanteur
et poète russe très populaire.
Quant
au musée national d’Histoire, il passe pour l’instant très vite sur les
périodes qui pourraient poser des problèmes. La “grande union” de 1918 [avec la
Roumanie] est traitée rapidement en quelques photos. Il y en a encore moins
pour juin 1941 [libération de la Bessarabie, occupée par les Russes à la suite du
pacte Ribbentrop-Molotov], puis le rétablissement de l’administration roumaine
jusqu’en 1944 [date à laquelle le pays revient de nouveau à l’URSS]. Par
contre, une grande attention est accordée à Dimitrie Cantemir, le prince
moldave ami du tsar réformateur Pierre le Grand. Une gardienne, remarquant que
nous nous attardons sur la carte de l’Europe et du Levant du début du XVIIIe siècle, et
nous entendant parler roumain, s’approche et explique : “Ieta Maldova.
Rumania niet.”
Nous passons en
vitesse à travers les salles du musée, pressés par les gardiens. L’heure de la
fermeture approche et personne n’imagine rester ne serait-ce qu’une seule
minute supplémentaire – c’est la coutume à Chisinau. Nous avons toutefois encore deux minutes à accorder
à la pièce de résistance du musée : un diaporama présentant l’offensive Iaşi-Chişinău d’avril à
juin 1944. Sur fond de crépitement
de mitrailleuses et grondement d’avions, l’Armée rouge passe comme un
rouleau compresseur sur les troupes roumaines et allemandes en fuite. Mais la
lumière s’éteint rapidement – le musée ferme. Nous sortons et
allons dîner dans un restaurant proche, fréquenté par quelques expatriés et
hommes d’affaires locaux. En guise d’apéritif, vodka Ruski Standard avec pain
noir et poisson fumé. Ensuite, zamă de
pui cu tocmagi,
c’est-à-dire
bouillon de poule aux vermicelles, et enfin lapin rôti accompagné d’un petit vin
rouge moldave de Purcari. Une petite merveille.
Alors, la Moldavie est-elle plutôt
roumaine ou plutôt russe ? En tout cas, elle est différente de la Roumanie.
Qu’en pensent donc les partisans de la réunification ? Nous avons demandé à
l’ancien président par interim du pays, Mihai Ghimpu, partisan déclaré de la réunification avec la
Roumanie.”Quand le problème se posera, les Roumains trouveront la
recette”, a été sa réponse.
Peut-être, mais cette recette
devra inclure l’acceptation de la diversité.
Ovidiu Nahoi, Ion Ioniţă
Lire l’article original
MOLDAVIE. La révolution était réelle, les promesses sont restées virtuelles
MOLDAVIE. Tensions accrues avec Moscou et Kiev
UNION EUROPÉENNE. Moldavie, l’élargissement clandestin
EUROPE ORIENTALE. La Moldavie ne veut pas suivre l’Ukraine dans l’orbite russe
Lancée en décembre 2007 par le groupe de presse du quotidien Adevarul, le titre est aujourd’hui l’une des 11 éditions étrangères de Foreign Policy et un des seuls mensuels au format magazine du pays. Environ un tiers du contenu est rédigé par les journalistes de la rédaction, le reste étant repris de l’édition américaine.    Comme la parution américaine,  FP Roumanie se consacre essentiellement à la politique, à l’économie et aux relations internationales. Son rédacteur en chef est Ovidiu Nahoi.   Foreign Policy România est hébergé par le site web du quotidien Adevarul. La moitié du contenu web est fourni par la version imprimée, l’autre par des articles et des interviews exclusifs web.
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