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Enquête« Uncharted 4 », la dernière superproduction de la PlayStation 4, reconstitue en détail les paysages de l’île Rouge. Depuis plusieurs années, la jeune industrie malgache se bat pour rendre elle aussi hommage à son pays.
« Le jeu vidéo Uncharted 4 ne met pas vraiment Madagascar en valeur, ils se sont inspirés du décor mais ne parlent pas vraiment du pays, tranche Matthieu Rabehaja, cofondateur du studio malgache Lomay Technology. Mais la qualité graphique reste fidèle. Nous avons pu retrouver certains endroits familiers au premier coup d’œil, comme les maisons typiques et le palais du premier ministre, le marché, avec les tarifs en monnaie locale, les taxis, la couleur, etc. »
Sortie mardi 10 mai sur PlayStation 4, la dernière la superproduction des Américains de Naughty Dog est unanimement saluée par la presse spécialisée mondiale pour sa qualité visuelle estomaquante, et plus particulièrement celle d’une longue séquence à Madagascar.
« Nous avons fait énormément de recherches pour tenter de reproduire l’environnement de Madagascar de la manière la plus réaliste possible, en utilisant toute la puissance de la PlayStation 4 », expliquait, en avril, Ricky Cambier, lead designer du studio Naughty Dog, de passage à Paris. Mais elle a été scrutée avec des sentiments bien plus contradictoires à Madagascar, un pays où la jeune et fragile industrie désespère depuis plusieurs années de pouvoir rendre hommage à son pays en jeu vidéo.
Au niveau international, l’île Rouge est toute petite. Avec 1,3 To de données téléchargées chaque semaine sur la plateforme de jeu Steam, soit 128 fois moins que l’Afrique du Sud, elle se situe modestement dans le top 5 des principaux marchés d’Afrique subsaharienne.
Cela n’empêche pas l’industrie locale d’avoir donné naissance à quelques titres : Box, en 2012, un sympathique casse-tête conçu dans le cadre d’un concours international organisé par le magazine anglais Edge. Ou e-Fanorona, une adaptation numérique d’un jeu de stratégie traditionnel, qui est, depuis, apparu dans plusieurs salons et foires consacrées aux jeux mathématiques et de plateau.
Et une petite douzaine d’applications ludiques rudimentaires, comme Slap Mosquitoes, un petit jeu d’adresse coloré pour smartphones. Autant de titres confidentiels, mais qui témoignent des frémissements d’un jeu vidéo malgache. « Et il y a des jeunes de 20 ans à 22 ans qui arrivent, petit à petit, et qui sont prometteurs dans des corps de métier qui étaient jusque-là très marginaux, comme concepteur de jeu, graphiste, programmeur », observe Ny Andry Andriamanjato, l’un des plus actifs entrepreneurs du pays en matière de jeu vidéo.
« C’est justement ce pourquoi nous sommes dans un âge d’or du jeu vidéo, s’amuse Ricky Cambier, à qui Pixels a fait découvrir e-Fanorona. Vous pouvez jouer à des superproductions comme Uncharted, mais vous avez aussi accès à des milliers de jeux de tous types, développés à l’autre bout du monde, en un claquement de doigts ! »
Pendant longtemps, l’idée de produire des jeux malgaches paraissait impossible. « Historiquement, nous étions un pays socialiste, jusqu’en 1991, avec des relations très étroites avec l’URSS, rappelle Ny Andry Andriamanjato, issu d’une lignée d’hommes politiques et conseiller technique au ministère de la jeunesse et des loisirs de 2009 à 2011. Dans le cas du jeu vidéo, nous pouvons dire que nous étions du mauvais côté du rideau de fer. Le retard entre Madagascar et l’Afrique du Sud me semble être sensiblement le même que celui entre l’Est et l’Ouest de l’Europe. »
Et de rappeler que dans un pays où jusqu’à la fin des années 1980, le port de chaussures était encore un luxe, le jeu vidéo était « le cadet des soucis » de la population. Mais à partir des années 1990, les plus nantis jouent à la NES de Nintendo, ou à de vieux Atari, ou encore à des clones taïwanais et leurs cartouches à soi-disant 350 jeux en un.
