Chéris par les cinéastes, ceux-ci sont victimes de beaucoup de clichés que nous avons déconstruits avec un historien spécialiste du Japon.
Avez-vous vu Chernobyl, la série-documentaire en 5 épisodes diffusée par HBO et Sky, qui a damé le pion à Game of Thrones et Breaking Bad en devenant la série la plus populaire du monde ? Piquée par ce succès de série “historique”, la multinationale américaine Netflix a réalisé un docu-drama baptisé Age of Samurai : Battle for Japan, sorti en 2019. Qualifié de “Game of Thrones dans la vie réelle“, il reviendra sur les guerres du Japon féodal en se concentrant sur la figure de Date Masamume, un fameux samouraï surnommé “le dragon borgne“, et dont le casque a inspiré celui de Dark Vador. Quelle plus belle occasion de revenir sur divers clichés qui collent à l’armure de ces mythiques guerriers ? L’historien spécialiste de l’histoire du Japon Pierre-François Souyri nous a aidé à en décrypter dix.
Pierre François Souyri : “Ça dépend. Le problème est que les samouraïs correspondent à une couche sociale qui se développe à partir des IXe, Xe siècles, et qui est supprimée au XIXe siècle. Vous imaginez bien qu’au cours d’un millénaire, les choses ont changé. Initialement, les samouraïs sont les gardes armés des aristocrates de la cour, donc le métier des armes est une profession. Petit à petit, les notables provinciaux, face à l’insécurité générale, commencent à s’armer et à créer de petites troupes privées dont ils sont les seigneurs. Ce sont les débuts de la féodalité. À partir de ce moment, oui, on est samouraï de père en fils. Mais au début, il s’agit de professionnels de la guerre, et si ce phénomène d’héritage se concrétise au XIIe siècle, il y a jusqu’au XVe une instabilité très grande, avec des paysans ou de simples bonshommes qui s’arment, se payent un cheval et un sabre, et peuvent s’autoproclamer samouraï avant de se faire reconnaître comme tel par le seigneur local. Après le XVIe, le titre de samouraï est affilié à une sorte de noblesse militaire qui est effectivement figée dans un ordre social héréditaire. Mais inversement, on peut perdre son statut de samouraï. Si on se fait licencier par son seigneur, on devient un rōnin et dans ce cas là on perd son statut et on n’a plus qu’à se transformer en roturier ordinaire ou en gangster.”
“Le problème c’est que le mot “samouraï” englobe toute une série de statuts sociaux très divers. Les grands guerriers sont des samouraïs et eux évidemment sont de grands propriétaires fonciers. Mais leurs hommes d’armes, qui eux ne possèdent aucune terre, sont aussi des samouraïs. Si on devait faire une comparaison avec l’Occident, ça regrouperait à la fois les seigneurs et leurs chevaliers, voire leurs simples valets d’armes, payés par leurs seigneurs. Mais les grands vassaux sont de grands propriétaires fonciers qui font travailler les paysans.”
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“A la fin de la période ancienne, au début du Moyen Âge, l’arme principale du samouraï est l’arc [yumi, NDR]. Ils combattent à cheval et tirent à l’arc. Puis une fois qu’ils ont épuisé leurs flèches, ils descendent de cheval et commencent à combattre au sabre. L’arc devient inusité au delà des XIVe-XVe siècles, dans les batailles en tout cas. On fait appel dans ces cas-là à des corps d’archers professionnels, qui sont des roturiers engagés pour ça. Et puis petit à petit, au XVIe siècle, avec l’arrivée des armes à feu, on met en place des corps de mousquetaires qui sont des roturiers à qui on donne des fusils, et qui sont encadrés par des officiers qui sont des samouraïs. Le mousquet est beaucoup plus efficace que le sabre mais le problème c’est la symbolique : le sabre devient, entre le XIVe et le XVIe siècle, de même que l’armure, le symbole de la noblesse de celui qui les a portés. On se transmet les sabres de génération en génération, de même que les armures qui sont rarement des armures de combattant mais des armures de prestige, de gala. Le sabre devient le signe du statut familial qui est le statut de guerrier, de samouraï, c’est pour ça qu’on en parle beaucoup plus que l’arc ou le fusil. De fait, les combats au sabre, c’est un peu une légende du cinéma. Il y a eu quelques histoires de règlements de comptes, des choses comme ça, mais au niveau historique ça ne compte pour rien : les dernières grandes batailles à la fin du XVIe siècle sont pour l’essentiel des batailles avec des armes à feu, de l’artillerie.”
