Selahattin Demirtas, pendant un meeting du HDP, à Istanbul, le 6 juin. (Photo Ozan Kose. AFP)
Son prénom claque comme un symbole. Selahattin c’est Saladin en turc, légendaire chef kurde et très chevaleresque adversaire des croisés. En plus, il a de l’humour, le goût de la formule et beaucoup de sens politique. «Il n’y a que par les urnes que nous pouvons stopper ou du moins ralentir Erdogan dans sa course vers l’hyperprésidence», a martelé tout au long de sa campagne Selahattin Demirtas, coprésident du HDP (Parti démocratique des peuples), toutes les fonctions de ce parti étant partagées entre un homme et une femme.
Ce quadra au physique de gendre parfait, avocat de longue date engagé dans la cause kurde et l’association de défense des droits de l’homme IHD, incarne tous les espoirs de ceux qu’inquiète l’autoritarisme croissant du chef de l’Etat, élu au suffrage universel dès le premier tour en août dernier après douze ans comme Premier ministre. Si le HDP – comme c’est probable selon les sondages – franchit le seuil minimum de 10% des voix, l’AKP ne disposera en aucun cas de la majorité des deux tiers nécessaire pour changer la constitution et instaurer le régime présidentiel qu’Erdogan appelle de ses vœux.
Celui que ses partisans surnomment Selocan est devenu l’homme clé des législatives du 7 juin et nul ne doute que, s’il réussit son pari, il jouera un rôle majeur sur la scène politique turque des prochaines années et pas uniquement pour trouver une solution politique à la question kurde (15% de la population). «Par son âge comme par son style, il a déjà donné un coup de vieux et ringardisé les autres leaders», analyse l’universitaire Ahmet Insel, soulignant que «Demirtas incarne en grande partie l’esprit de Gezi», la grande révolte du printemps 2013 à Istanbul. Il a transformé son parti qui était avant tout la vitrine politique de la guérilla kurde, en un mouvement mutant ouvert «à toutes les minorités et les diversités». «Nous sommes le parti qui présente le plus grand nombre de femmes pour les élections législatives. Toutes les minorités y compris les LGBT sont représentées chez nous, et c’est une question de principe», aime-t-il à rappeler dans ses interviews.
Une stratégie payante lors de la présidentielle d’août dernier, la première au suffrage universel où il avait recueilli 9,7% des suffrages alors que le mouvement kurde ne dépassait guère les 6 ou 7% des voix jusque-là. Cette année il a convaincu le HDP d’entrer en lice en tant que tel aux législatives – et non plus comme avant avec des candidats indépendants locaux non soumis au barrage national des 10% – afin d’être pleinement reconnu comme l’une des quatre grandes forces politiques du pays.
A la tête du HDP, Selahattin Demirtas doit à la fois tenir compte des exigences des combattants de Qandil (la base arrière de la guérilla du PKK en Irak du nord) et de celles d’Abdullah Öcalan, le chef historique du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) emprisonné à Imrali, île au large d’Istanbul, où il purge une peine de prison à vie. Or ce dernier n’a jamais accepté l’émergence d’un autre leader au sein de sa formation. Le coprésident du HDP se doit donc de jouer serré mais il a beaucoup d’atouts en main. Son engagement est aussi ancien qu’incontestable. Ce Kurde zaza (groupe linguistique minoritaire parmi les Kurdes), né en 1973 près d’Elazig (sud-est) dans une famille sunnite «pauvre et pieuse» de petits fonctionnaires, assume aussi bien ses sÅ“urs voilées que les engagements combattants de son frère Nurettin, condamné à vingt-deux ans de prison, qui a rejoint les maquis du PKK. «Il combat en Irak du nord les jihadistes de l’Etat islamique en partie armés par l’actuel pouvoir turc», répond-il avec à propos à chaque fois qu’il est mis en cause sur le sujet.
La force de Demirtas, c’est aussi son style. Comme Erdogan qui est un redoutable tribun, il sait parler comme les gens. Mais à la différence du très mégalomane chef de l’Etat, le coprésident du HDP séduit par son côté cool et moderne. Marié à une institutrice, père de deux fillettes, il assure : «Je repasse moi-même mes chemises et je fais de la bonne terrine.» Il revendique aussi sa passion pour la musique, notamment le saz, instrument à cordes anatoliens, et il compose volontiers des chansons. Et à la différence des autres leaders politiques qui s’accrochent le plus longtemps possible à leur poste même en cas de défaite, il a annoncé qu’il démissionnerait si, contre toute attente, son parti ne franchissait pas le seuil fatidique des 10%.
© Libé 2022
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