C’est l’ouverture d’une ligne aérienne entre Antanarivo et Singapour, à la fin des années 1990, qui permet de démocratiser le jeu vidéo, avec des PlayStation moins chères, et surtout un important marché noir du CD de contrefaçon. La jeunesse malgache aisée se passionne alors pour les jeux de combat, comme Tekken, et surtout de course, comme V-Rally ou Colin McRae, qui aux côtés de blockbusters cinématographiques, comme la série Fast & Furious, bercent la première génération post-soviétique.
« L’idée était déjà au cœur de chaque joueur malgache de jouer un jour un jeu vidéo évoluant dans les décors du pays », témoigne Matthieu Rabehaja, aujourd’hui chef de projet sur GasyKar, un jeu de rallye se déroulant dans les terres locales.
Ce n’est que dans la seconde moitié des années 2000 qu’émergent les premières productions de l’île, essentiellement des bricolages informatiques réalisés par des autodidactes. Tolotra Andriamiharintsoa, développeur indé présent depuis les balbutiements de l’industrie, illustre cette génération spontanée.
« Je n’ai pas appris dans une école, vu que ça n’existait pas. Je me suis formé sur le tas jusqu’ici, avec des connaissances académiques normales, de la passion, du temps, de la persévérance, et quelques échanges sur le Net. »
L’arrivée progressive d’Internet sur l’île Rouge, même à bas débit, a été le principal vecteur d’éclosion de la scène locale. Soudain, les compétences des uns et des autres pouvaient être réunies. « Ce que nous avons fait, au début, c’était d’éplucher Internet pour trouver le moindre Malgache qui se démarquait. Prendre contact, le recruter, et le former », confirme Ny Andry Andriamanjato, qui fort d’une formation à l’école spécialisée française Supinfogame à Valenciennes, fait aujourd’hui figure de parrain de cette minuscule industrie.
« C’est lui qui en est l’initiateur, confirme Tolotra Andriamiharintsoa. On s’est rencontrés sur le Net, depuis sur un forum, qui n’existe plus actuellement, il y a au moins six ans. On a beaucoup discuté de jeu, de production de jeu depuis Mada, et de technicité en ce temps-là. Puis il a pris l’initiative de créer le premier studio, Faithul World, et il m’a appelé. Les autres gars, mes collègues, on les a tous recrutés depuis le Net, principalement depuis Facebook. »
Depuis, plusieurs autres structures se sont montées, près d’une cinquantaine de professionnels se sont signalés lors de la tenue en janvier 2016 du forum IGDA Madagascar, le premier événement national du genre. Mais si les projets se multiplient, rares sont ceux qui ont pour l’instant abouti.
A leur décharge, le climat des affaires à Madagascar ne favorise guère les initiatives. Principal grief : l’absence de structure légale pour les transactions dématérialisées. « Comme il n’y a pas de loi sur le commerce électronique, aucun système de paiement n’est valable depuis Mada, rappelle Tolotra Andriamiharintsoa. On ne peut donc tout simplement pas vendre ni acheter des objets en ligne, il faut un compte hors de Mada. »
Autre souci, la difficulté de financer les initiatives. Ny Andry Andriamanjato pointe des taux d’intérêt qui tournent aux alentours de 20 %. Pour s’autofinancer, la quasi-totalité des entreprises et des individus lancés dans l’aventure du jeu vidéo cumulent les casquettes. « Il n’y a pas de magie, il faut faire autre chose. Nous avions eu une période par exemple de community management, de création de sites Web, d’animation de stand dans des foires à travers le jeu vidéo… ». De nombreux jeux sont également développés en « marque blanche » pour des acteurs français ou belge qui souhaitent profiter du faible coût de la main-d’œuvre.
