Après plusieurs tergiversations, le gouvernement marocain a finalement tranché le nœud gordien en culbutant vers un régime de change plus flexible le mois d’avant dernier (lundi 15 janvier 2018). Quelles sont les raisons de ce chavirage vers un régime de change extensible ? Quelles sont les attentes et les expectatives que le gouvernement compte tirer de cette inversion ? Tel est le dessein de cette chronique.
Par Mustapha MAGHRITI (Docteur-Journaliste-Économiste-Chercheur en Economie Internationale (Faculté de Droit Rabat-Agdal))
Après plusieurs tergiversations et réticences suscitant inquiétudes et polémiques, et après un rétropédalage au mois de juillet dernier, le gouvernement marocain, via l’argentier du royaume Mohamed Boussaïd, a finalement tranché le nœud gordien en décidant de culbuter vers un régime de change plus flexible le mois d’avant dernier (lundi 15 janvier 2018) en optant pour un système de change à la serpent monétaire européen.
Faut-il rappeler que c’est un nouveau régime de change, où d’ores et déjà, la parité du dirham est déterminée à l’intérieur d’une fourchette de fluctuation de ±2,5 %, contre ±0,3 %. Cette dernière est calculée par rapport à un cours central fixé par la banque centrale de l’État marocain sur la base d’une bannette de devises composée à 60 % de l’euro et à 40 % du dollar.
La conversion vers un nouveau système de change flexible n’est pas uniquement une réforme esseulée. Au contraire, c’est une phase ultime dans la concrétisation et le couronnement d’un nombre important de réformes financières et bancaires menées et concrétisées par l’actuel gouverneur de Bank-Al-Maghrib.
Les grandes apostrophes qui nous interpellent : quelles sont les raisons de ce chavirage vers un régime de change flexible et l’abandon du système de change partiellement fixe ? Quelles sont les attentes et les expectatives que gouvernement compte tirer de cette inversion ?
Pour cela, il faut rappeler qu’avant le 15 janvier 2018, la valeur du dirham a été fixée administrativement par l’institut d’émission. Si la valeur du dirham varie de plus de 0,3 %, à la hausse comme à la baisse, Bank-Al-Maghrib intervient pour ajuster la valeur du dirham, respectivement en cédant ou en achetant des devises.
Quand la valeur du dirham se déprécie par exemple, la Banque Centrale vend des devises pour acheter du dirham, augmentant ainsi sa demande et sa valeur, et vice versa. Certes, ce système permettait aux opérateurs de s’approvisionner sans limites à un taux de change stable, avec moins d’inflation et moins d’incertitude, néanmoins, un tel système de change produit plusieurs effets pervers, effets qui étaient à l’origine, nous semble-t-il, de ce basculement vers un régime de changes flexible.
Fixer le taux de change est avant tout consentir une subvention cachottière et subreptice, car une partie de ce prix est prise en charge par l’État via Bank-Al-Maghrib. À titre d’illustration, si le taux de change réel est 16 dhs pour 1 euro, quand vous achetez votre billet d’avion à 1000 euros sur internet, normalement vous devriez payer 16 000 dhs, mais avec le taux de change fixé à 11 dhs pour 1 euro, vous payez seulement 11 000 dhs. Vous avez donc bénéficié d’une subvention de 5000 dhs, laquelle a un coût, puisque pour la payer, Bank-Al-Maghrib avait compensé en piochant l’équivalent dans les réserves en devises. Dit autrement, en fixant artificiellement le dirham au-dessus de sa valeur réelle (qui ne reflète pas la véritable valeur du marché), donc maintenant les prix bas, une deuxième caisse de compensation a été créée en catimini.
Or, le talon d’Achille de toute caisse de compensation est qu’il s’agit d’un système amblyope qui pensionne aussi bien ceux qui en ont besoin que ceux qui ne le sont pas. Inopportunément, dans un tel système de change, ce sont les nantis qui en profitent le plus, car ce sont eux qui, avec un effet de démonstration, consomment les produits importés, les produits de marque, les biens de luxe et de snobisme. Pire encore, c’est même un système de change "anti-pauvres" : c’est l’État qui finance le rajustement de la valeur du dirham aux oscillations de l’euro et du dollar, ce qui revient, somme toute, à commanditer la consommation des riches avec les deniers publics. Ce qui nous incite à alléguer que c’est un système inéquitable et inique, car les numéraires servant à corriger le taux de change du dirham auraient pu être alloués aux besoins de base des plus nécessiteux.
En sus de cette partialité caractérisée, le système de change fixe, étayé sur l’algorithmique de compensation, déprave et dénature le fonctionnement de l’économie nationale. D’abord, parce qu’avec la chronicité structurelle du déficit commercial et la vulnérabilité de nos réserves de change, liée à l’irrégularité et l’insuffisance des rentrées du tourisme, quoique que le secteur du tourisme a enregistré une année exceptionnelle en 2017 selon les dernières estimations livrées par le Ministère de tutelle et l’Office des Changes, des IDE qui oscillent entre 2 et 3 milliards de dollars annuellement, et n’évoluent pas au-delà de 4 milliards de dollars dans le meilleur des scénarios et des transferts des MRE qui stagnent entre 55 et 60 MMDH depuis 10 ans, et ce en dirhams courants.
