Le dépeçage de la Pologne ne fut pas un malheureux accident du à des circonstances fortuites. Il était la conséquence de la « démocratie nobiliaire » qui distinguait alors la « République ».
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Il y a 250 ans, la Pologne subissait le premier partage de son territoire, prélude à sa disparition en tant qu’État. En effet, le 5 août 1772, Autrichiens, Prussiens et Russes officialisaient leurs actes de brigandages étatiques. Cet épisode lointain prend aujourd’hui une autre tonalité avec le conflit ukrainien. En effet la « Pologne » historique englobait les territoires des actuelles Pologne, Ukraine, Biélorussie, Lituanie. Comment cet État longtemps si impressionnant a-t-il pu disparaître ? Ne jouissait-il pas d’une « liberté dorée » qui suscite encore bien des enthousiasmes ? Mais cette « liberté dorée » portait trop bien son nom. Rien ne vaut certes la liberté mais la liberté sans épithète.
À la fin du XVIe siècle, elle s’étendait sur 815 000 km2 ce qui en faisait le plus vaste État d’Europe. Au-delà de ses frontières, on sortait de l’Europe pour entrer dans une Moscovie qui s’apprêtait à devenir la Russie. Et d’une certaine façon la tragédie ukrainienne et l’expansionnisme russe doivent beaucoup aux heurs et malheurs du royaume de Pologne. Des décombres de la Pologne surgissaient à la fin du XVIIIe siècle les deux calamités de l’histoire européenne contemporaine : la Prusse et la Russie.
Le dépeçage de la Pologne ne fut pas un malheureux accident du à des circonstances fortuites. Il était la conséquence de la « démocratie nobiliaire » qui distinguait alors la « République ». Le mythe de la « liberté dorée » est cher aux yeux de certains libéraux soucieux d’exalter de prétendus modèles historiques. Après tout, Voltaire et surtout Rousseau s’y sont laissés prendre. Mais les faits sont têtus et la réalité historique moins reluisante.

La Pologne n’a-t-elle pas évité les sanglantes guerres de religion ravageant alors l’Occident ? Les rois de Pologne n’ont-ils pas vu leur pouvoir limité alors même que l’absolutisme triomphait en Europe ? Est-il possible de concevoir un appareil étatique plus faible que dans cette Pologne si chérie ?
Mais la « liberté dorée  » n’avait rien à voir avec les « libertés anglaises ». Si ces dernières conduiront Albion à la puissance mondiale, la première provoquera la disparition de la Pologne. La prospérité commerciale du « grenier de l’Europe », véritable rêve, ou plutôt cauchemar physiocratique, s’était payé d’un prix très élevé. La « république des propriétaires » se révélait une impasse économique. Avec l’asservissement de la paysannerie et l’étiolement de la bourgeoisie, la Pologne tournait le dos à tout développement réel.
En effet, loin de sa flatteuse réputation, l’anarchie polonaise reposait sur la réduction à une situation de quasi esclavage de la plus grande partie de la population et sur les intérêts égoïstes d’une caste fermée et arc-boutée sur ses privilèges. La tendre affection pour la « liberté dorée » polonaise manifestée constamment par les autocrates russes devrait d’ailleurs mettre la puce à l’oreille des chantres du modèle polonais.
 
La « démocratie nobiliaire » limitant le pouvoir du roi remonte à la fin du XVe siècle. La noblesse polonaise était devenue la « nation polonaise » connaissant son « siècle d’or » après la disparition du dernier Jagellon. Désormais les rois devaient être élus beaucoup plus librement par la Diète. La noblesse choisissait un roi français, Henri de Valois, le futur Henri III. Le passage-éclair du « roi malgré lui » fut un moment fondateur. Il était plus facile d’imposer à un roi venu de loin des concessions renforçant le pouvoir de la Diète et les privilèges de la noblesse (1573). La Pologne devait désormais connaître le plus souvent des rois d’origine étrangère avec la dynastie suédoise des Vasa et la dynastie saxonne des Wettin.
Le principe Nihil novi s’était imposé. Rien de nouveau ne devait être décidé sans l’accord de la res publica des nobles. Au moment où l’abolutisme se développait en France, le roi de Pologne perdait le droit d’anoblir et ne pouvait plus lever de troupes sans l’accord de la Diète. Mais cette évolution n’était en rien comparable au tournant « libéral » que devait connaître l’Angleterre des Stuart. L’anoblissement disparaissant, la noblesse polonaise devenait une caste fermée. La « république des propriétaires » reposait ainsi uniquement sur l’hérédité.
 
