Ni la Banque du Japon, ni le gouvernement conservateur de Fumio Kishida ne sont favorables à un redressement des taux d'intérêt qui stopperait pourtant la dépréciation accélérée de la devise nippone. Ce jeudi, le yen se retrouve à des niveaux historiquement bas face au dollar et à l'euro.
Par Yann Rousseau
A chaque journée, son record. Le Japon s'est réveillé, ce jeudi, en découvrant que sa monnaie avait encore battu un record de faiblesse par rapport aux autres grandes devises de la planète. Tôt dans la matinée, à l'ouverture des marchés, un dollar permettait ainsi d'acheter plus de 134,50 yens sur les marchés internationaux. Du jamais vu en vingt ans. La monnaie nippone a aussi enregistré une nouvelle chute face à son homologue européenne. Un euro permettant désormais d'acquérir 144,20 yens. Il y a trois mois, un euro ne valait « que » 124 yens.
Si cette dépréciation commence à affoler les filiales d'entreprises étrangères dans le pays – elles se retrouvent contraintes d'acheter au prix fort à leurs maisons mères les marchandises qu'elles revendent sur le marché local dans une monnaie dévalorisée -, elle ne provoque pas de réaction très vive dans les lieux de pouvoir de Tokyo.
A la Banque du Japon (BoJ), on continue d'estimer que la valorisation du yen se fait en accord avec les mouvements du marché mondial et on refuse d'ajuster la politique monétaire. Mercredi, le gouverneur de la banque centrale, Haruhiko Kuroda, avait redit, devant le Parlement, qu'une « faiblesse stable » du yen pouvait même être profitable au pays car elle avantageait ses exportations.
La banque centrale estime qu'elle doit maintenir ses taux d'intérêt au plus près de zéro pour ne pas handicaper une économie déjà en contraction , ni étouffer la légère poussée d'inflation constatée, ces derniers mois, dans l'archipel après des décennies de stagnation ou de chute des prix. En avril, le taux général d'inflation avait atteint 2,1 % dans l'archipel mais le taux « core-core », qui exclut de ses calculs l'évolution du prix des produits frais et de ceux de l'énergie, n'était que de 0,8 %. Or, c'est ce chiffre que la BoJ suit pour fixer sa politique des taux. Et il ne dénote pas encore, selon elle, une reprise économique saine qui permettrait un relèvement des taux.
Pointant cette logique, les économistes estiment que le yen va continuer de se déprécier. « Nous pensons que les mouvements du yen reflètent les fondamentaux », a résumé, ce jeudi, Ranil Salgado, le chef de la mission du FMI au Japon, avant de rappeler que l'évaluation des devises répond à l'anticipation des marchés et à l'appétit des investisseurs pour les taux d'intérêt proposés dans différents pays.
Alors que la Réserve fédérale américaine et la Banque centrale européenne signalent un relèvement de leur taux, les grands investisseurs délaissent en masse le yen pour acheter plutôt du dollar et de l'euro. « Nous pensons que le maintien de cette divergence de politique monétaire va continuer d'affaiblir le yen face au dollar », tranchait, mercredi dans une note, James Railly de Capital Economics. Il voit ainsi le billet vert monté à 140 yens dans les prochains mois.
Pour l'instant, le gouvernement japonais fait le dos rond. Il a conscience que le yen faible renchérit le prix de nombreux biens de consommation et pénalise les ménages les moins aisés. De nombreuses marques ne parvenant plus à « encaisser » la hausse du prix des matières premières ou le renchérissement des composants qu'elles achètent à l'international. Uniqlo vient notamment d'annoncer qu'il allait devoir considérablement relever, dans ses magasins nippons, le prix de ses vêtements d'automne et d'hiver, actuellement en production dans ses usines d'Asie.
Malgré cette pression, Tokyo ne veut pas d'un redressement des taux. Il aggraverait sur le long terme son endettement public , qui équivaut déjà à 250 % du PIB. Le gouvernement conservateur de Fumio Kishida préfère s'endetter plus, à des taux bas, pour financer de multiples programmes de subventions publiques aux familles et aux entreprises pénalisées par la hausse des prix.
Yann Rousseau
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