Le manque de formation oblige par ailleurs les entrepreneurs à jouer les hommes-orchestres, parfois dans une improvisation quasi-permanente. « J’ai dû porter beaucoup de casquettes… trop de casquettes : chef d’entreprise, game designer, directeur technique, directeur artistique, à cela il fallait ajouter la gestion de nos autres activités, soupire Ny Andry Andriamanjato. Quand je ne savais pas moi-même comment faire, je passe des nuits à apprendre. »
Enfin, les suspicions de corruption, les jalousies personnelles, et le système juridique contesté ne font qu’ajouter aux difficultés. Le président de Nelli Studio (e-Fanorona), en conflit avec ses employés, a été brièvement incarcéré en 2015 suite à une accusation d’abus de biens sociaux – l’affaire n’a pas encore été jugée.
Malgré tout, Tolotra Andriamiharintsoa se veut positif : « Je dirais qu’à Madagascar le jeu vidéo avance, pas très rapidement comme les pays développés, mais ça avance, surtout grâce à l’accès de plus en plus facile à des moteurs de jeu. » Ceux-ci ont permis la création de prototypes de jeux vidéo en 3D avec les moyens du bord, à l’image d’un jeu de tir à la Call of Duty, présenté en mars 2015, dans des décors typiques.
Reste quelques problèmes : que montrer ? Que raconter ? Quel imaginaire convoquer ? Contrairement à la Pologne ou à l’Ukraine, à la culture nationale écrite abondante, Madagascar reste empreinte de culture orale – un handicap, dans une industrie aussi visuelle et internationale que celle du jeu vidéo. « Nous n’avons pas un héritage énorme, que ce soit dans le cinéma, la musique, la peinture, etc. Rien sur quoi nous pouvons nous reposer, regrette Ny Andry Andriamanjato. La littérature malgache ne date que de la première moitié du XXe siècle. Et les grands auteurs se comptent sur les doigts d’une seule main. »
De même, contrairement à la France, l’île n’a pas pu s’appuyer, dans les années 1990, sur la bande dessinée : « La BD malgache est malheureusement morte au moment de la chute du mur de Berlin, pointe Ny Andry Andriamanjato. Il n’y a quasiment plus aucune trace ni archive. Nos parents nous en parlent pourtant avec beaucoup de nostalgie et de passion. »
De même, quand les studios américains se sont largement inspirés des productions d’Hollywood, « l’ensemble des films malgaches ressemblent encore à du théâtre filmé. Nous avons tout de même de très bons films comiques. Mais l’humour étant vraiment très culturel et identitaire, c’est difficilement exportable en l’état. Je ne m’y risquerai pas. »
Pour de nombreux studios, la solution la plus simple est finalement celle de l’identifiant touristique. « C’est toujours la même chose : un baobab par-ci, un zébu, une charrette, une maison traditionnelle par-là », énumère Ny Andry Andriamanjato. En somme, des jeux vidéo conçus comme des cartes postales, ambassadeurs de la « malagasy pride », la fierté malgache.
Certains vont toutefois plus loin : « Le choix le plus évident était un jeu de course parcourant la ville d’Antananarivo : conduire les véhicules les plus rapides du monde dans la ville d’Antananarivo », raconte Matthieu Rabehaja, chef de projet sur Gazkar, un jeu de rallye à la manière des célèbres productions de la PlayStation, mais dans les paysages de l’île Rouge.
Pour se lancer dans ce projet atypique, l’agence a organisé un sondage. Et en a conclu qu’un malgache sur cinq jouait aux jeux vidéo, et que 73 % d’entre eux seraient prêt à payer pour jouer à une production locale. Cette simulation mettra justement en scène les voitures les plus répandues dans le pays – Citroën 2CV, Renault 4L, 205 Peugeot, ainsi que la variété de l’île, des collines de la capitale aux décors tropicaux des terres ou aux terres arides du sud.
« L’équipe se focalise aussi sur chaque détail de chaque quartier, reproduire les rues de la capitale avec l’ambiance locale demande du temps », prévient-il. Si Uncharted 4 vient de voir le jour, Gazkar doit arriver sur Android prochainement et sur PC d’ici la fin de l’année. Ce serait un énorme pas en avant. Mais comme dit un célèbre dicton malgache : « Mora, mora. » (« Doucement, doucement. »)
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