La couronne polonaise, dite « République des deux Nations », se composait de deux ensemble.
Le premier formant la Pologne proprement dite, mais qui ne correspond pas tout à fait à la « Pologne » d’aujourd’hui et l’autre la « Lituanie ». Cette dernière, très vaste, s’étendait de la petite Lituanie moderne à l’Ukraine actuelle jusqu’aux portes de la Crimée. L’une était un royaume, l’autre un grand-duché. L’une était catholique utilisant l’alphabet occidental, l’autre orthodoxe pratiquant l’alphabet cyrillique. En 1569 l’Union de Lublin scellait l’unité politique des deux entités ayant désormais une Diète commune. La « république des deux Nations » entraînait une forte polonisation aux dépens surtout du peuple « ruthène » et orthodoxe de plus en plus soumis à des maîtres catholiques.
En effet, la liberté nobiliaire s’accompagnait d’un asservissement croissant de la paysannerie. Ce léger « détail » est souvent oublié des thuriféraires de ce prétendu modèle libéral. On retrouve d’ailleurs la même myopie chez les « libertariens » exaltant l’ancien Sud des États-Unis, prétendu paradis libéral fondé sur l’esclavage. La « liberté dorée » était réservée à une noblesse qui n’avait eu de cesse de renforcer le travail forcé aux dépens du travail rétribué pendant le fameux « âge d’or ». Les villes déclinaient avec l’attachement à la glèbe et le monopole de la propriété foncière par la noblesse.
 
La polonisation provoqua même une catholicisation de l’orthodoxie avec l’Union de Brest (1596) créant l’église uniate ou catholique grecque. Un siècle plus tard, le ruthène cessait d’être utilisé par l’administration. Il devint la langue exclusive du petit peuple orthodoxe.
Dans ce qui ne s’appelle pas encore l’Ukraine, les « Ruthènes » commencent pourtant à affirmer une identité nationale. La population paysanne, s’appuyant sur les cosaques, ne cessera de lutter contre l’emprise d’une noblesse toujours plus avide.
Pays archaïque, peuplé avant tout de serfs misérables, surtout dans la partie ukrainienne, dominés par une noblesse aussi nombreuse que rétrograde, la République comptait ainsi peu de villes et une bourgeoisie devenue très faible. Si les nobles étaient quasiment les seuls hommes libres des campagnes, la plupart étaient pauvres et vivant chichement d’un maigre lopin de terre.
L’importante population juive, 10 % du total des habitants, concentrée dans les villes, vivait à part. Sa croissance démographique continue du XVIe au XVIIIe siècle, était la contrepartie de la toute-puissance de la noblesse. Le mépris nobiliaire pour les activités commerciales et artisanales avait favorisé leur abandon aux mains des Juifs.
 