Il ne reste tout compte fait que les dons des pays du Golfe et l’endettement extérieur pour continuer à épauler et renflouer la valeur du dirham suite aux vacillements de l’euro et du dollar. Autrement dit, l’emprunt est le prix cher à payer pour cheviller le taux de change.
Ensuite, en maintenant vaille que vaille, la valeur du dirham artificielle au-dessus de sa valeur réelle du marché, moult consommateurs continuent à vivre au-dessus de leurs moyens, car si le dirham n’était pas subventionné, il aurait dérogé à plusieurs de leurs dépenses devenues plus onéreuses, ce qui immole l’incitation des agents à rationnaliser leurs comportements, qu’il s’agisse de consommation ou de production, car ils reçoivent des signaux biaisés et ne paient pas en corollaire la vraie valeur du marché. Ainsi, en gardant le système de change fixe, on stigmatise et on fustige le tissu industriel marocain à s’entretenir dans une économie de rente, ce qui traîne l’économie marocaine dans une séquence vicieuse. Car pour étançonner un taux de change fixe, la Banque Centrale aura besoin d’emprunter des devises, ce qui favorisera les importations au préjudice des exportations, cantonnant et cloîtrant ainsi les entrées de devises et amplifiant de plus belle le besoin en devises et donc d’emprunt et d’endettement.
Si la rente du système de change fixe profite aux importateurs, elle sanctionne et réprime les exportateurs. À titre illustratif, les produits chinois et turcs doivent une partie de leur compétitivité aussi au fait que le dirham est maintenu à un niveau surévalué, ce qui incite à la sur-importation, car les dernières surévaluations du dirham rendirent les produits importés moins chers que les produits nationaux. Ainsi, le taux de change fixe pénalise la compétitivité des entreprises marocaines et lèse consommation locale.
Dans le cas d’un marasme économique, le système de change fixe enlise l’économie marocaine dans l’inconsistance et la vulnérabilité la fragilisant de résister aux chocs exogènes. Si jamais demain, le cours de pétrole explose de nouveau sur les marchés mondiaux, la demande et la pression sur le dollar augmenteront, ce qui déprécierait la valeur du dirham. Dans le système de change fixe, la BAM sera obligée de vendre des dollars pour faire aligner la valeur du dirham. De ce fait, la pression sur le stock des devises s’amplifie, surtout que, dans un tel système de change fixe, les agents économiques ne reçoivent aucun sifflet économique sur la nécessité de rationner leur consommation à la baisse ou de la quête de produits de substitution. Les réserves de change finiront par tarir et s’engloutir. L’intervention des bailleurs de fonds devient alors inexorable avec la mise sous tutelle de l’économie nationale et les programmes d’austérité brutale.
De l’avis même de l’institution de Christine Lagarde, un taux flexible offre une meilleure protection contre les chocs extérieurs tout en conférant une plus grande indépendance à la politique monétaire.
Somme toute, le système de change fixe semble plus que jamais en déphasage avec la nécessité pour l’économie nationale de s’intégrer dans la mondialisation, de gagner sa souveraineté monétaire et consolider sa résilience.
Le système de change actuel n’est plus adapté ni au contexte économique et social, ni aux enjeux liés à l’ambition marocaine de devenir une place stratégique en Afrique, d’en faire une plateforme financière, de l’intégration régionale du royaume et de bannir le risque que concourt le Maroc en continuant à opérer avec un système de change qui n’est plus adapté à sa réalité économique et financière. D’où la rupture avec le système de change fixe.
Nous pensons que la réforme du régime de change est une décision sage, volontaire, prise sans pression en référence au fonds monétaire international qui aurait fait pression sur le Maroc. C’est une décision souveraine et volontaire".
L’efficacité de la flexibilité du dirham reste tributaire des réformes d’envergure de nouvelles générations que les pouvoirs publics doivent initier pour escompter installer l’économie marocaine sur les sentiers de croissance lui assurant l’émergence à moyen terme.
Toutefois, la grande apostrophe qui reste posée : avec la limitation des la fragilité de nos réserves de change, liée à l’irrégularité et l’insuffisance des rentrées du tourisme, des IDE, et des transferts des MRE et la chronicité du déficit commercial structurel, le Maroc aurait-il des réserves de change probantes et suffisantes à même d’intervenir à chaque moment pour réguler le taux de change face à nos partenaires commerciaux et une compétition sans merci à la seconde qui intervient sur les marchés mondiaux ? D’où, à notre sens, l’intérêt d’une politique industrielle et commerciale capable d’assurer des rentrées de devises d’envergure et d’affûter notre taux de change réel reflétant le véritable état du marché.
Cela pose, in fine, avec acuité la nécessité de renforcer la compétitivité de notre offre exportable et notre stratégie d’attraction et de promotion des IDE à même d’assurer des entrées de devises plus contrôlées dans le cadre d’un régime de change flexible.
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