Ariane Bonzon
Temps de lecture: 5 min
Tout un symbole. Comme l’euro (€) et le dollar américain ($), la livre turque a désormais son icône, une sorte de L coupé par deux barres parallèles. La monnaie est un signe de «pouvoir, de prestige et d’indépendance», a déclaré le 1er mars Recep Tayyip Erdogan, qui, malgré une seconde intervention chirurgicale à l’estomac quelques jours auparavant, était venu dévoiler lui-même ce nouveau symbole. Pourtant, en matière d’ «indépendance» économique et financière, et malgré la diversification de ses marchés depuis quelques années, la Turquie reste avant tout imbriquée à l’Europe.
Ce symbole «ressemble à une ancre, ce qui fait ressortir le fait que la lire est un refuge sûr pour les investissements», a commenté le gouverneur de la banque centrale de Turquie. Avant de préciser que si les deux barres parallèles n’étaient pas horizontales mais montantes, c’est bien parce que la valeur de la lire et l’économie turque connaissent une constante ascension.
Ce nouveau symbole et la fierté nationale qui vont avec ont même inspiré un dessin au caricaturiste Salih Memecan: alors que la mer est mauvaise, on y voit le bateau-Turquie solidement arrimé grâce à sa «livre-ancre» tandis que l’«ancre-euro» du bateau-Grèce n’évite guère que celui-ci soit chahuté par les vagues.
Ali Babacan, vice-premier ministre en charge de l’économie, y lit le symbole de «neuf ans et demi de stabilité et de succès». Une manière de rappeler la réussite économique du pays depuis 2002 et la prise de pouvoir du parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur).
Parfois surnommée la «Chine de l’Europe», la Turquie devrait connaitre un taux de croissance de 8% pour l’année 2011 –contre environ 1,5% dans l’Union européenne. Son produit intérieur brut annuel par habitant en parité de pouvoir d’achat (PPA) est passé de 8.255 dollars en 2003 à 13. 577 dollars en 2010. Elle occupe désormais la dix-huitième place dans le club des vingt économies les plus avancées du monde (G20).
Son taux de chômage tourne autour des 9,8% en 2011, deux points de moins que l’année précédente. Et elle affiche un ratio dette publique/PIB de 39,8%: de quoi faire pâlir d’envie plus d’un pays européen dont le taux d’endettement public s’est envolé (85,2% pour la France et 82,2% en moyenne pour l’Europe des 27).
A la différence de la Chine et de la Corée, la Turquie ne devrait pas être trop affectée par la crise américaine. Mais très intégrée à l’Union européenne, son économie pourrait en revanche subir négativement la crise de la dette européenne. «Certes, explique un analyste français basé à Istanbul, la Turquie est un navire lancé à pleine vitesse et il faut du temps pour le ralentir. Mais l’impact est inévitable étant donné l’imbrication de l’économie turque avec l’économie européenne et mondiale.»
Il y a dix ans, 14% des exportations turques partaient pour les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du nord. Cette part a sensiblement augmenté pour atteindre aujourd’hui les 20%. En 2011, la perte de vitesse des exportations turques vers la Libye et la Syrie a été compensée par celles destinées à l’Egypte et à la Tunisie. Les perspectives avec l’Arabie saoudites sont prometteuses. Cependant, le vrai «boom» commercial s’est produit avec le voisin irakien, dont les commandes ont augmenté de 38% en 2011.
Pourtant, ces nouveaux marchés arabes ne peuvent, ni par leur taille, ni par leurs capacités financières, se substituer aux marchés européens. Tout au plus constituent-ils une soupape de sécurité. Et pour qu’ils croissent, il faudra que la transition démocratique des «printemps arabes» s’y opère sans trop d’instabilité.
L’année dernière, l’Union européenne a attiré 46% des exportations turques, soit 9 points de moins qu’en 2007 mais 22% de plus en valeur absolue. «Les exportations turques ont chuté au Portugal et en Slovaquie mais pas en Grèce, ni en Italie, ni en Espagne, pays qui ont pourtant présenté des taux de croissance négatifs. La Grèce a même augmenté ses importations turques de 7% et l’Italie de 21%», explique l’économiste turc Seyfettin Gursel. Avec la perspective d’un taux de croissance européen proche de 0, il prévoit pourtant une baisse des exportations turques pour 2012.
Cependant, à l’exemple des équipements d’électro-ménagers ou des téléviseurs Beko, de nombreux produits turcs se vendent très bien en Europe. De qualité moyenne, ils sont durables et peu chers, donc compétitifs, et répondent assez bien à la tendance structurelle imposée par la récession européenne.
Avec un marché intérieur de 74,7 millions d’habitants, l’économie turque est aussi tirée par sa consommation domestique, mais «n’a pas de véritable capacité d’investissements propre, a cause de l’épargne domestique insuffisante», explique l’expert Guray Vural, en charge de l’économie à la délégation de l’Union européenne à Ankara. «Restructuré lors de la crise de 2001, son système bancaire n’a pas besoin du soutien du gouvernement turc. Mais il est de taille insuffisante pour réaliser les investissements nécessaires. La Turquie doit donc compter sur les entrées de capitaux.» Les pays européens jouent un rôle clé car ils sont à l’origine de 75 % des investissements opérés en Turquie (contre 6,1% venant des Etats-Unis et 6,1% des pays du Golfe entre 2008 et 2011).
Avec un fort déséquilibre de la balance commerciale (la Turquie importe beaucoup et de plus en plus) et de son compte courant, l’économie turque est vulnérable si de l’argent n’est pas insufflé dans le système. Elle est donc très dépendante des capitaux étrangers, essentiellement européens mais parfois aussi arabes. Un ralentissement de l’activité en Europe risque de réduire la part des investissements en Turquie, de ne plus compenser le déficit du compte courant et donc d’altérer la marche en avant turque.
La Laurence Parisot turque, la présidente de la Tusiad, Umit Boyner, rappelait récemment qu’il ne manquait pas de réformes à mener pour attirer les investissements étrangers: révision de la fiscalité, libéralisation du marché de l’énergie, lutte contre l’économie souterraine et réglementation de la propriété intellectuelle.
Quant à l’avenir, deux scénarios s’opposent. Celui, optimiste, du gouvernement turc, de la Banque centrale et du Trésor prévoit certes une baisse du taux de croissance à 4%, mais un meilleur contrôle du déficit extérieur, l’augmentation des exportations plutôt que des importations et une baisse de l’inflation (laquelle vient pourtant de passer la barre des deux chiffres, 10,43% en février sur douze mois, selon l’Institut de la statistique Tüik).
L’autre scénario est plus pessimiste. Il est signé du Fonds monétaire international (FMI) qui table sur une croissance 2,3% (mais proche de zéro pour l’Union européenne) , ainsi que sur un ralentissement de la consommation intérieure, en raison de l’endettement grandissant des ménages (70% du PIB), et une baisse des exportations vers l’Union européenne.
En revanche, les deux scénarios s’accordent sur la forte attractivité de la Turquie. La France y occupe d’ailleurs la première place en terme de capitaux investis (400 entreprises pour 100.000 emplois). Et en temps de crise de la dette européenne, la Turquie comme d’autres pays émergents constitue une opportunité pour les acteurs internationaux qui cherchent des relais de croissance. Pour autant, du moins, qu’Israël n’attaque pas l’Iran voisin…
Ariane Bonzon
Ariane Bonzon
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