Ancien dirigeant de la banque HSBC, auteur d’ouvrages économiques
ÉCONOMIE – On a vu plusieurs propositions fleurir sur le thème de la multiplication des Euros. Une solution “à la crise”, entendait-on, serait qu’on distingue des euros faibles et des euros forts
ÉCONOMIE – Rappelons qu’on avait suggéré dans un des articles précédents d’introduire une distinction entre la monnaie de tous les jours et la monnaie des échanges financiers internationaux. Fantaisiste? On a vu plusieurs propositions fleurir sur le thème de la multiplication des Euros. Une solution “à la crise”, entendait-on, serait qu’on distingue des euros faibles et des euros forts ; des Euros du Sud et des Euros du Nord; ou bien on se contenterait de traiter le cas grec en inventant un euro grec qui permettrait à la Grèce de sortir de la zone euro tout en y restant!
La créativité dans le domaine monétaire conduit parfois à des curiosités et c’est ce qu’on veut mettre en valeur dans les lignes qui suivent.
Euro fort et Euro grec
Donc, de nombreux commentateurs proposent qu’il y ait un Euro grec fonctionnant dans la sphère des échanges de tous les jours et un Euro de “plein exercice” qui, pour les Grecs, ne fonctionnera que dans la sphère financière. Dans cette hypothèse, un euro ne vaut plus un euro! C’est l’application monétaire du célèbre dicton en vertu duquel: “En Démocratie, tout le monde est égal sauf qu’il y en a qui sont plus égaux que les autres”. Cette idée a des effets auxquels on ne pouvait pas ne pas s’attendre, les Grecs cherchant à récupérer des billets: au moins ceux-là “vaudraient” dans toute la Zone Euro. Il n’y a pas de billets grecs! Quand on a “inventé” la monnaie unique, on a pris soin d’émettre des billets qui ont tous la même apparence suivant les valeurs faciales. Il y a pas de dessins français pour les billets de 100 euros fabriqués en France, ni de dessins allemands etc… Donc, les Grecs, en toute sagesse, plutôt que de conserver de la monnaie scripturale grecque dans des banques en Grèce, sont incités à l’arbitrer contre de la monnaie fiduciaire “Euro”! Au risque d’une pénurie de billets!
D’après les observations de la Banque Centrale Grecque, la monnaie scripturale se transforme quotidiennement en monnaie fiduciaire à raison de 1 ou 2 milliards, bons jours, mauvais jours. Ici c’est de l’Euro des transactions courantes, au jour le jour qu’on discute, celui qui concerne le petit peuple. Les “gros”, profitant de la continuité européenne de l’Euro financier, ont procédé depuis longtemps à des virements vers les banques des pays forts de la “zone euro fort” ou vers d’autres havres de sécurité.
Laissons courir un peu d’imagination et donnons du crédit à cette information insensée: “les imprimeries de la Banque Nationale de Grèce risquent de se trouver à court de papier fiduciaire”. C’est avec ce genre d’histoire anodine qu’on déclenche des émeutes.
Lorsque les choses deviennent rares, elles deviennent chères. C’est un mécanisme économique que tout le monde comprend depuis la nuit des temps.
Or, on évoque ici la rareté des billets de banque et sa conséquence: selon pareille hypothèse, ceux qui ont des billets les stockent jalousement mettant ainsi une forte pression sur leurs concitoyens désireux de changer leur monnaie scripturale en monnaie fiduciaire. Affolés par la pénurie, certains détenteurs de monnaie scripturale en viendraient à accepter de payer les billets plus chers que leur valeur faciale: un billet de 50 euros sera acheté 55 euros en monnaie scripturale! Ainsi, assistera-t-on à un processus de dévalorisation des dépôts en Banque! La monnaie scripturale sera dévaluée contre la monnaie fiduciaire!
