Maastricht. Le nom écorche la langue. À sa prononciation, le non-néerlandophone souffre, un peu, à l’image de ce « i » ceinturé de chaque côté par trois consonnes. Maastricht est aussi un symbole. Pour les millions de fans de musique classique populaire, c’est avant tout la cité du violoniste André Rieu. Pour beaucoup d’autres, c’est surtout celle « du traité ». Oui, le traité de Maastricht de 1992, celui qui acta la naissance de l’Union européenne telle qu’on la connaît aujourd’hui, et propulsa cette ville moyenne des Pays-Bas sur le devant de la scène européenne – sur la scène mondiale, son premier ambassadeur reste bien André Rieu!
Le traité compte autant de partisans que de détracteurs : célébré pour avoir créé la monnaie unique, la citoyenneté européenne, un espace d’échanges économiques facilités. Mais décrié, car il est aussi synonyme de règles économiques drastiques et d’institutions considérées trop technocratiques, loin des peuples dont elles prétendent accompagner le destin.
Ces passions européennes mises à part, il reste Maastricht, la ville, en chair (122 000 habitants) et en briques, coupée en deux par la Meuse. Nichée tout au sud des Pays-Bas, juste à côté de la frontière belge, tout proche de celle de l’Allemagne, c’est un carrefour. Et puis il y a ses charmantes petites rues pavées, des restes de l’ancienne citadelle médiévale. Et, comme dans tout le pays batave, beaucoup de vélos.
Ici, on pose un pied dans l’histoire de l’Europe sans le savoir. Ou presque. Il y a bien le Plein 1992, ces quelques étoiles orange géantes siglées « Maastricht : Meet Europe » çà et là. Les autorités locales ont fait le pari de faire prospérer cette partie de leur ADN européen, en tentant de garder vivante la flamme allumée il y a vingt-sept ans.
« Notre principal objectif est de faire de Maastricht le lieu du débat sur l’Europe, parce qu’on pense que l’Europe est vraiment une nécessité », nous explique Jean Bruijnzeels, 63 ans, chargé des questions économiques et culturelles à la mairie. C’est lundi, il porte un costume, une cravate et une oreillette. Car ce soir-là, le théâtre reçoit le tout premier débat entre les têtes de liste des groupes politiques du Parlement européen, retransmis en direct sur Internet. L’un d’entre eux est censé être élu président de la Commission européenne après les élections. En 2014, déjà, ils étaient venus s’affronter dans la cité orange.
Plusieurs centaines de jeunes assisteront à la joute dans l’enceinte du théâtre, quand dehors, un petit « village festival » a été installé pour que chacun puisse suivre la retransmission sur écran géant. Entre deux food trucks, des stands d’information sur l’Europe, un bar et dancefloor sous chapiteau pour l’après-débat. Objectif : casser l’image austère et rasoir qui colle à la peau du sujet européen. Finalement, ils ne seront pas loin de 200, dehors, à venir écouter parler de fake news, d’écologie, d’avenir de l’Europe, une pinte de blonde ou un verre de rouge à la main. Et plus de 11 millions de spectateurs en ligne.
Un petit groupe d’étudiants d’une vingtaine d’années discute à côté du bar. Olof le Hollandais, Dani le Portugais et Anna et Sabina, toutes deux allemandes. « On peut critiquer beaucoup de choses, mais l’Union européenne est la bonne solution, défend le premier. Et il y a de plus en plus de défis, comme le climat, qu’on ne peut pas résoudre chacun dans son coin. »
« Oui, mais l’UE est trop loin de nous », déplore Anna. « Trop de gens ne savent pas ce qu’elle fait pour nous », reprend sa voisine. « Et il faudrait aussi que l’Europe s’intéresse à l’aspect social, à l’écologie. » La soirée se poursuit, ça parle politique. On vide son sac et pas mal de pintes. Sous le chapiteau, plusieurs dizaines de jeunes s’oublient dans la nuit sur de l’électro.