La Diète, toute-puissante, était en réalité impuissante en raison de la règle de la sacro-sainte unanimité. Les représentants des diètines locales recevaient un mandat impératif et les égoïsmes locaux paralysaient toute décision. Le liberum veto, l’opposition d’un seul député, suffisait à dissoudre la Diète.
Le pouvoir revenait de fait à une étroite oligarchie de grands aristocrates nommés à vie à diverses fonctions. Longtemps fascinés par les Turcs et les Tatars, ce dont témoigne leurs vêtements somptueux très orientaux, ces magnats trop puissants vont provoquer in fine l’effondrement de la République. La noblesse exaltait une prétendue origine « sarmate » qui la plaçait ethniquement au-dessus d’une plèbe toujours plus méprisée. Le catholicisme devint tout autant son signe distinctif.
Longtemps présenté comme un modèle de pluralisme ethnique et religieux, la Pologne sombrait dans un catholicisme de plus en plus exclusif. Champions de la contre-réforme, les jésuites avaient vite compris qu’ils ne servaient à rien d’exalter le pouvoir royal ou de se préoccuper du sort des paysans. Désormais ils se feront les chantres de la « liberté dorée ». En 1656 la Vierge Marie est proclamée « reine de la couronne de Pologne ». Les temples protestants avaient été démolis. L’uniatisme devenait un instrument de domination contre les orthodoxes. Les Juifs commencèrent à devenir des boucs émissaires commodes surtout après le « Déluge » que devait connaître le pays au XVIIe siècle.
 
Soucieuse de s’affirmer comme puissance avec les Romanov, la Russie avait commencé à poser ses pions du côté ukrainien. Le mythe de la « Rous » kiévienne dont la Russie tsariste serait l’héritière légitime comme « troisième Rome » prenait son envol. La « Grande Pologne » allait peu à peu s’effondrer sous les coups de la « Grande Russie ». Le tsar soutenait les cosaques, guerriers paysans ruthènes, pour pouvoir mieux étendre son territoire au-delà du Dniepr.
La seconde moitié du XVIIe siècle vit le territoire polonais ravagé tantôt par les Russes, tantôt par les Suédois. Les alliances avec la Maison d’Autriche ou les Turcs fluctuaient au gré de la conjoncture. Les Brandebourgeois obtinrent le contrôle total de la Prusse orientale dès 1657. Mais au sortir du « Déluge », la Pologne paraissait sinon intacte du moins préservée. La noblesse en tira une conviction qui se révéla fâcheuse pour la suite. Point n’était besoin de trésor public ni d’armée. La Diète unanime et le roi impuissant devaient rester les deux piliers de la « liberté dorée ». Tel était le « sarmatisme » qui dominait une caste soucieuse de maintenir ses privilèges. Pour elle, protégée par la Providence, la République ne menaçant personne n’avait rien à craindre de ses voisins.
 
Désormais, la Pologne serait un pays en proie aux incursions étrangères. « La Pologne ne tient que par son anarchie » devint le proverbe favori. Depuis Louis XIV la France avait inclus la Pologne dans son sytème d’alliance orientale avec l’Empire ottoman. Mais le plus vaste État d’Europe faisait illusion vu de Versailles. En réalité, il n’était guère plus peuplé que l’Espagne.
La Russie se voulait désormais l’infatigable protectrice de la « liberté dorée ». Dix-huit mille soldats russes étaient présents à Varsovie en 1717 pour mieux tenir la « Diète muette ». Le traité adopté sans discussion réduisait à rien la force militaire du pays. Les autres puissances ne tardèrent pas à vouloir, elles aussi, « garantir » ces si chères libertés polonaises. Déjà Prussiens et Autrichiens rêvaient, comme devait l’écrire un jour Frédéric II de Prusse, de la déguster comme un artichaut, feuille à feuille.
Deux clans dominaient l’aristocratie. Les princes Czartoryski formaient la « Famille » et rêvaient de réformer le pays. Leurs rivaux étaient les Potocki qui souhaitaient écarter les Saxons au profit de Stanislas Leszinski, beau-père du jeune Louis XV. La « succession de Pologne » ne fut qu’un coup d’épée dans l’eau. Candidat des Russes et des Autrichiens, l’électeur de Saxe, Auguste III, devait régner trente ans sans guère bouger de Dresde.
 
