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Tests et jeux
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En Méditerranée, par stratégie, François Ier fit appel au corsaire devenu grand amiral ottoman. Mais à l’automne 1543, celui-ci joua son propre jeu et devint incontrôlable.
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« Alliance impie », « union sacrilège », « pacte scandaleux » : en ce 4 février 1536, l’Occident catholique n’avait pas de mots assez forts pour condamner les Capitulations, cet accord conclu entre la couronne de France et l’Empire ottoman. Ce traité d’alliance garantissait aux navires à fleur de lys le droit de faire du négoce dans le Levant. L’arrangement, du moins, révélait au grand jour la «relation spéciale» qu’entretenait depuis des années François Ier, le souverain très chrétien, avec l’« infidèle » le plus influent de son époque, Soliman Ier dit « le Magnifique ».
Tout avait commencé en 1520, au lendemain de l’accession de Charles Quint à la tête du Saint-Empire romain germanique. Le roi de France s’était alors empressé de frapper à la Sublime Porte. Se croyait-il oppressé par son voisin, qui régnait déjà sur plus de la moitié de l’Europe et sur les possessions espagnoles du Nouveau Monde ? Le médiéviste Jacques Heers ne le pense pas. « La politique de François Ier ne fut pas dictée par le souci de protéger les frontières du royaume qui n’étaient nullement menacées », explique-t-il dans Les Barbaresques (éd. Perrin, 2001). Selon lui, l’unique obsession du monarque français était de conquérir le nord de l’Italie. Maître du Milanais et de la Lombardie à l’issue de la bataille de Marignan, en 1515, François Ier s’était vu confisquer ses territoires transalpins dix ans plus tard, en 1525, au terme de la désastreuse bataille de Pavie qui l’avait opposé aux troupes de Charles Quint.
Cherchant du soutien pour faire libérer François Ier, fait prisonnier sur le champ de bataille, sa mère, la régente Louise de Savoie, avait dépêché une ambassade de douze personnes chargées de somptueux cadeaux à destination de Constantinople. Mieux : en décembre 1525, depuis sa geôle madrilène, François Ier réussit à faire parvenir un courrier au sultan pour lui proposer d’unir leurs forces contre Charles Quint, présenté comme leur ennemi commun. Ces tractations n’aboutirent pas. Et en janvier 1526, Charles Quint rendit sa liberté à François Ier en échange d’une lourde rançon. Le roi de France avait été aussi contraint de livrer ses deux fils aînés en otages et de faire le serment de renoncer à l’Italie. «Le roi, poursuit Jacques Heers, n’avait nulle intention de tenir ses engagements et ne le fit pas».
Au tournant des années 1530, Soliman commença lui aussi à s’intéresser à la Péninsule. Sauf que le rêve italien du sultan ne ressemblait en rien à celui du roi de France : ce dernier convoitait le Milanais, l’autre briguait bien davantage. Au nom du réalisme politique, commente Jacques Heers, «François Ier voulut oublier que les Turcs aspiraient à toute la conquête de l’Italie, […] que Soliman avait juré de prendre Rome et d’en chasser le pape.»
C’est ici qu’entre en scène le personnage le plus haut en couleur de ce jeu de dupes : Khizir Khayr al-Dîn, plus connu sous le nom de Barberousse. Devait-il son surnom à son menton teint au henné ? Nul ne le sait. Seule certitude : ce redoutable écumeur des mers, né vers 1470 sur l’île de Lesbos, fit trembler le monde chrétien. Pourtant, chrétien, il le fut au berceau : Grec orthodoxe, il s’était converti à l’islam avant d’embrasser la carrière de corsaire. Pillant, massacrant, capturant à tout va, il s’était si bien illustré dans son domaine qu’il avait été fait bey (souverain vassal du sultan) d’Alger en 1519. Fin stratège, Barberousse avait fait allégeance à Soliman le Magnifique pour se prévaloir de sa protection contre les Espagnols.
Nommé grand amiral de la flotte ottomane en 1533, il servit d’ambassadeur officieux du sultan auprès des Français pendant une décennie. De ce ballet diplomatique parfois confus naquirent les Capitulations de 1536 et de très nombreux rendez-vous manqués. Au rayon des fiascos, l’épisode de l’hiver 1543 figura parmi les plus retentissants.