La “bourde” de la Bundesbank
Pareille situation, absurde et parfaitement imaginaire, ne peut être laissée en l’état: il faudrait tout faire pour pallier la rupture d’approvisionnement en papier fiduciaire. Imaginons que les Allemands sollicités répondent positivement à l’appel des Grecs. L’hyperinflation des années 1920 leur a appris qu’il faut toujours avoir du papier en réserve pour imprimer des billets de banque. Imaginons que les Allemands, n’écoutant que leur bon cœur, envoient du papier en stocks, pré-imprimé, prêt à l’emploi en quelque sorte. On l’a déjà rappelé, à la différence des pièces de monnaies, les billets se ressemblent tous dans la zone euro.
Sur ces formulaires, il ne resterait plus qu’à apposer la signature des responsables grecs de l’émission monétaire. On ne peut pas faire plus accommodant. Sauf qu’ici, on va continuer à “imaginer”: on va “faire comme si” les Allemands prompts à la rescousse avaient commis une énorme bourde. Tout vient du numéro! Le numéro pré-imprimé des billets transmis à la Banque nationale de Grèce comporte le fameux “X” qui dit que le billet est émis par la Bundesbank. Pour la Grèce, c’est “Y”. Pour la France, “U”. Chaque membre de la Zone euro est identifié par une lettre de l’alphabet. On imagine ici que personne ne s’est aperçu de cette notation. A priori, il n’y a là rien qui puisse déclencher des émeutes!
Sauf que, venant à découvrir leur erreur, les Allemands sont pris de panique. Leurs juristes préviennent que les billets marqués “X” étant des billets allemands, reconnus à la Bundesbank, ce sont autant de créances contre elle! Les Grecs en convertissant toute leur monnaie scripturale, c’est-à-dire leurs créances contre les banques grecques, en monnaie fiduciaire allemande acquièrent des titres contre la Bundesbank! Si on laisse faire, la dette grecque va se retrouver finalement entre les mains de la veuve de Düsseldorf davantage favorable au “grexit” qu’à l’entre-aide européenne.
Pire: en Grèce, les porteurs de Billets “Y” se précipitent pour s’en débarrasser contre des “U” (France), des “X” (Allemagne) etc. Du coup, le Billet grec, après la monnaie scripturale grecque, perd une bonne part de sa valeur et nous revoilà donc avec le fameux “Euro” grec. Celui qui n’a pas la même valeur que l’Euro commun aux autres membres de la Zone euro.
Bizarre, Bizarre…
De l’Euro Grec à l’Euro “Euro”
Continuons à “imaginer” (quoique cela tourne au cauchemar!). Puisque c’est fait, puisqu’il y a deux valeurs de l’Euro, l’une pour la Grèce, l’autre pour le reste de la Zone euro, alors le gouvernement grec, décide de ne plus se gêner et se lance dans une production sans frein d’Euros Grecs.
Les Allemands qui découvrent ce genre de choses entrent en transe et répètent en boucle: “hyperinflation, hyperinflation”! Il est vrai que cette maladie de la monnaie peut faire des ravages. L’exemple récent du Zimbabwe est “topique”: “Si l’argent manque pour nos projets, nous l’imprimerons”, avait scandé le président du Zimbabwe, Robert Mugabe. L’histoire est finie: la monnaie locale, le dollar zimbabwéen va disparaître. Le billet de 100.000 milliards qui ne vaut plus que 40 centimes de dollars américains ne se trouve plus que dans les échoppes pour touristes.
Les Zimbabwéens pourront retrouver les avantages de la monnaie scripturale… le taux de change en dollar US sera meilleur pour les détenteurs de comptes en banques que pour ceux qui avaient préféré faire confiance à leurs matelas. Puis, ils seront incités à ouvrir un compte en dollars US ou en Rand sud-africain lesquels deviendront les monnaies de transaction et d’épargne au Zimbabwe.
Pour le coup, ceci n’est pas sorti d’un rêve ou d’un cauchemar. Cela se déroule dans la vraie vie!!! Extrapolons… imaginons qu’une trop intense production d’Euro grec conduise à ce genre de situation. Alors, il faudrait le démonétiser et user pour les transactions et l’épargne, d’une autre monnaie: celle de la Zone euro, celle des pays forts.
Et on sera revenu au point de départ! Non! Décidément non! La formule des valeurs multiples de l’Euro n’est pas la bonne idée pour sortir les grecs de l’ornière.
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