Les Diètes étaient dissoutes régulièrement par le liberum veto au gré des interventions prussiennes, françaises ou russes. La France ne devait jouer un rôle positif que par son influence culturelle. Désormais les nobles portaient habit et perruque et construisaient de superbes demeures avec des parcs à la française. Précepteurs, maîtres de danse et d’escrime français pullulaient. M. Jourdinski triomphait.
La Guerre de Sept Ans qui avait vu les armées du roi de Prusse occuper la Saxe avait contribué à discréditer les Wettin. Certes, en se réfugiant à Varsovie, le vieux roi Auguste III avait rendu à la ville son rôle de capitale mais le commerce polonais en avait subi le contrecoup. Frédéric II, s’étant emparé de l’hôtel des Monnaies de Dresde, inondait le pays d’une monnaie qui avait perdu toute valeur.
 
L’heure était venue pour le jeune Stanislas Poniatowski, fils de Constance Czartoryska, adepte des Lumières mais doté, hélas, de peu de caractère. La grande Catherine, qui après l’avoir mis dans son lit souhaitait l’installer sur le trône, soutint sa candidature. Le roi de Prusse n’avait rien à refuser à la Russie et s’inclina. La tsarine songeait à contrôler le pays avec un roi à sa botte. Pour cela, il importait que le liberum veto soit maintenu.
Élu roi le 6 novembre 1764, Stanislas crut pouvoir réformer le pays. Une école de cadets, dont la vocation n’était pas que militaire, visait à diffuser les idées nouvelles, notamment par le biais de son journal, Monitor. Mais dès qu’il fut question de faire disparaître le liberum veto, la Prusse et la Russie se firent menaçantes. Pourtant le soutien ostensible de Catherine aux orthodoxes provoqua la fureur des catholiques conservateurs qui se soulevèrent au nom de la vierge Marie et des « libertés dorées » en 1768.
 
La confédération de Bar devait être la dernière manifestation de la petite noblesse polonaise. En effet, les serfs ukrainiens, persuadés de bénéficier de la protection russe, se révoltèrent contre leurs maîtres. Ils massacrèrent des milliers de nobles polonais mais aussi des juifs vus comme leurs « complices ». L’insurrection paysanne devait être écrasée impitoyablement par les ennemis de la confédération, l’armée royale et l’armée russe. Les confédérés survivants furent envoyés en Sibérie par la tsarine. Elle faisait d’une pierre deux coups.
De son côté, la France poussait les Ottomans à la guerre contre la Russie, tout en soutenant les confédérés avec l’appui de l’Autriche. Toute une propagande anti-russe fut mise sur pied. Mably rédigea un Manifeste de la république confédérée de Pologne en 1771 et Rousseau peignait une image très idéalisée de la République dans ses Considérations sur le gouvernement de Pologne. Voltaire, stipendié par Catherine, tentait vainement d’exalter la tsarine en championne de la tolérance. Mais en s’en prenant à Stanislas, les confédérés pourtant prêts à abandonner l’alliance russe, ne firent qu’affaiblir leur cause.
 
De toute façon, le sort de la Pologne était déjà scellé. L’Autriche se jetait sur le sud et s’emparait de la région de Lwow, la plus peuplée. De son côté, la Prusse s’empressait de contrôler les territoires permettant de relier la Prusse orientale au Brandebourg. À l’est, les Russes prirent la plus grosse part du gâteau polonais mais sur des territoires peu peuplés.
Ce premier partage aboutissait ainsi à la perte de 211 000 km2 et d’un tiers de la population de la République. Les trois puissances signèrent un traité le 5 août 1772 pour officialiser la chose avant de le faire ratifier par une Diète réunie à Varsovie sous la judicieuse protection de leurs troupes.
Catherine, dont le catalogue était fourni, installait sur le trône polonais un autre de ses anciens amants, Stanislas Auguste Poniatowski. Son règne devait donner l’illusion d’une brillante, mais éphémère, renaissance de l’État polonais. C’était en réalité l’ultime répit avant la curée finale.
 
À lire :
Daniel Beauvois, La Pologne des origines à nos jours, Le Seuil 2010
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