“Ça c’est une invention du cinéma… A partir du XVIIe siècle, quand on rentre dans le régime des Tokugawa et que la paix revient dans le pays, les samouraïs ont le droit de se promener avec deux sabres, le long et le court. Quant aux simples roturiers, ils ne peuvent porter qu’un sabre. Les sabres sont le signe même du statut de samouraï, quand on voit un homme avec deux sabres, on se met sur le côté. Officiellement, les samouraïs avaient le droit de couper en deux un individu qui leur manquait de respect. Ils le faisaient parfois, surtout au tout début du XVIIe siècle, mais très rapidement, ça a été encadré sur le plan légal, c’est-à-dire qu’en cas de meurtre d’un roturier par un samouraï, il y avait une enquête judiciaire. Et il pouvait arriver que le samouraï soit considéré comme un agresseur pur et simple. Il subissait alors une peine qui pouvait aller jusqu’au suicide, au fameux seppuku.
Mais en fait, très rapidement, les sabres étaient attachés par une espèce de nœud. La dague était coincée dans son fourreau, ce qui avait pour fonction d’éviter les coups de sang. On est dans une société pacifiée, il n’y a pas de guerre, donc pour sortir le sabre il fallait d’abord le dénouer ce qui laisse le temps de réfléchir un peu à l’acte qu’on risque de commettre et ça laisse éventuellement quelques secondes à celui qui va se faire agresser pour s’enfuir. Donc le fait de dégainer le sabre pour un oui ou un non, c’est de la rigolade.”
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“La loyauté et la fidélité font partie du code d’honneur du samouraï, ce qu’on appelle le bushido, la voie du guerrier, qui existe depuis les origines. Dans le cas du Moyen Âge, où il existait des guerres féodales, la loyauté est une affaire de calcul : on est fidèle à son seigneur tant que celui-ci est capable de nous protéger. Mais quand les choses commencent à mal tourner et qu’on sait que le seigneur va être vaincu, il est fréquent qu’on rompe le pacte pour passer de l’autre côté. Prenons par exemple la grande bataille de Sekigahara en 1600, qui va déboucher sur la victoire des Tukogawa et la mise en place d’un régime qui va durer deux siècles et demi : il faut savoir que s’ils ont remporté la victoire, c’est parce que pendant la nuit, le tiers de l’armée adverse est passé dans leur camp et les guerriers ont été récompensés pour ça…
Quant à la loyauté face à l’adversaire dans les combats rapprochés, les chroniques montrent des cas où la félonie et la traîtrise sont tout à fait utilisées. Détourner l’attention de son adversaire au moment où on va se faire égorger, pour tenter de le désarmer, était quelque chose de fréquent.”
“Pendant les guerres féodales, dans le cas du Japon, le but est de tuer son adversaire ou de le vaincre et de s’emparer de ses terres. Système de polygamie oblige, on s’empare aussi de sa femme et de ses enfants. Avoir la femme de celui qu’on a tué est un signe de prestige, de même qu’élever ses enfants : on peut les adopter et en faire ses héritiers, ce qui était très fréquent. Imaginons un seigneur dont les enfants biologiques sont décédés, malades ou incapables… ce système lui permet de perpétuer la lignée. Quant au vaincu, la seule issue qui lui reste est la mort. Au XVIIe siècle, un quart des individus sont des enfants adoptés, dans un système patriarcal où le seigneur décidait lequel de ses enfants allait lui succéder. Ça pouvait être un enfant légitime ou un enfant adopté, on n’était pas du tout dans un système de primo-géniture comme en Occident. La polygamie chez les guerriers est tout à fait commune. Plus ils sont riches et puissants, plus ils ont de femmes (épouse officielle, concubines officielles, non-officielles, courtisanes…) et les petits guerriers sont monogames, parce qu’ils n’ont pas le choix.
Les samouraïs avaient aussi des amants, et il y avait même une prostitution masculine qui était considérable. Ils étaient bisexuels, et il n’y avait pas de jugement négatif sur l’homosexualité, qui était au contraire mise en avant dans certains milieux guerriers car c’était le véritable amour, quelque chose de noble de s’aimer entre hommes dans une société où les vertus viriles sont mises en avant et où les femmes sont dépréciées. Quand on est un homme viril, un vrai samouraï, on ne s’amourache pas d’une femme. L’amour des garçons était très pratiqué, sans que ça pose de problème particulier.”
