Derrière les lourdes portes en acier de la Monnaie de Paris, à Pessac, dans l’agglomération bordelaise, une presse rutilante s’apprête à vrombir au milieu d’une nuée de journalistes venus immortaliser l’instant. Flashs qui crépitent, micros tendus. La chaîne d’information américaine CNN a même dégainé son escabeau. Jamais la forteresse française– qui assure depuis 1973 la fabrication de la monnaie courante…
Derrière les lourdes portes en acier de la Monnaie de Paris, à Pessac, dans l’agglomération bordelaise, une presse rutilante s’apprête à vrombir au milieu d’une nuée de journalistes venus immortaliser l’instant. Flashs qui crépitent, micros tendus. La chaîne d’information américaine CNN a même dégainé son escabeau. Jamais la forteresse française – qui assure depuis 1973 la fabrication de la monnaie courante – n’a connu telle agitation. C’était il y a vingt ans. À 13 heures pétantes donc, un jour de mai 1998, la machine cracha en direct une cascade de pièces flamboyantes, couleur blanc et or, devant une assemblée retenant son souffle. Les tout premiers euros .
Un exercice de démonstration exagéré pour certains, mais un instant historique quand même. Bertrand Noni faisait partie de l’équipe de monnayeurs ce jour-là. Il se souvient de cette journée avec d’autant plus de nostalgie qu’il prend sa retraite cet été, après quarante-trois ans de carrière :
« À l’époque, j’ai joué des coudes, on n’était pas habitués à voir autant de monde dans l’usine d’habitude impénétrable. Les reporters étaient venus du monde entier. Nous étions tous conscients de vivre un moment unique, coiffant les autres pays au poteau. Après tout, c’est ici que s’est fabriquée la première monnaie unique pour toute l’Europe ! Le ministre des Finances, Dominique Strauss-Kahn à l’époque, s’est approché. Il a attrapé un euro et l’a mordu à pleines dents. ‘‘ C’est du vrai ’’, a-t-il lancé. Je me rappelle avoir ri car, sur le moment, il avait l’air de vouloir l’emporter avec lui. Mais à la Monnaie de Paris, tout est contrôlé au millimètre près. Ministre ou pas, il a dû reposer la pièce. »
Il faudra en effet attendre le 1er janvier 2002 pour voir les premiers euros circuler et atterrir dans les porte-monnaie. Le temps de constituer un stock de 8 milliards de pièces
« Avant l’arrivée de l’euro, l’établissement a recruté à la fin des années 1990 une trentaine de jeunes supplémentaires pour cette tâche. C’était une belle victoire. Tous les ouvriers, moi y compris, se battaient pour obtenir de nouvelles embauches. Il faut dire que nous avions un certain pouvoir. Il ne fallait surtout pas que la production soit stoppée. Quelques années plus tard, au début des années 2000, la direction s’est à nouveau fait peur. Nous n’étions pas en grève mais nous revendiquions de meilleures conditions de travail. Pour s’assurer que les euros sortent de l’usine en temps et en heure, ils ont fait venir les CRS ! », confie Bertrand Noni avec un mélange de fierté et d’amusement.
Deux décennies plus tard, le gigantesque site industriel de 93 000 mètres carrés continue de frapper jusqu’à 10 millions de pièces par jour. Si les technologies ont évolué – des presses plus rapides, plus performantes – la pratique, elle, n’a pas changé .
« Tout arrive sous forme de grandes bobines d’acier. Des ouvriers les découpent en rondelles et obtiennent ainsi des « flancs. Ensuite les bords vont être travaillés et les défauts traqués avant l’étape de la gravure. La pièce de deux euros nous a donné du fil à retordre quand j’y pense, avec sa couronne dorée et son insert blanc qu’il faut d’abord assembler. Le métier de monnayeur demande patience et rigueur ! »
Comme Bertrand Noni, ils sont seulement 25 en France à frapper la monnaie courante. Un savoir-faire qui s’apprend le plus souvent sur le tas et se transmet de génération en génération.
Et Bertrand Noni sait de quoi il parle, lui qui a connu sept directeurs différents, a aussi formé de nombreux jeunes , « une trentaine ». La dernière en date est une jeune femme de 35 ans. Souvent mes proches me questionnent sur mon métier : ‘‘ comment fais-tu pour garder la tête froide avec autant d’argent ? ’’ Mais pour moi, ce sont juste des morceaux d’acier, c’est la technique qui m’importe . Aujourd’hui, je suis fier pourtant d’avoir contribué à lancer la monnaie unique. Très ému même. Maintenant je peux partir tranquille, je sais que la relève est assurée. »

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