La gouverneure de la Banque centrale russe essaye de contenir la chute du rouble, et de maintenir l’économie à flot.
La présidente de la banque centrale russe, Elvira Nabiullina (ici à Saint-Pétersbourg le 1er juin 2017), fait preuve d'une ténacité et d'une compétence reconnues de tous.
afp.com/Olga MALTSEVA
Les banquiers centraux ont l’habitude de voir leurs mots décortiqués et suranalysés. Ils les pèsent soigneusement, pour éviter de déclencher des cataclysmes. Pour Elvira Nabioullina, la gouverneure de la Banque centrale russe (BCR), la communication passe aussi par des broches, choisies pour correspondre aux messages qu’elles délivrent. En mars 2021, lorsqu’elle avait annoncé la première hausse des taux depuis trois ans, elle avait ainsi accroché un faucon sur son blazer rouge. Lundi 28 février, nulle trace de bijou sur ses vêtements noirs au moment où elle annonçait une brutale hausse des taux d’intérêt de 9,5% à 20% pour faire face aux secousses économiques déclenchées par les sanctions occidentales.
Un détail commenté, mais pas autant que son attitude lors de la réunion convoquée le même jour par Vladimir Poutine pour faire le point sur la situation. Regard baissé, bras croisés, main qui cache nerveusement sa bouche… L’anxiété de la femme qui a joué un rôle clé dans le renforcement de la puissance économique russe était à peine cachée. Rien d’étonnant à cela. Elvira Nabioullina est aujourd’hui en première ligne pour mener une bataille décisive pour la Russie, celle du rouble, en chute libre depuis le début du conflit en Ukraine.
Dimanche, les Occidentaux lui ont asséné un grand coup en visant une de ses armes. Une partie des réserves de change, celle déposée auprès des grandes banques centrales occidentales, a été gelée. Résultat, la capacité de la BCR à utiliser son “trésor de guerre” pour soutenir sa devise s’est considérablement amoindrie. Pour les Européens et les Américains, l’objectif n’est pas caché : précipiter la dépréciation du rouble, pour faire déraper l’inflation ; et amputer largement le pouvoir d’achat des Russes, qui ne s’était pas encore tout à fait remis de la crise du Covid… Une façon d’alimenter une colère sociale qui pourrait déstabiliser le pouvoir.
Elvira Nabioullina a encore, malgré tout, des armes dans sa poche. En premier lieu une ténacité et une compétence reconnues de tous. Grosse tête, pragmatique et méthodique, cette élève brillante née dans une famille de la classe ouvrière tatare, passionnée de poésie et diplômée d’économie de l’Université de Moscou, a réussi à gravir un à un les échelons, depuis une carrière discrète dans l’administration dans les années 1990 jusqu’au siège de banquière centrale en 2013. Elle est alors la première femme à occuper ce poste au sein du G8 et a même été élue “meilleur banquier central” d’Europe en 2017.
Surtout, elle affiche un bilan impeccable : son action à la tête de la banque centrale est saluée par tous et sa politique monétaire perçue comme crédible. Malgré les sanctions mises en place en 2014 contre la Russie, elle a réussi à stopper la chute du rouble et à endiguer l’inflation. Elvira Nabioullina n’a pas non plus eu peur d’opérer une purge dans un secteur bancaire en plein marasme, en fermant plusieurs centaines d’établissements, et a tenu tête à des oligarques qui avaient pris l’habitude de vivre des largesses de la CBR. Elle a également modernisé la banque centrale et a mis en place des séminaires pour faire monter en compétences les équipes de l’institution.
Autre atout dans sa manche : le président russe a une confiance absolue en elle. La gouverneure de la banque centrale a fait ses preuves à ses côtés depuis de nombreuses années. Elle a aidé à l’écriture de son programme économique en 2000, était à la tête du ministère du Développement économique pendant la crise de 2008 et l’a ensuite rejoint en tant que conseillère quand il a repris son siège de président en 2012. A la tête de la BCR, elle a été un élément clé de l’objectif de Poutine : consolider économiquement le pays, afin de restaurer sa puissance perdue. La gouverneure de la Banque centrale est d’ailleurs l’une des rares personnes qu’il appelle par son prénom, même en public.
La solide banquière centrale n’a pas failli à ses réputations après la mise en place des sanctions occidentales. Même si ses marges de manoeuvre ont été réduites, elle n’est pas restée les bras croisés et s’est activée pour soutenir le rouble. En plus de la hausse brutale des taux d’intérêt, Elvira Nabioullina a mobilisé les réserves non gelées et notamment celles d’or, incité les entreprises russes exportatrices à “participer” à l’effort de guerre en vendant leurs réserves en devises pour soutenir aussi le rouble et interdit aux Russes de transférer des fonds à l’étranger. Elle a même menacé d’un défaut sur la dette extérieure, c’est-à-dire que les entreprises ne rembourseraient pas leurs dettes libellées dans une autre monnaie que le rouble et a déjà assoupli certaines règles dans le secteur financier.
Cela sera-t-il suffisant ? Si la situation se détériorait encore, pas forcément… “Ses marges de manoeuvre seraient alors beaucoup plus limitées, à l’exception d’une nouvelle hausse des taux pour défendre le rouble”, analyse un économiste spécialiste du pays qui a préféré rester anonyme. Une arme qui n’est pas sans effet collatéral : chaque tour de vis supplémentaire vient renchérir les emprunts pour les particuliers et les entreprises. Mais dans une vidéo destinée à ses équipes et diffusée ce mercredi, celle-ci a assuré que la CBR ferait tout pour aider le système financier russe et qu’elle affronterait n’importe quel choc. Malgré son anxiété, Elvira Nabioullina ne semble pas prête à déposer les armes.
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