“Au soir du combat, on fait ramasser par ses hommes de main les adversaires qui ont été tués. On ne fait pas la guerre pour rien, on la fait contre récompense. Et pour être récompensé il faut avoir prouvé qu’on a eu sur le terrain, pendant la bataille, un comportement valeureux et qu’on a tué de ses propres mains un adversaire important auquel on coupe la tête, qu’on fait apporter à son suzerain. Il ne s’agit pas de tuer un palefrenier ! Avant de combattre, ils annoncent leur pedigree : “Moi untel, fils de untel, petit-fils de untel, seigneur de telle région, je te défie. Qui es-tu ?” L’autre décline son identité, et si c’est un pauvre type, on ne se bat pas. On ne se bat que si ça vaut le coup ! Il pouvait arriver qu’il y ait des vols de trophée. Des histoires courent, comme celle de ce samouraï qui abat un adversaire, part combattre et, en revenant, se rend compte que la tête a été découpée par un autre qui prétend l’avoir tué. Mais le premier n’avait pas oublié de couper l’oreille, et la produit pour prouver que c’est bien lui qui a vaincu l’ennemi. On est vraiment dans le macabre !”
“Il y a un exemple de femme samouraï dans la fameuse guerre entre les Minamoto et les Taira, qui est décrite comme extraordinaire au combat, très habile au tir à l’arc. Elle est souvent citée en exemple, mais il n’y en a pas beaucoup.”
(Il s’agit de Tomoe Gozen, qui s’illustra pendant la guerre de Genpei, entre 1180 et 1185. Si les femmes samouraïs n’étaient pas nombreuses, les samouraïs apprenaient à leurs épouses à combattre, afin qu’elles sachent protéger le domaine lorsqu’eux-mêmes étaient à la guerre. Elles maniaient le naginata – une arme d’hast, c’est à dire faite d’une lame emmanchée -, ainsi que le tantō, un couteau recourbé qu’elles cachaient sous leur kimono et qui pouvait leur servir au suicide rituel NDR.)
“Pendant les guerres médiévales, le vaincu était souvent obligé de se suicider parce qu’il était insupportable pour lui d’imaginer que le vainqueur allait s’emparer de son territoire, de ses femmes, etc. Son nom était souillé, et c’était le seul moyen pour lui de trouver grâce auprès des vivants et d’effacer sa défaite. À partir de là, de plus en plus de rituels de suicide ont été mis en place, dont le fameux seppuku, consistant à s’ouvrir le ventre. Mais en réalité, dans les guerres médiévales, rares sont ceux qui se font seppuku… la plupart du temps, ils se suicident en mettant leur sabre dans leur bouche et en se laissant tomber de cheval ; ou alors, ils se font décapiter par leurs suivants. Mais le suicide avec éventrement est quelque chose de très tardif en réalité. À l’époque d’Edo, quand il y avait un jugement pour un délit quelconque, un samouraï pouvait être condamné à se suicider. Alors que les roturiers devaient aller en prison ou être exécutés par pendaison ou simple décapitation, eux avaient droit au rituel du seppuku. Officiellement, ils devaient s’ouvrir le ventre, avant que dans la foulée, quelqu’un leur coupe la tête. Dans la réalité, ils s’emparaient simplement de la lame, et se faisaient couper la tête avant de l’avoir portée à leur ventre. Dans certains cas, ils avaient même un simple éventail pour symboliser la dague. À vrai dire, le rituel s’est considérablement alourdi à la fin du XIXe siècle, au moment de l’arrivée des Occidentaux. A cette époque, une histoire de seppuku a particulièrement été médiatisée : les ambassadeurs de Grande-Bretagne furent conviés au rituel d’éventrement de celui qui avait commis le meurtre d’un Britannique. Ils assistèrent à une scène épouvantable, avec du sang qui giclait de tous les côtés. Or dans ce cas-là il s’agissait d’un suicide de remontrances : le meurtrier n’avait pas accepté sa punition, trouvant normal d’avoir exécuté un étranger. Il souhaitait donc montrer aux Anglais ce qu’était le vrai courage en commettant un suicide horrible et sanglant, allant jusqu’à se sortir les viscères… C’est cette scène qui va marquer les esprits occidentaux, alors que ce genre de situation était rarissime.”
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“Ça dépend des époques… si on est au XVIIIe ou XIXe siècle, sans doute, mais ils n’étaient pas plus soucieux de leur apparence et de leur hygiène que les riches marchands ou les riches artisans. Les Japonais ont toujours cultivé une forme d’hygiène, bien avant nous, puisqu’ils utilisaient les bains depuis très longtemps alors que les Occidentaux ne se lavaient jamais et utilisaient la toilette sèche, maquillage et parfum. Les Japonais ont d’ailleurs toujours décrit les Hollandais qui venaient au Japon comme des êtres épouvantables, qui empestaient. D’ailleurs, malgré leur qualité d’invités, on leur envoyait des filles des bordels les plus minables. Aucune courtisane ne voulait aller avec eux, non pas parce qu’ils étaient étrangers, mais parce qu’ils sentaient mauvais ! Mais il ne faut pas le dire parce que ça ne fait pas plaisir aux Occidentaux (rires). On n’imagine pas à quel point c’était atroce à la cour de Louis XIV.”
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