Au sein d’un bâtiment de la banlieue nantaise, des dizaines d’ordinateurs “minent” jour et nuit. Reportage.
Face à l'afflux des clients, Bigblock Datacenter prévoit d'installer à terme 3000 "ordinateurs à bitcoins".
M. RUAUD/ANDIA POUR L’EXPRESS
Le camion de livraison s’immobilise dans l’allée et déploie son hayon élévateur. Le déchargement des palettes peut commencer. L’un après l’autre, trois colis volumineux emballés de plastique opaque prennent place sur un chariot à roulettes et s’engouffrent dans les bureaux de la société Bigblock Datacenter.
L’endroit ne paie pas de mine. C’est un ancien bâtiment industriel de la banlieue de Nantes. Mais il abrite aujourd’hui la plus grosse ferme à bitcoins de France. A l’intérieur, des dizaines d’ordinateurs tournent jour et nuit pour faire vivre le réseau bitcoin. Une activité de “minage” récompensée par quelques fractions de cryptomonnaies.
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“Nous avons pas mal de livraisons en ce moment. Aujourd’hui, nous recevons une grosse commande de cartes graphiques”, glisse en souriant Sébastien Gouspillou, le maître des lieux. L’entrepreneur, qui s’occupait, il y a encore deux ans, de faire pousser des forêts équitables en Asie, nous offre une visite guidée de son étrange usine. “Il reste encore beaucoup d’aménagements à faire, prévient-il. Mais, à terme, on devrait pouvoir installer ici 3000 machines.”
Le bourdonnement d’une boîte métallique de plusieurs mètres cubes couvre vite les paroles du chef d’entreprise. “Ce matériel nous sert à “nettoyer” le courant”, explique Sébastien Gouspillou en élevant la voix. Alors qu’en Chine les fermes à bitcoin souffrent régulièrement de surtension ou de coupures, celle de Nantes profite d’une qualité de courant exceptionnelle. “Cela devrait nous permettre d’accroître la durée de vie de nos ordinateurs”, espère le patron.
Sébastien Gouspillou (au centre) a créé sa start-up il y a deux ans.
© / M. RUAUD/ANDIA POUR L’EXPRESS
Les fameuses machines trônent dans la pièce à côté. Alignées sur des étagères en métal de plusieurs mètres de longueur, elles émettent de petites lumières vertes… et beaucoup de chaleur. Chaque machine chauffe autant qu’un sèche-cheveux professionnel! Alors, malgré la présence de deux gaines de refroidissement qui aspirent l’air frais de l’extérieur pour l’injecter à l’intérieur par le sol, la pièce baigne dans une ambiance tropicale.
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Et le vrombissement permanent des ventilateurs qui tournent à plein régime devient vite désagréable. Ces ordinateurs n’appartiennent pas à Bigblock Datacenter. La start-up les a vendus à ses clients -les mineurs- et les fait fonctionner pour eux. Concrètement, les machines résolvent des problèmes mathématiques qui requièrent une grosse puissance de calcul, ce qui permet aux transactions en bitcoins effectuées aux quatre coins de la planète d’être validées.
“Les mineurs restent mal vus car ils se sont beaucoup enrichis au cours des douze derniers mois. Pourtant, leur activité est plus noble que le ‘trading’, qui repose entièrement sur la spéculation, explique Sébastien Gouspillou. Sans minage, le système bitcoin ne peut pas fonctionner. Or celui-ci est la première vraie alternative au système bancaire actuel, qui est lent, coûteux et pas toujours bien sécurisé”, ajoute le chef d’entreprise, plutôt fier de servir la cause.
Les affaires de Bigblock Datacenter vont bon train. Les mineurs affluent sans qu’il ait besoin de faire de la publicité. Cependant, la société freine volontairement son activité commerciale en raison de difficultés d’approvisionnement en matériel. C’est la face cachée du système bitcoin: plus son cours est élevé, plus le nombre de mineurs augmente et plus ces derniers s’équipent en matériel, créant ainsi des pénuries. Ainsi, le prix des machines a augmenté de 40% le mois dernier!
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Alors, pour étoffer son équipement à moindre coût, Sébastien scrute les ventes organisées par Bitmain, le plus gros fabricant chinois de ce genre de matériel. “Il ne faut surtout pas les rater, même si elle se déroule parfois à 2 heures du matin. En quelques minutes, plusieurs dizaines de milliers d’appareils de minage sont vendus!”
Tout va décidément très vite dans l’univers du bitcoin. Le jour de notre visite, le cours de la cryptomonnaie enregistre d’ailleurs une chute vertigineuse. La deuxième depuis le début de l’année. “Il est difficile de faire des prévisions d’activité”, reconnaît l’entrepreneur, qui voit tout de même l’avenir avec optimisme. En dépit de la baisse récente, la flambée du prix du bitcoin l’an passé lui assure encore un coussin de rentabilité.
Par ailleurs, le système des cryptodevises aura encore besoin pendant longtemps d’une grande puissance de calcul. Certes, les développeurs réfléchissent à des procédés moins énergivores pour valider les transactions du réseau. Mais ces derniers mettront peut-être plusieurs années avant d’être adoptés par la communauté. D’ici là, Bigblock Datacenter a le temps de grandir.
La société a déjà tout prévu. Elle ouvrira bientôt une nouvelle usine au Kazakhstan. En France, elle développe des partenariats avec l’université de Nantes et la mairie. Elle envisage aussi, à terme, d’héberger un incubateur consacré aux cryptomonnaies. “Il faut comprendre que le minage est une chance pour le pays qui l’accueille”, explique Sébastien Gouspillou.
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Certes, cette activité ne crée pas beaucoup d’emplois, mais elle dégage du chiffre d’affaires et requiert des infrastructures. C’est aussi un gros client pour les compagnies électriques nationales, qui ont souvent du courant en trop dont elles ne savent que faire. Enfin, le minage est aussi l’occasion de relancer la production de matériel informatique. “Un des derniers fabricants français d’équipements électroniques est venu nous voir récemment car il se demande s’il ne peut pas se lancer sur le créneau.”
Le bitcoin au service de l’économie réelle? L’idée ferait bondir plus d’un banquier central. A Nantes, pourtant, chaque jour qui passe rend l’idée plus concrète.
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