Six mois plus tôt, en avril 1543, Barberousse avait quitté Constantinople avec 110 galères et 40 galiotes. Sa mission ? Porter la guerre en Italie de concert avec les Français. A ses côtés, se tenait l’ambassadeur de François Ier : le capitaine Paulin de la Garde, un ancien corsaire français promu général de l’armée navale. Ce dernier avait assisté sans ciller aux ravages que l’armada turque avait commis dans les Pouilles, en Calabre et en Sicile. En juillet, «l’armée du Levant», comme on nommait l’escadre ottomane, fit escale à Marseille, où elle fut accueillie en grande pompe : fanfares, canonnades, acclamations… Elle reprit la mer, début août, pour mettre le cap sur Nice, ville alors rattachée au duc de Savoie, un allié de Charles Quint. Le 5 août, les galères de combat ottomanes, épaulées par une soixantaine de navires français, jetèrent l’ancre devant Nice. Après vingt jours de siège, de bombardements intensifs et d’assauts des troupes franco-turques, Nice finit par se rendre. Après avoir réussi à s’emparer de la ville, les assiégeants échouèrent face à la résistance héroïque des soldats défendant la citadelle surplombant la ville. Début septembre, renonçant à faire tomber le château, Barberousse reprit la mer, non sans avoir mis la ville à sac, et emportant avec lui 2 500 prisonniers (le trafic d’esclaves était l’une de ses principales sources de revenu).
Mais déjà, entre les Turcs et les Français, le torchon commençait à brûler. S’estimant sous-exploité, Barberousse menaça de plier bagage. A ce moment précis, François Ier aurait dû le prendre au mot. Hélas, pour retenir son turbulent auxiliaire, le roi céda sur tout. A commencer par Toulon qu’il lui livra pour y établir ses quartiers d’hiver et de base arrière pour harceler l’Espagne. En chemin, Barberousse fit enlever 300 enfants et religieuses aux environs d’Antibes.
En octobre 1543, l’armada de Soliman le Magnifique fit son entrée dans le port provençal. Malgré les ordres du roi, qui avait exigé que les Toulonnais abandonnent leurs logements au profit des Turcs, les édiles locaux déployèrent des trésors de diplomatie pour maintenir une partie de la population entre ses murs. Ceux qui restèrent furent les témoins du désastre : 30 000 hommes exigeaient d’être nourris. Certains chroniqueurs de l’époque évoquent des orgies réunissant capitaines français et janissaires ottomans. D’autres dénoncent des rapts de jeunes hommes de la région envoyés grossir le rang des galériens. La cathédrale Sainte-Marie-Majeure fut convertie en mosquée, le son des cloches remplacé par l’appel du muezzin. Un harem fut aménagé près de l’évêché. «Toulon était devenu un vaste caravansérail, commente Jacques Heers, où la monnaie turque avait cours.» Au bout de six mois, la population fut exsangue.
A la belle saison, François Ier s’émut enfin du sort des Toulonnais. Quant à Barberousse, il piaffait d’impatience de croiser le fer. Mais contre qui ? Le roi de France voulait soumettre la République de Gênes tandis que le pirate voulait bouter les Espagnols hors de Tunis. Menaces, protestations et griefs des deux côtés : au printemps 1544, le mariage de la carpe et du lapin finissait de voler en éclats sans que les sabres ne soient tirés de leurs fourreaux. Avant de lever l’ancre, les corsaires et les soldats ottomans réclamèrent leur solde au roi de France : 800 000 écus d’or… pour une bataille qu’ils n’auront jamais livrée ! Le 26 mai 1544, Barberousse quittait enfin la côte varoise. Il emportait avec lui d’innombrables pièces d’orfèvrerie, quantité de vivres et de munitions. Ainsi qu’un insondable mépris pour les Français. François Ier rendit l’âme trois ans plus tard, le 31 mars 1547, laissant derrière lui son mirage italien.
Article paru dans le magazine GEO Histoire sur la Turquie (n°42, novembre – décembre 2018).
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