A force de vouloir faire croître le PIB à tout prix, le pays dirigé par Recep Tayyip Erdogan est entré dans une spirale inflationniste dont il aura du mal à sortir. Les prix se sont envolés de plus de 60 % en un an. L'accumulation de déficits rend les investisseurs étrangers très nerveux.
Par Guillaume de Calignon
La Turquie a bien changé dans l'esprit des investisseurs internationaux. Le pays dirigé par Recep Tayyip Erdogan a accumulé les chocs économiques ces dernières années. Il y a d'abord eu, à l'été 2018, les tensions entre l'autocrate et son alter ego américain, Donald Trump, qui avaient incité les investisseurs à vendre leurs livres turques, puis le Covid, qui a fait plonger les recettes touristiques du pays.
Mais ce n'est pas tout. Si le pays a plutôt bien résisté aux effets de la pandémie, des choix politiques ont largement renforcé les difficultés de l'après-Covid. Alors que l'inflation remontait il y a un an, les banques centrales de la plupart des pays émergents ont commencé à relever leur taux d'intérêt pour endiguer la hausse des prix.
Le président Erdogan n'a pas vu les choses de cette façon. Il a limogé le gouverneur de la banque centrale et intimé à son successeur de baisser les taux pour relancer la croissance. Ils ont reculé de 500 points de base en trois mois et n'ont pas bougé depuis décembre. La Turquie étant une base de production de nombreux industriels européens et exportant beaucoup vers le Vieux Continent, baisser les taux doit faciliter le financement des exportateurs et des grands travaux.
Cette politique a permis au PIB de croître de 11 % l'an passé, après avoir évité la récession en 2020. ​Mais l'économie est en surchauffe. Les sorties de capitaux se sont accélérées à l'automne dernier, la livre a perdu près de la moitié de sa valeur par rapport à l'euro et au dollar, et l'inflation atteint désormais 61 % sur un an ! En réaction, le gouvernement a augmenté de 50 % le salaire minimum en début d'année. Nécessaire mais insuffisant pour soutenir la consommation.
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D'autant que la Turquie fait désormais face à une autre difficulté : la guerre en Ukraine affaiblit nettement son économie. Le conflit a fait grimper le prix des matières premières, notamment du blé et du pétrole, dont le pays est fortement importateur. Ce qui va mécaniquement accroître le déficit courant, alors même que les investisseurs sont réticents à financer l'économie.
A force de vouloir faire croître le PIB à tout prix, les déficits se sont creusés et sont redevenus une source d'inquiétude. Les économistes de Goldman Sachs s'attendent à ce que le déficit courant atteigne 4 % du PIB cette année. Une estimation « optimiste » de leur propre aveu, notamment si les prix des matières premières ne baissent pas, le pays étant dépendant du blé russe et ukrainien.
Scope Ratings est beaucoup plus pessimiste et anticipe un déficit courant de 8 % du PIB. L'agence de notation table sur un ralentissement de la croissance à 2,3 % cette année et juge que « la trajectoire actuelle de la Turquie est intenable ». Pour elle, « les politiques économiques insoutenables de la Turquie, la spirale de l'inflation et la dépréciation de la monnaie augmentent le risque de crises plus profondes de la balance des paiements, financière et politique. »
Le gouvernement pourrait décider d'exiger des exportateurs turcs qu'ils échangent 40 % de leurs devises étrangères en livres, contre 25 % actuellement, selon l'agence Bloomberg. Une sorte de contrôle des capitaux qui ne dit pas son nom.
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Guillaume de Calignon
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