Les étudiants représentent environ 10 % de la population de la ville. Et parmi ceux-là, un sur deux est de nationalité étrangère, en échange grâce au programme Erasmus. Il permet de recréer des petites communautés, à travers lesquelles les jeunes Français, Allemands ou Suédois éprouvent pour la première fois cette appartenance commune à une entité qui dépasse les frontières de leur pays d’origine. « Avant de venir ici, je n’aurais pas dit que je me sentais européenne. Je me sentais italienne, chez moi on ne parlait jamais d’Europe », confie Gaia, 21 ans. Elle dit avoir « plutôt foi dans le projet européen », maintenant qu’elle en perçoit, sur certains points, la finalité.
Petites lunettes rondes sur le nez, Charlotte y croyait, mais étudier les rouages des institutions de Bruxelles l’a déprimée. « Tout semble tellement compliqué pour faire bouger les choses », souffle cette jeune Française. Pour beaucoup, l’UE devient ici plus concrète. D’autant que l’université propose un nombre important de cours qui touchent de près ou de loin à l’Europe, en matière de droit notamment. On y vient aussi pour ça. À l’image de Salomé, 23 ans, venue de Bordeaux (Gironde). Elle se sent européenne et s’y intéresse depuis un moment, regrette aussi qu’on « ne soit pas assez informé » en France sur l’UE.
Maastricht essaie, à son niveau, de corriger ça. Après avoir soufflé les 25 bougies du traité en 2017, la région, la ville et l’université ont joint leurs efforts et créé Maastricht, Working on Europe, un programme visant à encourager la recherche sur les sujets liés à l’Union européenne. Le festival en marge du débat était leur initiative. « Nous voulons être un laboratoire pour parler des défis européens de demain, créer des lieux où les gens peuvent débattre. Pas juste une bulle universitaire », explique Goony Willems, la directrice du programme. « Il ne s’agit pas d’étudier le passé, mais aussi de se pencher sur le futur de l’Europe », poursuit la jeune femme.
Le défi est d’ampleur dans un pays où la participation aux élections européennes n’est pas plus forte qu’ailleurs. Et où les mouvements populistes eurosceptiques – du Parti pour la liberté de Geert Wilders au Forum pour la démocratie de Thierry Baudet – réalisent de très hauts scores. « Nous sommes un peu le petit village gaulois qui résiste et parle d’Europe », plaisante Jean Bruijnzeels. Il sait aussi parfaitement que la notoriété qu’a gagnée sa ville depuis 1992 ramène aussi son lot de touristes. Ils sont 4 millions chaque année, dont un tiers d’étrangers.
Comme Rome ne s’est pas faite en un jour, il faudra en tout cas du temps à l’Union pour redorer son blason terni. Et Maastricht espère modestement apporter sa brique à l’édifice.
On a tous un peu de Maastricht dans son porte-monnaie, puisque le traité est à l’origine de la création de l’euro. Pour revenir à ses origines, il faut se rendre sur une petite île flottant sur la Meuse. Dans un bâtiment massif de brique rouge sombre. Pendant des mois, en 1991, les ministres de douze Etats européens s’y sont retrouvés pour d’interminables et âpres négociations. Ils occupaient la grande salle circulaire du rez-de-chaussée, où les grandes baies vitrées donnant sur le fleuve apportent un peu de lumière à la pièce embrumée par les fumées de cigarettes.
Le 7 février 1992, jour de signature du traité, Roland Dumas, ministre des Affaires étrangères, et Pierre Bérégovoy, à l’Economie, tiennent le stylo côté français. François Mitterrand, costume gris clair, a fait le déplacement. « Mitterrand me prend à part et me dit : Roland, j’espère que vous vous rendez compte que ce vous venez de signer, c’est aussi important que le traité de Rome », nous confie l’ex-patron du Quai d’Orsay.
Le traité original repose à Rome, mais chaque pays signataire en possède une copie signée. Quant à la fameuse table de bois, elle est devenue un meuble pour l’histoire devant lequel les visiteurs s’offrent un selfie.
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